Une autre médecine: le médecin généraliste (1974)

De Medfilm



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Titre :
Une autre médecine: le médecin généraliste
Série :
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Conseil scientifique :
Durée :
48 minutes
Format :
Parlant - Noir et blanc - 16 mm
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Archives détentrices :
Corpus :

Générique principal

Gén. début : Une émission de Pierre Desgraupes - Igor Barrère - Etienne Lalou / présentée par Etienne Lalou / réalisation : Igor Barrère. Gén. fin : son : Aimé Maillol - Michel Guiffan / opérateur : Jacques Monge / directeur de la photo : Jean-Pierre Lazar

Contenus

Sujet

La pratique quotidienne d'un médecin généraliste exerçant à Sarcelles : visites, consultations. Un film réflexif où le médecin est amené à exprimer les problématiques qu'il rencontre dans l'environnement de la ville nouvelle.

Genre dominant

Documentaire

Résumé

Dans cette émission, nous quittons l'univers feutré et rassurant du cabinet de consultation pour pénétrer dans l'univers du malade, avec le docteur Coullboeuf, médecin généraliste dans un grand ensemble. Nous le suivons dans ses visites à Sarcelles pour mieux cerner les difficultés d'une médecine qui, si elle désire soigner l'homme dans sa totalité, doit tenir compte de facteurs auxquels l'enseignement théorique des facultés prépare mal, et que les progrès acquis dans le domaine scientifique ne peuvent maîtriser. Parmi ceux-ci et non le moindre : l'environnement. Comment traiter un état dépressif lorsqu'il accable un homme qui après sa journée de travail et plusieurs heures de transport, retrouve un logement morne, empli du vacarme des voisins ? (Notice INA)

Contexte

Sarcelles, émergence d'une ville nouvelle

Après la Seconde Guerre Mondiale, plusieurs dizaines de milliers de logements, dit de première génération (caractérisé par urbanisme de longues barres horizontales, sans recherche architecturale, le long des rails implantés pour les grues de chantier) s'installera ex-nihilo au milieu des champs de la bourgade sarcelloise. Ce sont les architectes Jacques-Henri Labourdette et René Boileau qui ont conçu la cité entre 1955 et 1975, pour le compte de la Société centrale immobilière de la Caisse des Dépôts (SCIC). Durant vingt ans, Jacques-Henri Labourdette transforme subrepticement un îlot de trois barres à proximité de maisons Castors en une véritable ville équipée de 10 000 logements. Ce principe de développement des opérations au gré des acquisitions de terrain a été rendu possible par un dispositif de voirie, " la voie de desserte " : l’implantation des volumes bâtis prime désormais sur l’organisation des rues, ouvrant ainsi la voie à de nouveaux assemblages. (Cf. Paul Landauer, 2008.)

Cet environnement urbain qui émerge aux portes de Paris suscite le débat. Dans les années 1962-1963, la grande presse quotidienne de l'époque (l'Aurore, le Figaro, France soir...) développe au fil de ses articles le thème de la « sarcellite ». La « sarcellite » serait la maladie, de l'ordre de la dépression, qui frappe les habitants de Sarcelles, et plus largement les habitants des grands ensembles. En 1963, l'écrivain Marc Bernard s'installe à Sarcelles pendant trois mois pour faire l'expérience quotidienne de la cité nouvelle. Le livre qu'elle lui inspire, Sarcellopolis, décrit "un monde étrange" dont l'humanité n'est pas pourtant absente.

Sarcelles et la télévision

Comme modèle de ville nouvelle, Sarcelles a été l'objet d'une enquête télévisuelle par l'équipe de la radio-télévision scolaire, réalisée en 1969 sous la direction de Pierre Carpentier : Sarcelles, un grand ensemble. Un film critique sur les nouvelles conditions de vies imposées aux "banlieusards", un point de vue qui s'est construit avec la parole des habitants, notamment les jeunes. (Disponible en ligne : http://www.cndp.fr/media-sceren/catalogue-de-films/sarcelles_un_grand_ensemble_i-3792.html).

