La Prostituée (1926)
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Sommaire
Générique principal
LA PROSTITUÉE
BELGOSKINO 1926
SCÉNARIO : N. GALKIN, E. DEMIDOVITCH
RÉALISATEUR : O. FRELIKH
CAMÉRAMAN : N. WINKLER,
DÉCORATEUR : À. SMIRNOFF, DANI
MONTAGE : E. CHOOB
ASSISTANTS : V. GUTIN, T. KRZHIVOBLODSKAYA
IMAGES ANIMÉES : À. NAYDICH
AUTEUR DES CARTONS : V. SHKLOVSKY
Contenus
Thèmes médicaux
- Prévention et contrôle des maladies infectieuses et contagieuses. Prévention des épidémies
- Pathologie du système uro-génital. Affections urinaires et génitales
- Maladies infectieuses et contagieuses, fièvres
Sujet
Les causes sociales de la prostitution en Russie soviétique et ses liens avec la propagation des maladies vénériennes.
Genre dominant
Résumé
Lyuba, une jeune orpheline, tombe dans la prostitution après que sa tante l'a "vendue" à un voisin puis chassée de chez elle. Au bout de quelques mois, une autre prostituée, Manka, l'aide à trouver du travail dans l'atelier de couture de l'hôpital où elle-même est soignée pour une maladie vénérienne. Lyuba échappe ainsi à sa situation et se met en couple avec un jeune homme nommé Shura. La tenancière de la maison de passe où elle travaillait autrefois menace de révéler son passé à Shura si Lyuba ne lui rembourse pas l'argent qu'elle lui doit. Lyuba avoue son secret à Shura. Au lieu de la rejeter, celui-ci l'aide à dénoncer la tenancière, ce qui conduit à la fermeture de la maison close.
En parallèle, Nadejda, voisine de la tante de Lyuba, mène une vie heureuse avec ses enfants et son mari jusqu'à ce que ce dernier meure dans un accident de la circulation provoqué par son alcoolisme. Sans moyen de subsistance, Nadejda est obligée de se prostituer pour nourrir et soigner ses enfants. Désespérée, elle tente de se suicider mais elle est sauvée de justesse par Shura et Lyuba. Shura l'aide à trouver un travail d'aiguilleuse de tramway. Sa petite fille peut aller au jardin d'enfants.
Manka, qui n'a jamais quitté la prostitution, a attrapé la syphilis. Elle reprend le traitement qu'elle avait interrompu mais son pronostic paraît sombre.
Au milieu du film, une "conférence" à laquelle assiste Lyuba présente les causes sociales de la prostitution en Russie soviétique ainsi que ses liens avec la propagation des maladies vénériennes.
Contexte
Contexte politico-historique : La nouvelle politique économique (NEP) s’étend de 1921 à 1928. Après la fin de la guerre civile, la situation dans le pays est désastreuse. Une partie importante de la production se trouve à l’arrêt. Pour la restauration économique et sociale du pays, il apparaît nécessaire de modifier l’ordre existant et les mesures qui provoquent de plus en plus de mécontentement parmi la population, jusqu’à susciter des soulèvements. Un pays sans intendance ne peut pas se nourrir. Lors de la transition vers la NEP, la taxe agricole est réduite de moitié, ce qui améliore la situation et favorise le développement. Des usines sont construites et des ouvriers embauchés. Certains éléments de l’économie de marché sont réintroduits (la création de l'Union soviétique l’avait complètement détruite). Cette période se caractérise par l’essai d’une relance de l’économie impulsée par l’État qui gère les productions, impose des normes, passe commande aux entreprises et établit des liens entre elles. Un financement substantiel accompagne ce processus. L’économie du pays se redresse, mais il manque un personnel de direction qualifié, un minimum d’investissements étrangers et un secteur privé actif.
Contexte médico-social : En 1649, la prostitution est condamnée par la loi. En Russie impériale, de 1843 à 1908, un examen médical obligatoire des prostituées est cependant introduit. Jusqu’à la révolution, la prostitution n’est pas interdite par le droit pénal mais il existe des peines pour proxénétisme qui sont appliquées. Immédiatement après la révolution de février, toutes les règles de police relatives à la prostitution sont abolies. Les "travailleuses du sexe" tentent de former des syndicats et de défendre leurs droits, comme les autres professions. Le gouvernement soviétique, sur la base de l’idéologie qui règne pendant la période dite du « communisme de guerre » (1918-1921), poursuit des prostituées. Lénine, parmi les mesures d'urgence destinées à prévenir un soulèvement à Nijni-Novgorod, exige qu'on "(fusille) des centaines de prostituées accusées de soûler des soldats". En 1919, un camp de travail forcé pour femmes est établi à Petrograd. 60% de ses prisonnières sont des femmes soupçonnées de prostitution. Dans le même temps, des tentatives de réinsertion sociale des prostituées en tant que victimes du système capitaliste sont entreprises — le film La Prostituée est un témoignage de cet effort.
