Julian de Ajuriaguerra

De Medfilm


Spécialités : psychiatre  et  psychanalyste

(d'après la notice biographique du Collège de France).

Carrière et repères biographiques

Né le 7 janvier 1911 à Bilbao (Pays Basque espagnol). Décédé à Villefranque, près de Bayonne, le 23 mars 1993.Issu d'une famille basque espagnole de milieu rural, il suit sa scolarité à Deusto, près de Bilbao, chez les Frères des Écoles Chrétiennes, puis au <gallery> lycée. Il apprend le français au cours de vacances d'été, avant de partir pour Paris, à l'âge de 16 ans.

1927-1933 : Études de médecine à Paris. Loge au foyer pour étudiants catholiques, rue Madame.

1930 : Externe des hôpitaux de Paris.

1933-1936 : Il passe le concours de l'internat des Hôpitaux psychiatriques de la Seine et occupe un poste d'interne à Sainte-Anne. Pendant cette période et jusqu'en 1950, il a le statut de médecin étranger. À ce titre, il est logé et nourri au sein de l'hôpital mais non rémunéré, ce qui l'oblige à effectuer des remplacements d'infirmier (qui lui seront interdits au début de la guerre par un décret de Pétain) et des conférences d'Internat. Il suit les enseignements de André-Thomas, Jean Lhermitte, Paul Guiraud, Louis Marchand, Henri Claude, Pierre Janet, Gaëtan de Clérambault... et côtoie intellectuels et artistes, surréalistes pour beaucoup, tels Dominguez, Éluard, Bunuel, Breton, etc. qui se réunissent régulièrement dans la salle de garde de l'hôpital Sainte Anne. Il poursuit parallèlement ses études de médecine en Espagne où il passe aux cessions de septembre des examens à l'Université de Valladolid, puis de Salamanque, mais il ne pourra passer les dernières épreuves en raison de la guerre civile. 1936 : Doctorat d'université en médecine. Sa thèse La douleur dans les affections du système nerveux central est préfacée par Jean Lhermitte.

1938-1946 : Assistant de Jean Lhermitte au Laboratoire d'anatomie du système nerveux. Collaborateur d'André-Thomas à l'hôpital Saint Joseph et à l'hôpital Port-Royal. Médecin consultant à l'hôpital Henri Rousselle (Centre Hospitalier Sainte Anne). Membre actif du groupe « Batia », à l'origine de la « sectorisation » de la psychiatrie en France.

1942-1945 : Militant de la Résistance.

1945 : Mariage avec France Alberti, d'origine Corse, dont il aura deux enfants : Mikel (né en 1948) et Isabelle (née en 1953).

1946 : Nommé professeur agrégé de neurologie et de psychiatrie, à titre étranger.

1946-1959 : Il crée, avec René Diatkine, à l'hôpital Henri Rousselle une « Équipe de recherche et de rééducation des troubles de la psycho-motricité et du langage » qui sera reprise par Jean Bergès.

Médecin consultant de neuropsychiatrie infantile au Centre neurochirurgical des hôpitaux psychiatriques de la Seine. Il y fonde et dirige un laboratoire d'anatomie pathologique avec David, Lhermitte et Talairach.1948 : Séjour en Belgique avec Hécaen chez le Professeur Van Bogaert à l'Institut Bunge d'Anvers.

1949-1952 : Il suit une analyse didactique avec Sacha Nacht.

1950 : Ayant obtenu la nationalité française, il passe le baccalauréat français et valide ses études antérieures de médecine.

1950-1959 : Maître de recherche à l'Institut national d'hygiène (devenu INSERM en 1963).

1954 :Doctorat d'État en médecine. Crée la revue La Psychiatrie de l'enfant avec R. Diatkine, S. Lebovici et R. Crémieux.

1959-1975 : Titulaire de la chaire de psychiatrie à l'Université de Genève, chaire laissée vacante par le décès du Pr Ferdinand Morel. René Tissot lui succédera à ce poste. Il dirige conjointement la clinique universitaire psychiatrique de Bel-Air, à Chêne-Bourg.

1975-1981 : Professeur au Collège de France, Chaire de Neuropsychologie du développement.

1978 : Dirige le plan d'assistance psychiatrique mis en place en Espagne par le ministre de la santé.

1980-1986 : Membre correspondant étranger de la Real Academia Nacional de Medicina de Madrid.

1983-1984 : Professeur associé à l'Université du Pays Basque.