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Oui.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Oui.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Oui.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Oui.
  • Musique et bruitages : Oui.
  • Images communes avec d'autres films : Non.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

En 1974, la conception des "médicales" d'Igor Barrère a évolué depuis leurs premières éditions dans les années cinquante. Après avoir privilégié les gestes chirurgicaux de pointe et la figure de grand patron, l'émission tend à vouloir traiter la médecine au quotidien. Les sujets résonnent désormais avec les préoccupations nouvelles au sein de la société : drogues, suicide, gérontologie... Ils peuvent être directement inspirés par le courrier des lecteurs. De cette façon, les questions de santé intègrent le débat social. Les journalistes deviennent attentifs au rapport de force entre patients et soignants, à l'anonymat des malades qui contraste avec le prestige du corps médical.

Ici, le film ancre le témoignage du médecin dans la description de Sarcelles, le ressort dans lequel il pratique, et sa parole résonne avec celle des habitants qui ont intégré sa patientèle.

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

Ici, le film consiste en un portrait de médecin généraliste par le biais d'un entretien entrecoupé de quelques scène qui le montrent à l'oeuvre. Pour autant, il n'est pas nommé et aucune précision n'est donnée sur son parcours. Le médecin, ici, est une figure, il est représentatif des médecins d'aujourd'hui qui sont amenés à composer avec les évolutions récentes de la société. Les longues séquences d'entretien lui permettent de développer sa conception de son métier, d'articuler sa mise en théorie du "médecin praticien" contemporain avec des exemples personnels de cas qui fondent ses analyses. Il apparaît comme un homme bienveillant envers ses patients et lucide sur les influences qu'exerce sur eux l'environnement de la ville nouvelle. De cette façon, il met en évidence que le soin doit prendre en compte la réalité du contexte social pour apporter des réponses appropriées, quitte à mettre en perspective les connaissances acquises pendant la formation initiale.

Le médecin, ici, montre qu'il ne rechigne pas à adopter la posture de l'homme de "bon sens". Cependant, son témoignage est celui d'un observateur social : de voir au plus près la population de Sarcelles l'amène à saisir les différentes aspects qui caractérisent son environnement - la pression sur les femmes qui cumulent les responsabilités parentales et professionnelles, ou les problèmes comportementaux attribués à des enfants qui sont projetés dans un cadre éducatif rigide dans des établissements en surnombre.

Des plans de barres d'immeubles, de ponts autoroutiers jalonnent le film. Ces images qui contextualisent la parole du médecin montrent qu'elle a trait aux zones urbaines les plus récentes, et qu'à ce titre, la médecine généraliste est à sa manière impliquée das la modernisation de la société.

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Télévision française, 1ère chaîne

Communications et événements associés au film

Public

Tout public

Audience

Descriptif libre

Préambule : la mélancolie d'une habitante

Pendant le générique, longue perspective d'une chaussée bordée d'immeubles uniformes. Travelling le long d'un côté de la chaussée, glissant sur les architectures récentes d'aspect monotone. Zoom brutal sur une façade aux alignements de fenêtres identiques, carrés vitrés derrière lesquels des voilages sont tendus. Raccord extérieur-intérieur : de l'autre côté de la fenêtre, une veille dame se tient, montrée en plan poitrine. Son sourire doux, son air aimable contrastent avec la rigidité du décor qui est le sien. Sa voix est marquée par un accent de terroir. Elle est interrogée par Etienne Lalou, d'abord filmé bord cadre gauche, puis hors champ. Elle dit qu'elle souffre de l'anonymat dans laquelle elle se trouve en vivant à Sarcelles. C'est le médecin généraliste qu'elle va consulter qui lui permet d'avoir une compagnie. "Je lui parle de mes problèmes. Il sait tout."