À la fin de 1919, une Commission anti-prostitution est créée.
Dans les années de la NEP, la prostitution augmente de nouveau. Elle est pratiquée presque ouvertement par des représentants de toutes les couches de la société. Selon certains sondages, 40 à 60% de la population masculine adulte a recours aux services de prostituées. Une circulaire sur la lutte contre la prostitution est publiée en février 1923. La politique de l’état en matière de prostitution est contradictoire. Au début des années 20, les rafles de police et l'expulsion des prostituées des grandes villes sont communes. Dans la législation nationale de l'époque, la prostitution elle-même n'est ni un crime ni un délit criminel. Le Code pénal de RSFSR de 1922 contient deux articles à propos de la responsabilité pour les activités dans le domaine du commerce du sexe. Les condamnations qu'ils prévoient vont jusqu’à trois ans d'emprisonnement. L’article 170 définit une peine pour contrainte à la prostitution. L'article 171 prévoit une peine du même ordre pour proxénétisme, tenue d'un bordel et recrutement de prostituées.
L’aide sociale pour les prostituées devient une préoccupation majeure pour l’État. En 1922 est créé le Conseil Central de lutte contre la prostitution (Центральный Совет по борьбе с проституцией). Au milieu des années 30 est déclaré le principe de lutte contre la prostitution plutôt que contre la prostituée. Ce sont les difficultés de la vie et le mode de vie bourgeois-capitaliste qui sont considérés comme responsables de la prostitution. Les dispensaires vénériens commencent à fournir une assistance aux prostituées et une prise en charge contre les maladies vénériennes. Pour de nombreux conseils locaux, ces institutions deviennent des centres d'organisation de la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et la prostitution.
L’absence de déclin de la prostitution et les nombreux échecs des programmes d'encouragement pour le retour au travail, etc., provoquent une désillusion et la recherche de nouvelles méthodes de lutte. À la fin des années 30, les cadres du NKVD (Commissariat du peuple aux affaires intérieures) sont obligés de traquer les prostituées et les personnes soupçonnées d'être mêlées à la prostitution. Le 29 juin 1929, le Comité exécutif central de la RSFSR adopte un décret portant "sur les mesures de lutte contre la prostitution". Il envisage l'expulsion des prostituées dans les institutions de travail et de rééducation en 1929-1930. Déjà fin 1927, à la suite de la proposition du commissaire du peuple de la Justice de la RSFSR, on procède au "nettoyage de Moscou" : 400 prostituées sont envoyées aux îles Solovki. À la fin de la décennie, encore 80 prostituées de Leningrad y sont envoyées. Le changement de tendance, de la lutte contre la prostitution à la lutte contre les prostituées et la transition vers la dictature stalinienne mènent à la répression des prostituées et à la négation de l'existence de la prostitution en Union Soviétique.
Les vénéréologues notent dans leurs études que le nombre de prostituées et le nombre d'infections par maladies vénériennes diminue en 1928 par rapport à 1914. À partir de 1929, les prostituées sont envoyées dans des "institutions spéciales de rééducation par le travail forcé" contrôlées par le NKVD qui prennent la forme d’ateliers, de centres de prophylaxie du travail à moitié fermés et de "colonies" où les personnes sont soumises à un régime sévère. En cas de récidive après avoir été libérées d'une de ces "colonies", les femmes peuvent être envoyées dans des camps du NKVD. La plus grande colonie de prostituées est située dans le monastère de la Trinité-Saint-Serge (au nord-est de Moscou).
En 1937, les dispensaires d'anciennes prostituées sont transférés dans le système GULAG. Si au début des années 30, les personnes soupçonnées de prostitution sont soumises à des expulsions administratives, avec le déploiement de la Grande Terreur on les condamne à des peines d'emprisonnement pour des motifs politiques. Dans le même temps, toutes les informations sur la prostitution disparaissent de la presse, ce qui donne l’impression d’une disparition de ce phénomène alors qu’il n’a jamais cessé. Après 1929, seule la presse médicale, notamment la recherche en vénérologie, mentionne la prostitution. Le sujet est tabou chez les sociologues.