1982-1986 : Anime une « Équipe de recherches sur le développement neuropsychologique du nourrisson » composée de Auzias, Casati, Candilis Kheroua, Robin, Séchan, installée à la crèche municipale de la rue Cabanis, à l'entrée de l'hôpital Sainte-Anne.

1983-1984 : Enseigne dans le département de psychiatrie de l'Université du Pays Basque.

1986 : Malade, il cesse toute activité publique.

Distinctions honorifiques : 1938 : Prix Déjerine pour ses travaux sur les polynévrites expérimentales, sous la direction de Jean Lhermitte. 1974 : Prix des Sciences de la ville de Genève. 1978 : Docteur honoris causa de l'Université du Pays Basque/Euskadi. 1982 : Docteur honoris causa de l'Université de Barcelone.


Le parcours dans la psychopathologie de l'enfant

Parallèlement à ces recherches neurologiques, anatomo-pathologiques, psychiatriques et psychopathologiques portant essentiellement sur l’homme adulte, il s’était déjà engagé dans l’étude de la psychopathologie de l’enfant à partir de la dynamique psychologique évolutive. En 1958, création avec S. Lebovici et R. Diatkine de la revue La Psychiatrie de l’Enfant. Puis publication en 1970, de son Manuel de Psychiatrie de l’Enfant, réédité en 1978 et restant comme traité de référence.

Il résume ainsi, en 1974, son approche : « Les notions de normal et pathologique, déjà si difficiles à cerner chez l’adulte le sont encore plus chez l’enfant en évolution. Il est nécessaire de les étudier par des approches diachronique et synchronique (comme certains linguistes le pensent pour la langue, l’organisation psychologique fonctionne synchroniquement et se constitue diachroniquement) et de tenir compte à la fois du potentiel biologique de l’enfant, de sa maturation en général et de son système nerveux en particulier, de son activité propre face à autrui et des réactions de l’entourage. Ceci dit, il y a un certain nombre de problèmes que j’aimerais approfondir, car toujours en discussion. J’aimerais, entre autres, définir les notions d’intégration et de désintégration des fonctionnements neuropsychologiques à partir d’une étude critique des diverses doctrines neuropsychologiques du développement, et plus particulièrement à travers les différentes écoles de psychologie génétique. Je souhaite également traiter les problèmes posés par la maturation et l’environnement (état actuel des connaissances sur la maturation ; importance des facteurs afférentiels au cours du développement – stimulations, carences ; distorsion du développement par défaut d’afférences générales ou partielles). Il me paraît aussi important d’étudier les problèmes posés par les stades de développement (continuum ou paliers, organisateurs et moments féconds), les périodes critiques et les périodes sensibles….. En fait, mon but général est d’établir une méthodologie nous permettant de mieux aborder l’histoire naturelle de l’enfance » (J. de Ajuriaguerra, Professeur à la Faculté de Médecine de Genève, Titres et travaux scientifiques, 1974). Ajuriaguerra quitte Genève en 1975 pour aborder une dernière étape de sa carrière. Il est nommé à la Chaire de neuropsychologie du développement au Collège de France de 1975 à 1981.

Dans sa leçon inaugurale au Collège de France le 23 Janvier 1976, il se réfère, concernant les apports de la psychopathologie notamment, à Ribot, Janet, Piéron, Wallon, pour les données en psychiatrie ; à Pieron et Wallon pour la neuropathologie et retient, en psychologie de l’enfant, Wallon qui fut le premier à décrire la hiérarchie des conduites et à établir une ontogénèse des conduites discontinues. Ajuriaguerra se fonde sur les notions d’« équipement de base » anatomo-physiologiques et de « préformes d’organisation », potentialités qui s’actualiseront en réalisations fonctionnelles. Il souligne que les stimulations sont des besoins primaires. «… Il va sans dire que le rapport contrainte/liberté se modifie diachroniquement de la naissance à l’âge adulte et synchroniquement au cours des étapes ».