Le médecin dans la cité : un acteur social

Succession de plans montrant le médecin auscultant différentes personnes, un homme âgé, un enfant. Sa voix en commentaire : "Le problème de la médecine générale s'inscrit dans une révolution médicale. Les progrès sont merveilleux, mais ils ont rejeté dans le domaine du banal l'activité médicale." Raccord voix avec le médecin filmé dans son bureau, répondant à Etienne Lalou filmé de dos, bord cadre gauche. Il s'agit du Dr. Coullboeuf, un homme d'une quarantaine d'années, habillé strictement, d'une attitude alerte, aux propos engagés mais toujours mesurés. Il salue les avancées scientifiques qui permettent d'apporter de nouvelles réponses aux maux dont souffre la population. Mais selon lui, ce progrès doit s'accompagner de la prise en compte du rôle dévolu aujourd'hui au médecin dans la cité. "La sociologie des populations dans les pays industrialisés a beaucoup changé. Le village a éclaté, et il y a eu une urbanisation massive. Je peux en parler puisque je suis au centre d'un phénomène d'urbanisation récent et massif. " Selon lui, le médecin est aujourd'hui investi des missions autrefois confiées aux prêtres ou aux aînés. Il doit faire face à des manifestations de malaise dues à l'environnement urbain. "Actuellement se présentent sous des apparences médicales, de symptômes médicaux donnant lieu à des consultations, un grand nombre de malaises" qui ont leur source dans le contact quotidien avec ce nouveau cadre de vie.

En résonance avec le propos que le médecin vient de tenir, l'extrait d'un entretien avec une habitante d'une quarantaine d'années. Elle est assise devant la fenêtre sur laquelle des voilages ont été tirés. Les voilages constituent un motif commun aux différentes séquences tournés dans les appartements : ils témoignent d'une uniformisation des aménagements intérieurs, répondant à celle qui prévaut dans l'architecture d'ensemble des bâtiments. A Etienne Lalou qui l'interroge, la femme dit qu'elle "parle de tout" à son médecin (elle est venue le voir deux fois dans la semaine où l'entretien est tourné). Comme elle lui a confié qu'elle se sentait "tourner en rond" (expression d'Etienne Lalou, qu'elle approuve), il lui a recommandé d'aller travailler pour se "distraire". (05:47)

Les "douleurs projetées"

Retour au Dr. Coullboeuf. Il cite une expérience récente de consultation qui concerne un homme de quarante ans qui se plaint de "douleurs pré-cordiales". Il "canalise" le dialogue avec le patient sur "un terrain" qu'il connaît bien, l'interroge sur les circonstances et la fréquence d'apparition de la douleur. Il reconnaît essayer "d'amener son symptôme dans une classification" qu'il maîtrise : sa "grille" (expression suggérée par Lalou, qu'il reprend à son compte). Il en vient à diagnostiquer chez le malade un risque de pathologie cardiaque et enclenche un examen à l'électro-cardiogramme. Le médecin s'estime satisfait de pouvoir fournir le schéma thérapeutique correspondant. "Or la pratique montre que la quasi-intégralité de ces douleurs sont en fait des douleurs projetées." Dans ces cas-là, le patient, témoignant d'une maladie cardiaque survenue dans son entourage familial ou professionnel, éprouvant de ces sensations "fugitives" que "tout le monde a", s'inquiète et vient consulter. "Mon travail à moi consiste à replacer ce symptôme dès le début dans l'ensemble du vécu du malade. Je dois laisser le malade s'exprimer sur sa douleur. Je dois lui demander dans quel milieu il est, comment il vit." En faisant parler le malade, il atteint l'anecdote qui explique son inquiétude. En replaçant le symptôme dans son vécu, il devient possible de "tarir" celle-ci. Etienne Lalou réagit : "Oui, enfin, ce malade qui vient vous voir, il se plaint, il a quand même quelque chose". Lalou sous-entend que le médecin serait mal avisé de ne pas prendre en compte cette "inquiétude", cette "angoisse". Le médecin répond : "Il faut que j'accepte de penser que le malade détient une partie de la vérité." Il ajoute que c'est avec l'expérience que ce savoir s'acquiert. Quand il parle, le Dr. Coullboeuf saisit souvent un stylo et a le geste de commencer à écrire, sans lui donner suite. Il semble que ce tic corresponde chez lui à une habitude de réfléchir le stylo à la main. Le fait-il même quand il rédige son ordonnance, aime-t-il consigner les réflexions que lui inspire sa pratique? (10:03)