Contexte cinématographique : Le film La Prostituée (sous-titré Tuée par la vie) est l'un des premiers films fictionnels de l’Organisation cinématographique étatique de Biélorussie (Belgoskino). Il y a eu des débats pour savoir si ce film était ou pas la première œuvre du studio cinématographique biélorusse. En effet, dans le même temps au studio était tournée L’histoire de la forêt (Лесная быль).
La Prostituée a eu du succès auprès du public mais certains critiques y ont vu l'influence des "films bourgeois pseudoscientifiques allemands" (les Kulturfilme ?) Il a finalement été interdit car considéré comme "politiquement incorrect".
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Oui.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Oui.
- Cartons : Oui.
- Animateur : Non.
- Voix off : Non.
- Interview : Non.
- Musique et bruitages : Oui.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Ce film se présente comme un drame social, une fiction où s'entrecroisent les destins difficiles de trois femmes. Cet entremêlement se fait non seulement du point de vue narratif mais également du point de vue du montage (les péripéties de la vie de Lyuba et Nadejda sont montrées non pas successivement mais en parallèle, par une alternance de séquences parfois assez courtes). Chacune de ces femmes est confrontée à plusieurs personnages antagonistes (Tante Varvara et la tenancière de la maison de passe pour Lyuba, le boucher pour Nadejda, son ancienne patronne pour Manka, les clients et les policiers pour les trois femmes) et à un certain nombre de difficultés sociales : absence de logement, alcoolisme du mari, veuvage. Leurs souffrances et celles des enfants sont soulignées par des gros plans souvent assez longs sur leurs visages douloureux ou soucieux. Les "méchants" ont des regards fourbes, des sourires carnassiers et parfois une attitude caricaturale ou grotesque. Ces éléments suscitent un certain nombre d'émotions (pitié, révolte, inquiétude) chez le spectateur dont l'intérêt est également soutenu par la mise en place d'un suspens : les trois héroïnes réussiront-elles à s'en sortir ?
Pour deux de ces femmes, la solution à presque tous les problèmes arrive par l'intermédiaire de personnages salvateurs : le Dr Birman qui, en faisant embaucher Lyuba à l'atelier de couture du dispensaire, lui permet de sortir de la prostitution et Shura, seul personnage masculin positif de tout le film, qui sauve Nadejda de la mort et qui, d'une part, lui trouve un travail et reste loyal à Lyuba après avoir eu connaissance de son passé de prostituée ; et qui, d'autre part, l'incite à avoir une action qui mènera à la "punition des méchants" et à l'éradication d'une anomalie sociale (rédaction d'une lettre aux autorités qui mène à la fermeture de la maison close). On notera que le fait que Shura soit en position de recommander quelqu'un pour un travail sous-entend qu'il est komsomolets, c'est-à-dire qu'il est membre du Komsomol (l'organisation de la jeunesse du parti communiste de l'Union soviétique). Il représente le "Nouveau Monde" par opposition à tous les autres hommes du film (représentants de "l'Ancien monde") qui exploitent le corps des femmes.
Dans la lignée de très nombreux films et histoires, de façon générale, La Prostituée respecte les conventions du "Tout est bien qui finit bien" (Lyuba accède à une vie heureuse et insouciante avec un jeune homme bien ; l'avenir de Nadejda et de ses enfants est assuré), à une exception près : Manka ne pourra pas être sauvée car elle a commis l'erreur d'interrompre son traitement contre la syphilis pendant un laps de temps trop long, et peut-être aussi de se résigner à son destin de femme déchue au lieu d'essayer de sortir de sa situation comme elle a aidé Lyuba à le faire. C'est elle la véritable héroïne tragique de ce film ; c'est à elle que se réfère le sous-titre du film ː Tuée par la vie. Alors qu'elle donne le plus souvent l'impression de prendre son parti quant à sa condition, elle en est en réalité prisonnière et y succombera.
Le recours à la fiction et les arcs narratifs entremêlés sont en fait un prétexte pour attirer et retenir l'attention du spectateur en lui présentant dans un emballage familier et attrayant le véritable message du film, à savoir la "conférence" avec schémas animés du Dr Birman sur les causes sociales de la prostitution, ses liens avec la propagation des maladies vénériennes et la condamnation des hommes qui vont voir des prostituées (Cf la réaction de Lyuba à l'issue de la conférence (00ː50ː35)).