Il réfléchit, historiquement, à la place de l’enfant et à celle du nourrisson, rappelant que Preyer a établi les premières ébauches d’une sémiologie du développement du nourrisson, puis Baldwin tenté d’expliquer les processus de ce développement. Le développement de l’activité mentale procède « autant par évolution que par involution, et les éléments premiers disparaissant bientôt derrière la toile de phénomènes plus complexes dont ils forment la trame. ….. Tous les processus de l’évolution psychique ne semblent être que des formes différenciées d’un même processus fondamental, d’une réaction sensori-motrice ». L’étude du développement de l’enfant se fait par différentes voies, dont celle de l’ontogénèse fonctionnelle (Freud, Wallon, Piaget), la position de Gesell étant particulière. Ajuriaguerra retient que Piaget, en 1970, à l’Association Psychanalytique Américaine, affirmait qu’« il convient de songer dès aujourd’hui à la fondation d’une psychologie générale portant simultanément sur les mécanismes découverts par la psychanalyse et sur les processus cognitifs ». Pour Ajuriaguerra, « il faut s’efforcer d’appréhender la mutualité des choses, à la fois ce que la nature offre à l’enfant et ce que l’enfant et son entourage organisent dans les situations successives de l’évolution maturative d’une part, relationnelle de l’autre, évolution qui s’effectue dans un temps et un milieu donné ». Il souscrit à la notion de « holding » de Winnicott, qu’il appelle la « maintenance », notion qui se réfère à un certain nombre d’attitudes et de comportements mère/enfant au cours des premiers échanges. En fait, le problème est plus complexe car il y a une première phase, celle du désarroi, du non-savoir-faire. La « maintenance » est tout un monde dans lequel l’espace et le temps de la mère doivent prendre forme par tâtonnements. « Le désir, le besoin et le devoir-faire, au lieu d’être complémentaires, peuvent être contradictoires. L’accomplissement des actions de la mère pour la maintenance de l’enfant peut être dans certains cas discontinu et perdre ainsi le liant de la spontanéité. Cette fragmentation temporo-spatiale désorganise les automatismes élémentaires. Or, la mère peut surinvestir non seulement l’enfant en tant que tel, mais également sa façon de bien ou mal faire les choses. Tant que les automatismes ne sont pas réorganisés, il existe un mode de relation dans lequel la mère ne répond pas tout à fait à ce dont l’enfant a besoin. Si la mère se cherche, l’enfant, de son côté, cherche un certain type de donation qui apportera une réponse à ses besoins impérieux. Il y a un temps de flottement avant que s’établisse cette mutualité indispensable. La mère recherche dans les activités de l’enfant l’information et la confirmation du bien-fondé de son activité ». « C’est dans la confrontation entre un homme tout fait ayant plus ou moins bien utilisé son potentiel et l’enfant en train de se faire utilisant sa mécanique, que se trouve la réalité de l’ontogénèse. Il est impossible de connaître la psychologie de l’enfant en méconnaissant celle de l’adulte qui participe à sa formation. L’enfant créé est actif dans son développement. Il porte en lui son futur, offert par la nature, mais malgré ses limitations, il est créateur du présent successif. C’est à partir d’une ébauche que l’enfant devient un « être humain » ; c’est à partir de la mécanique, des monologues que l’homme devient dialoguant, c’est-à-dire présence avec et dans l’autre. C’est dans ce dialogue et grâce à une certaine fixité du code génétique qu’à partir d’une prospective générale, il créera, avec l’aide de l’environnement, son propre projet ».

Pendant ces années, de 1975 à 1981, ainsi que de 1981 à 1986, mettant en forme et validant sa méthodologie annoncée, il réunit et anima « l’Equipe de Recherche sur le développement neuropsychologique du nourrisson », formée de M. Auzias (Maître de Recherche INSERM), I. Casati (Ingénieur de Recherche CNRS), D. Candilis (Assistante de recherche Psychologue), H. Khéroua (Assistant-Ingénieur INSERM), M. Robin (Chargée de Recherche CNRS) et D. Séchan (Technicien INSERM).

- d'après Laurence Vaivre-Douret, Perspective historique sur les principaux apports d’Ajuriaguerra, tant en neurologie qu’en neuropsychologie du développement, 2016 sur Psynem.org.


Texte du Dr Évelyne LENOBLE (30 juin 2016)
Praticien hospitalier
Responsable de l’Unité de Psychopathologie de l'Enfant et de l'Adolescent
Centre Référent pour les Troubles du Langage et des Apprentissages
Centre Hospitalier Sainte-Anne