Placer un symptôme dans son contexte

En "séquence de coupe", une femme âgée est interrogée sur son expérience de patiente. Elle raconte une visite pendant laquelle elle a pensé que le médecin se trompait de diagnostic. "Vous avez pourtant confiance en lui?" demande Lalou. "Très confiance", répond-elle immédiatement. A l'évocation du médecin, elle sourit, parle avec tendresse. Retour au Dr. Coullboeuf. Lalou face à lui. Il lui explique que son rôle se substitue au médecin de famille, à ceci près qu'il dispose à présent de la puissance acquise par la médecine par la "révolution technique et scientifique" intervenue entretemps. Autrefois, faute de pouvoir guérir, le médecin devait consoler. Aujourd'hui, il doit continuer de consoler mais aussi guérir. Il faut qu'il fasse en sorte que ses connaissances scientifiques ne fassent pas écran entre lui et le malade. "Ceci implique une écoute, et non pas un interrogatoire policier."

Séquence de consultation. Le médecin dans son cabinet, une patiente montrée en amorce bord cadre gauche. "Qu'est-ce qui vous amène?" Elle répond qu'elle souffre du bras. Il lui demande de s'expliquer. "Ce n'est pas un rhumatisme", répond-elle. Elle ajoute qu'elle a "un peu le sein douloureux". Elle insiste sur une douleur aigüe au bras, différente de d'habitude. Le médecin demande : "Et vous avez peur que ce soit..." Elle l'interrompt comme si elle avait deviné la suite de sa question : "Non, au contraire, ça m'a rassuré". Le film reste sur le médecin, sans opérer de contre-champ sur la patiente. Le spectateur est amené à se concentrer sur son expression tendue, montrant qu'il est aux aguets d'une parole, d'un signe qui le mette sur la piste du bon diagnostic. Il lui fait remarquer qu'elle se porte mieux en vacances, quand elle s'adonne à des travaux pour sa maison. "Votre esprit est occupé ailleurs". Elle l'admet, revient quand même à sa douleur au bras. Il pose franchement la question : "Vous craignez que ce soit en rapport avec le sein?" Cette fois, elle ne l'interrompt pas, et dit oui.

Retour à l'entretien. Le Dr. Coullboeuf insiste sur le fait que le médecin praticien "n'a pas de limites dans sa possibilité de prise en charge totale." Il a accès à l'ensemble de la "constellation familial" du patient, à son milieu domestique et professionnel. Ces connaissances permettent une "synthèse immédiate" qui amènent à "placer un symptôme dans son contexte". Nouvelle séquence de consultation. Cette fois c'est un homme âgé, montré profil bord cadre droit, qui consulte. Le médecin évoque son chat, ajoute : "Finalement,c'est lui qui vous a retenu...". L'homme se rejette sur le dossier de sa chaise, répond : "Quand on perd le goût de vivre, c'est terrible, vous savez. Quand plus rien ne vous intéresse, à quoi ça sert de - excusez-moi du mot - s'emmerder sur la terre?" Il avoue avoir été récemment tenté de se supprimer après avoir tué son chat, part d'un petit rire. "J'en rigole maintenant, mais je n'ai pas toujours ri." Le médecin ne répond que par des monosyllabes, comme si sa priorité était de laisser parler le patient, de l'amener à formuler toute son expérience de la dépression. (18:02)