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
Le médecin qui apparaît dans le film, Dr Birman, est une femme. Elle est présentée comme quelqu'un qui fait preuve de compassion et qui aide les personnes en difficulté (c'est elle qui permet à Lyuba de trouver l'emploi qui la fera sortir de la prostitution), c'est-à-dire qu'elle a une action sociale en plus de son action médicale. On la voit aussi éprouver un sentiment de grande désolation en découvrant l'étendue des lésions syphilitiques de Manka et son probable pronostic défavorable.
Les problèmes de santé sont présentés comme étroitement liés aux questions de société. Pour enrayer la propagation des maladies vénériennes, il faut lutter contre la prostitution et ses causes en améliorant la condition féminine (ouverture d'orphelinats et autres types d'hébergements pour jeunes filles, développement de la formation professionnelle et de l'information sur toutes ces questions, etc.).
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
La première du film a eu lieu en février 1927 à Moscou. Ensuite, il a été projeté à Minsk (Biélorussie).
Communications et événements associés au film
Public
Audience
Descriptif libre
La prostitution côté glamour et côté sordide
Dans un restaurant, un homme s'entretient avec le serveur. Son compagnon acquiesce d'un air réjoui. Le serveur va transmettre un message au portier. Deux jeunes femmes arrivent, le portier les prévient qu'"ils" sont assis à gauche, derrière le pilier. Les deux jeunes femmes prennent un air ravi et ajustent leur toilette. Elles entrent dans la salle du restaurant où règne une ambiance joyeuse et animée (musiciens) et s'assoient à une table. Le second convive vu précédemment les remarque. Son attention est particulièrement attirée par les mouvements de pied séducteurs de l'une des deux jeunes femmes. Échange de regards et de sourires.
Un intertitre annonce que Tante Varvara a été gagnée par l’appât du gain. Une main masculine offre un verre de vin et des billets à Tante Varvara qui est presque hypnotisée par cette vue. La main masculine appartient à Vassily Dmitrich (sans profession). Courbé d'un air obséquieux, il est assis un peu plus bas que Varvara et la regarde compter les billets avec un sourire exagéré et des mouvements des sourcils qui lui donnent un air louche et le désignent instantanément comme un "méchant".
Retour au restaurant du début. Gros plan sur les musiciens qui jouent de façon animée. Les jeunes femmes sont désormais assises à la table des deux hommes. Les quatre personnages quittent le restaurant ensemble. Ici, la prostitution est présentée sous un aspect "glamour" : une rencontre joyeuse dans un restaurant animé entre des jeunes femmes élégamment vêtues et des hommes qui semblent avoir les moyens. Mais au lieu de montrer la réalité de la transaction commerciale entre ces personnes, c'est le retour sur Varvara et Vassily qui va donner au spectateur la clé d'une situation qui ne lui apparaît peut-être pas encore très clairement.
Varvara retourne chez elle car les deux compères ont entendu du bruit : c'est la nièce de Varvara, Lyuba, qui rentre à la maison. Vassily vient à sa rencontre et l'accompagne jusqu'à la porte de son appartement. Il lui adresse un sourire qui se veut aimable tandis qu'elle le regarde d'un air surpris et apeuré.
Varvara met en œuvre le stratagème convenu avec Vassily : elle reproche à Lyuba d'avoir été traîner dehors et la met à la porte. Vassily, qui a écouté toute la dispute, attire Lyuba chez lui avec la promesse d'un thé bien sucré. Le plan où il l'emmène chez lui est particulièrement marquant et significatif puisqu'on le voit littéralement pousser Lyuba dans le dos pour la faire entrer chez lui. Lyuba garde un air réservé et les yeux baissés jusqu'à ce que Vassily lui fasse boire une tasse de thé coupée d'alcool. Il lui offre à manger. (00ː07ː44)
La vie heureuse de Nadejda/Le piège se referme sur Lyuba
Dans l'appartement voisin, Nadejda vit heureuse avec son fils de 8 ans environ, et sa fille de 2-3 ans ; les deux enfants sont joyeux et en bonne santé. Son mari, Piotr, travaille pour le boucher Kondratieff au marché. (00ː08ː43)
Vassily semble tout à coup pris de folie. Lyuba est terrifiée. Il se jette sur elle. Leur position évoque un peu le loup se jetant sur le Petit Chaperon rouge. Elle résiste à peine, probablement engourdie par l'alcool, dans une attitude qui rappelle celle de Thymian séduite par Henning et quasiment inconsciente dans Le Journal d'une fille perdue (1929), à (00ː15ː40).