L’hôpital Sainte-Anne, dans sa mission de référence et de transmission des savoirs dans le champ de la neurologie et de la psychiatrie, a accepté de recevoir un don précieux : celui d’une partie des archives de Marguerite Auzias, fidèle et proche collaboratrice de Julian de Ajuriaguerra, grande figure fondatrice de la neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent en France.
L’intérêt scientifique et historique de recueillir ces documents tient bien sûr à la qualité et à la notoriété du travail accompli par J. de Ajuriaguerra (1911-1993) au cours de la seconde moitié du XXème siècle : travail marqué par la rigueur scientifique, la curiosité intellectuelle, la variété des sujets abordés, l’étendue des connaissances et l’humanisme des positions prises par cet homme de conviction et d’engagement.
Ce qui constitue le noyau de l’oeuvre d’Ajuriaguerra, ce qu’il a laissé pour les générations futures de cliniciens (pédopsychiatres, psychiatres, neurologues, neuropédiatres, psychologues, neuropsychologues, psychomotriciens etc…) a été élaboré, selon les témoignages de ses collaborateurs directs, au sein de l’Hôpital Sainte-Anne, dans un contexte d’échange et de bouillonnement intellectuel qu’il convient de rappeler :
J. de Ajuriaguerra, clinicien remarquable et chercheur infatigable, s’était beaucoup déplacé entre différents univers : clinique, scientifique, philosophique et linguistique. Venu du Pays Basque, il avait le basque pour langue maternelle, le castillan pour langue scolaire et le français pour langue universitaire. Son immense culture lui avait fait côtoyer nombre d’oeuvres majeures (dont celles de Freud, Piaget et Wallon) et recevoir l’enseignement de grands maitres (Jean Lhermitte et André Thomas pour la neurologie, Henri Claude, G. de Clérambault et Pierre Janet pour la psychiatrie).
En 1946, cet homme d’engagement ayant traversé les bouleversements des années 1930 et 40 sans jamais céder sur ses convictions, est accueilli à l’Hôpital Sainte-Anne, reconnu par ses pairs pour ses connaissances, son intelligence et sa créativité. Il est médecin, neuropsychiatre, mais sa candidature officielle en tant que médecin hospitalier n’est pas possible en France…Julian de Ajuriaguerra ne s’arrête pas à ce genre de choses, il travaille auprès de ses collègues à Sainte Anne, construit de façon prémonitoire peut-on dire, des liens précieux entre psychopathologie et neurobiologie, et crée, au sein des structures historiques de l’Hôpital Henri Rousselle, à Sainte Anne, une consultation pour les enfants ayant « des troubles du langage, de la motricité et de l’affectivité ».
J. de Ajuriaguerra s’entoure à cette époque de collaborateurs (M. Auzias, J. Bergès, S. Borel-Maisonny, R. Diatkine, M. Stambak, R. Zazzo et beaucoup d’autres…) tout aussi créatifs que lui, et invente ainsi, dans un tout petit bureau, les bases de ce qui deviendra la clinique pédopsychiatrique. Il sera d’ailleurs l’auteur du premier traité de psychiatrie de l’enfant paru en français.
Parallèlement, il continue ses travaux du côté des liens entre neurologie et psychiatrie, quelque soit l’âge des patients concernés, et publie régulièrement avec Henri Hécaen, dont une partie des archives se trouve également à la bibliothèque de l’Hôpital Sainte-Anne…
En 1959, Julian de Ajuriaguerra, quitte Sainte-Anne pour la Suisse, où un poste de Professeur l’attend à la faculté de médecine de Genève. Il reviendra en France en 1976 pour occuper jusqu’en 1981, la chaire de neuropsychologie du développement au Collège de France et parfaire ainsi une carrière brillante et passionnante.
Du passage de J.de Ajuriaguerra à l’hôpital Sainte-Anne, il reste une consultation, toujours active et se référant aux apports de ce maître en continuant de travailler sur la clinique des enfants présentant des troubles du langage et des difficultés d’apprentissage, ceux que ce grand clinicien avait introduit dans son traité de Psychiatrie de l’Enfant sous le terme, nouveau à l’époque, d’enfants « dys » : dysphasiques, dyslexiques, dyspraxiques2… Un point l’intéressait fortement parmi tous ceux sur lesquels peut buter un enfant dans ses apprentissages : l’écriture. Une pratique clinique originale en est née : la graphothérapie clinique, toujours pratiquée et enseignée à l’hôpital Sainte-Anne… au sein de l’Unité de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent, identifiée officiellement depuis 2001 comme Centre Référent pour les Troubles du langage et des Apprentissages chez l’Enfant.
Aux côtés de cet héritage clinique, il restera maintenant, sur le site même de l’Hôpital Sainte-Anne, un héritage de documents, dont une bonne partie se présente sous forme de films, sorte de « films d’archives historiques » selon l’expression de Marguerite Auzias. Ce type de support, particulièrement propice aux travaux de recherche et à la transmission des connaissances, restitue en effet la pensée de ce grand maître en donnant une idée de « son style », grâce à l’image en mouvement et à la voix de J. de Ajuriaguerra, lui-même très intéressé par l’iconographie et le cinéma.
La bibliothèque Henri Ey pourra s’enorgueillir de ce nouveau fonds précieux…

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