Les attentes des habitantes à la fois femmes, mères, et professionnelles

Retour à l'entretien avec le Dr. Coullboeuf. Il évoque la consultation d'une jeune femme qui vient lui demander une ordonnance pour qe son fils acquiert des semelles orthopédiques. La conversation qui s'engage permet au médecin de mettre au jour l'angoisse qu'éprouve cette femme de tomber de nouveau enceinte et son désir d'avoir une activité professionnelle (seconde mention de la nécessité que les habitantes de la cité nouvelle puissent exercer un métier). Résultat : il prescrit des contraceptifs plutôt que des semelles. L'enfant, qu'il a continué de suivre, s'est mis à aller mieux. Cependant, sa mère est revenu voir périodiquement le médecin pour continuer la prescription de contraceptifs. " C'est de la médecine, conclut le Dr. Coullboeuf." Selon lui, l'enfant a été amené "comme un symptôme pour un problème qui était difficilement présentable de prime abord".

Il enchaîne en affirmant qu'un motif fréquent de consultation est de "s'assurer que l'enfant va bien." A l'image, un enfant en bas-âge, examiné. Selon le Dr. Coullboeuf, "les femmes de cette cité" qui viennent consulter pour leurs enfants, exerçant un métier, viennent chercher une "réassurance" auprès du médecin. Elles ont peur que leur responsabilité professionnelle les amène à ne pas suffisamment s'occuper d'eux. "Elles se sentent culpabilisées car il faudrait qu'elles résolvent l'impossible à savoir d'être à la fois au travail, chez elles, etc." Pour le Dr. Coullboeuf, il est important de ne pas "éluder l'inquiétude de la mère", de profiter de cette occasion pour approfondir la connaissance de la vie de la famille, d'en savoir davantage sur le passé de cette femme. A l'image, un geste du médecin pour examiner l'enfant fait pleurer celui-ci, le médecin fait pivoter son stéthoscope pour le distraire alors que la mère le câline pour le consoler et le rendre disposé à subir la suite de l'examen. Cette scène est tournée en gros plan, serrant sur les trois protagonistes alors très proches les uns des autres. Ce choix dans l'échelle de plan suggère l'intimité qui s'instaure enter le médecin et le duo constitué par la mère et son enfant. Le Dr. Coullboeuf conclut, en voix off : "C'est pourquoi en médecine générale, on ne devrait jamais considérer qu'une consultation est banale ou a peu d'importance." (22:06)

L'enfant dans le système de la cité

A l'image, deux enfants plus grands, âgés sans doute de six et huit ans, entrent dans le cabinet du médecin, amenés cette fois par un homme qui doit être leur père. Le Dr. Coullboeuf, en off, évoque "une pathologie scolaire extrêmement fréquente." Pour l'expliquer, il développe en livrant une analyse des enjeux éducatifs contemporains et des répercussions sur la santé des enfants des nouveaux modes d'encadrement qui leur sont imposés : " Notre société actuelle qui parait de plus en plus libérale et débonnaire, et qui paraît s'intéresser de plus en plus aux individus en fait ne tolère pas l'écart d'un individu par rapport à la moyenne." Il déplore la "rigidité extraordinaire du milieu scolaire par rapport à la simple turbulence de l'enfant, à la variabilité des performances scolaires de l'enfant." Selon lui, l'enfant d'aujourd'hui doit donner des gages de suivi scolaire, se conformer à la norme des mensurations, et adopter l'attitude qui permet "à une classe de 40 élèves d'être gouvernable facilement". Le médecin évoque des parents angoissés après avoir été convoqués par des cadres éducatifs, qui viennent consulter pour "des enfants qui, ben oui, sont normaux. C'est des gosses, quoi..." A l'image, l'aîné des enfants qui adresse un sourire au médecin resté hors champ montre qu'il est à l'aise et confiant dans le cadre de la consultation.

Par cette séquence, le médecin montre qu'il ne rechigne pas à adopter la posture de l'homme de "bon sens". Cependant, son témoignage est celui d'un observateur social : de voir au plus près la population de Sarcelles l'amène à saisir les différentes aspects qui caractérisent son environnement - la pression sur les femmes qui cumulent les responsabilités parentales et professionnelles, ou les problèmes comportementaux attribués à des enfants qui sont projetés dans un cadre éducatif rigide dans des établissements en surnombre. (23:08)

Fatigues et vie professionnelle

Le Dr. Coullboeuf poursuit en évoquant le "grand nombre de fatigués assez difficiles à analyser" qu'il est amené à rencontrer. Selon lui, c'est l'évolution de leur vie professionnelle qui intervient dans l'"étologie de la fatigue". Il cite le cas d'un homme investi d'une nouvelle responsabilité, qui, en contrepartie de la promotion qui l'accompagne, doit affronter des exigences supplémentaires : "Il est devenu très exposé". Lalou intervient : "Votre rôle n'est pas de supprimer ces tensions." Coullboeuf répond que le médecin doit prendre garde à ce que ces tensions "ne se déplacent pas" et "qu'elles soient résolues à leur véritable niveau." Il estime qu'il faut admettre que ces tensions donnent lieu à une maladie pour se rendre acceptables, mais que pour autant, il faut aider le patient "plaignant" à analyser correctement son problème. Encore une fois, le médecin rend attentif au fait qu'il est appelé aujourd'hui à analyser la sollicitation du patient selon le contexte social dans lequel celui-ci évolue. Il doit prendre en compte la donnée sociale pour évaluer "ce qui fait la maladie", comment elle est susceptible de rejaillir sur le comportement et de générer des charges psychologiques qui s'expriment en problème de santé. Pour lui, ces situations ne relèvent pas de la psychiatrie. "Je ne suis pas un spécialiste. Je les écoute puisqu'ils viennent me voir moi, et je ne récuse pas leurs demandes. J'essaie de les résoudre avec ce que je suis tout en essayant de savoir comment ce que je suis puisse interférer avec ce que me demande le malade." Il a suivi une formation en ce sens, afin d'acquérir un recul par rapport à lui-même et "accueillir plus objectivement la plante des malades". Pendant qu'il s'explique, le Dr. Coullboeuf regarde Etienne Lalou dans les yeux, cherche ses mots, s'aide avec ses mains. Il se montre spontané, essayant d'exprimer la dimension réflexive qu'il intègre à sa pratique, n'agit pas comme un professionnel en pleine maîtrise de son discours, qui ne veut pas se laisser déborder par les réflexions qui l'assaillent au moment où il fait son exposé.

Scène de visite. Dans un appartement, un homme d'une trentaine d'années explique qu'il a chuté pendant qu'il cherchait à installer une tringle à rideau. Il évoque une douleur à la hanche qu'il éprouve régulièrement non pas depuis l'incident mais avant sa survenue. Le médecin l'interroge sur son activité professionnelle, il répond qu'il doit faire des déplacements réguliers en mobylette. La conversation se déplace sur l'épouse et la fille du patient, le médecin cherchant à saisir la motivation première de la venue du patient : derrière l'anecdote de la chute, une souffrance au travail ou bien des difficultés de vivre-ensemble au sein du foyer. (28:50)

Ecouter pour aider

Retour à la scène d'entretien, Lalou demande au médecin s'il est susceptible d'éprouver des angoisses analogues à celles que manifestent les patients qui viennent le voir. Au moment où il commence à lui répondre, le médecin refait le geste de chercher un stylo et de commencer à écrire (ce qui ne l'empêche pas de continuer de regarder le journaliste dans les yeux). "Chaque fois qu'un malade vient me voir, je suis mis en cause au niveau professionnel et au niveau humain tant il est vrai que le médecin est investi de beaucoup plus encore que d'un pouvoir scientifique." Selon le médecin, cet investissement aide à supporter l'idée de la mort. Cette attente est si forte que "nous sommes toujours au-dessous de ce qu'on attend de nous". Comment se défend le médecin? "Le symptôme du malade mobilise tout de suite chez le médecin une grande activité qui lui permet de lutter contre l'angoisse". En plan de coupe, la patiente du début du film qui dit ne pas avoir peur de mourir mais pense à ses enfants qui continuent d'avoir besoin de leur mère. Retour au médecin, qui reprend, évoquant ses débuts à Sarcelles. Il se rappelle s'être demandé quels étaient, chez les patients qui venaient le voir, "ces symptômes qui ne ressemblent à rien". Plan de coupe, nouvelle intervention de patiente, cette fois la femme d'une quarantaine d'années qui a déjà confié à Lalou son sentiment de "tourner en rond" : "Moi, c'est ma nature, je ne suis jamais contente". Le médecin qui enchaîne ajoute que chaque consultant a ses raisons de venir, et que c'est l'écoute qui permet de savoir comment leur "maladie, parfois réelle, s'intrique avec le reste de leur vie, leur personnalité." Il convient qu'une tant que médecin, il reste un technicien qui prescrit des médicaments et suggère des régimes, mais il faut accompagner ces actes d'explications qui permettent à ses patients de "vivre leurs traitements". L'évocation du régime comme mode de soin entraîne une séquence de consultation où le Dr. Coullboeuf, après avoir étudié des résultats d'examens d'une patiente, annonce à celle-ci que sa glycémie est excessive. "On va pour faire mourir de faim, mais il va falloir sélectionner les aliments. Les pâtisseries de votre mari, c'est fini!" Son rire est jovial, mais son discours est net. (33:41)

Régler l'acte : la part de la rémunération dans la relation avec le patient

La même séquence montre l'acte de paiement qui suit la consultation. Gros plan sur ses mains qui comptent les billets, la voix du médecin en off précise : "25 francs". La caméra panotte pour suivre le geste de la patiente qui tend le règlement au médecin qui le reçoit. Retour à l'entretien où la question économique est posée. Il est certain qu'il faut que j'accepte un certain nombre d'actes médicaux pour assurer ma vie matérielle. Je fais de la médecine par profession, pas par philosophie." Pour li, cet aspect doit être entendu par les patients. "Les malades viennent chercher chez moi quelque chose qui a son prix, dont ils s'acquittent." Ils ne s'adressent pas à un "philantrope". Cette matérialité économique de la relation permet de niveler celle-ci, de l'assainir en la normalisant au sein d'un système. "L'argent donne de la dignité à la relation." Plan sur le Dr. Coullboeuf qui remplit un formulaire de sécurité sociale, autres plans de règlements avec d'autres patients, y compris en visite. "Le médecin n'est pas celui d'un pouvoir anonyme. Le caractère d'assuré social du malade n'enlève rien à son indépendance et le fait qu'il règle lui-même mes honoraires est pour moi essentiel."

Mise en garde contre une évolution techniciste de la médecine

Le Dr. Coullboeuf défend une médecine du quotidien, responsable, qui correspond aux besoins des patients. Il récuse une médecine excessivement scientifique et technique, qui s'apparente aux activités "de la NASA". Il estime qu'il faut rester prudent devant les annonces sur les possibilités nouvelles de greffe de foi, opération qui continue de présenter des risques et peut entraîner des souffrances chez le malade, il trouve par ailleurs déplacées les annonces triomphalistes sur ce sujet. "Le médecin c'est quelqu'un qui doit soulager, qui doit prendre en charge l'intérêt de l'individu malade." Aussi doit-il reconnaître ses limites, sa grandeur consiste aussi à s'y confronter. Très gros plan sur le visage du Dr. Coullboeuf qui fronce les sourcils, intensifie son regard au moment où il livre le fond de sa pensée. Le médecin, selon lui, doit aider, par "son humanité profonde", aider le malade à "supporter sa condition humaine. Faute de quoi, on entre dans la science-fiction, c'est intolérable!" (39:55)

Scène de visite. Un couple de vieilles personnes avec le médecin dans un salon. Le médecin demande à examiner l'homme qui a gardé son manteau, son béret sur la tête et un foulard autour de son cou. Pendant qu'il se rend dans sa chambre, le médecin interroge son épouse sur sa santé. Elle lui montre son bras bandé, il l'examine. A mesure du travelling en plan moyen se découvre un intérieur meublé à la mode de l'après-guerre. Etendu sur son lit, l'homme est toujours coiffé de son béret. Le médecin l'interroge sur son moral, il répond avec un hochement de tête fataliste. Examen au stéthoscope. "Bon, ça va pas trop mal, mais il faut manger un peu!" "Je n'ai pas faim!" "C'est comme l'âne du père Martin qui s'est habitué à ne plus manger..." "Oui, il est mort!" La conversation se poursuit sur les menus quotidiens. De nouveau, le film traite la médecine générale par la question de l'alimentation. (42:58)

L'enjeu actuel de la formation

Retour à l'entretien avec Lalou : "Comment voyez-vous l'avenir de la médecine généraliste?" "je la vois avec une certaine confiance, malgré les obstacles qui parsèment sa route. Depuis une dizaine d'années, un certain nombre de progrès ont été faits, et ce qui commence à se savoir, c'est que la médecine générale est un laissé-pour-compte, un champ aveugle dans la recherche scientifique. On commence à savoir que l'hôpital, après avoir été conçu comme un modèle idéal d'organisation n'est en fait qu'un maillon important, indispensable dans certaines situations mais qu'il comporte aussi des inconvénients, un coût prohibitif, et une nocivité certaine parce que c'est un milieu destructurant où l'individu se sent exposé, perd son individualité. Ceci n'a rien à voir avec la qualité humaine des médecins qui fonctionnent dans le système hospitalier. C'est la loi de leur situation." Les propos du médecin sont couverts par des plans urbains sur les abords et les bâtiments d'un hôpital, avec des zooms sur les façades comportant des alignements rébarbatifs de baies vitrées, zooms inutiles puisqu'ils ne font que grossir dans le champ l'une de ces baies vitrées pareilles aux autres. Un travelling "en virage" passe de l'un de ces blocs à un alignement de pavillons individuels de l'autre côté de la chaussée qui les borde, rappelant les différentes types d'habitats populaires qui se côtoient à Sarcelles à mes sure de son histoire. Ces plans qui contextualisent la parole du médecin montrent qu'elle a trait aux zones urbaines les plus récentes, et qu'à ce titre, la médecine généraliste est à sa manière impliquée das la modernisation de la société.

En plans de coupe, dernières vues de visites de médecins dans différents appartements. Le Dr. Coullboeuf rappelle la récente mise en place de la société Balint qui forme des groupes de travail permettant "d'aborder les problèmes de la médecine générale." Il évoque des formations adressées aux médecins généralistes, dirigées par d'autres médecins généralistes en collaboration avec l'hôpital et l'université. Il cite "l'expérience de Bobigny qui rencontre, il faut bien le dire, des obstacles considérables de la part de la féodalité médicale. Cette expérience de formation des généralistes est capitale pour l'avenir de la médecine générale." Le Dr. Coullboeuf évoque pour finir la Société française de médecine générale fondée l'année passée "qui s'intéresse à la formation post-universitaire." Ce type de formation devait être prise en mai par le système hospitalo-universitaire et la Sécurité sociale, mais grâce à cette initiative, elle est prise en charge par des "praticiens indépendants qui cherchent à en faire un outil adapté".

Pendant le générique de fin, succession de plans très beaux sur une enfant qu'examine le médecin vu de dos, en amorce bord cadre gauche. Ils échangent, l'enfant sourit puis, laissé seul dans le plan, prend un air songeur.

Notes complémentaires

Références et documents externes

Paul Landauer, "La SCIC - premier promoteur français des grands ensembles" Histoire urbaine, n°23/3 (2008), pp. 71-80, en ligne.

Ce bulletin décrit les dispositions d'accompagnement social prises pour les habitants de Sarcelles : petite enfance, loisirs, vie associative.

Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Joël Danet