Pendant ce temps, Piotr Stupin joue avec ses enfants. Tante Varvara vient vérifier par le trou de la serrure de la porte de Vassily que leur plan a fonctionné. La famille Stupin se prépare à aller se coucher. Piotr se plaint d'avoir trop bu. Lyuba se réveille au milieu de la nuit et prend la mesure de ce qui vient de se passer. Varvara de dos prie et fait un signe de croix. Un intertitre passe de façon très fugace (il ne dure que 5 images). Il porte l'un des versets du Notre Père (Ne nous soumets pas à la tentation). Cette séquence est une attaque contre l'hypocrisie et la fausseté d'une personne qui se dit chrétienne mais vient d'infliger les plus grandes souffrances à son prochain.
Au matin, Nadejda trouve Lyuba dans le couloir où elle a fini la nuit. Elle la fait rentrer chez sa tante. Varvara réserve un très mauvais accueil à Lyuba et finit par la chasser de chez elle. Nadejda et Vassily entendent la querelle mais aucun d'eux n'intervient. Voici Lyuba à la rue, affamée et sans le sou. (00ː13ː26)
Une mauvaise rencontre pour Lyuba
Lyuba erre dans les rues toute la journée. Le soir venu, elle est attirée par les lumières et l'animation qui règnent dans le restaurant de la toute première séquence. Une femme apparemment gentille et attentionnée lui propose de l'accueillir chez elle.
Scène de vie familiale heureuse et insouciante chez les Stupin. En parallèle, Lyuba, à qui la femme a offert un lit chaud et moelleux, croit ses problèmes résolus. On verra rapidement par la suite que pour Nadejda comme pour Lyuba, le bonheur n'était que de courte durée.
Un peu plus tard, la femme fait entrer chez elle un homme âgé qui marche à petits pas et se dirige tout droit vers le lit de Lyuba. Un intertitre le désigne comme "Un habitué". Ce terme donne au spectateur la clé de l'endroit où se trouve Lyuba ː c'est une maison close. (00ː16ː54)
Manka
Dans un café. Manka, l'air déprimé et presque désespéré, est assise à une table avec un homme qui parle de façon très animée. Ils quittent le café ensemble puis s'assoient sur un banc dans un parc. La tenancière de la maison close arrive en tirant Lyuba. Elle la sermonne puis l'envoie "travailler". Lyuba passe devant Manka et l'homme. Celui-ci l'aborde sans ménagement. Elle se débat et Manka vient à sa rescousse. L'homme, mécontent, finit par partir. Lyuba se réfugie contre un arbre et laisse éclater son désespoir. Manka la console et lui dit ː "C'est notre destin." (00ː20ː02)
Lyuba apprend son métier et l'exclusion qui en découle
Les premières tentatives de racolage de Lyuba sont infructueuses. Un homme qu'elle poursuit la repousse, un autre choisit sa compagne plus souriante. Cependant, au bout de trois mois, elle est devenue plus subtile et manie mieux la séduction, même si les gros plans sur son visage résigné au début de cette séquence montrent combien cela lui coûte.
Nadejda est en train de laver du linge avec d'autres femmes dans un trou de la rivière gelée. Scène de vie quotidienne ː des hommes découpent la glace, des traîneaux tirés par des chevaux passent au loin. Lyuba passe à proximité et fait signe au fils de Nadejda qui est également présent. Elle lui offre des friandises mais Nadejda rappelle son fils et lui interdit de reparler à Lyuba car c'est "une femme perdue". La souffrance se lit sur le visage de Lyuba. (00ː24ː25)
La descente aux enfers de Nadejda
Lyuba découvre sur une feuille de papier journal avec laquelle elle voulait tenir son fer à boucler brûlant l'annonce du décès de Piotr Stupin qui a été renversé par un camion alors qu'il était en état d'ébriété. Elle supplie la mère maquerelle de lui prêter de l'argent et lui promet de travailler davantage. La mère maquerelle accepte bien que Lyuba lui doive déjà beaucoup d'argent et la regarde partir d'un air sournois.
Nadejda ayant laissé ses enfants à la maison se rend au marché (un carton précédent indiquait qu'ils étaient désormais sans le sou). Nadejda passe devant plusieurs stands de vente de nourriture fumante qu'elle regarde avec tristesse. Elle essaie de vendre des vêtements à deux femmes (ceux de son mari ?), mais ne parvient pas à se mettre d'accord avec elles. Elle s'adresse ensuite au boucher Kondratieff, l'ancien patron de son mari, mais ce dernier refuse de lui prêter de l'argent car elle lui en doit déjà beaucoup. Il lui propose de venir le rejoindre chez lui dans la soirée et l'enlace mais elle lui résiste et s'enfuit.
En rentrant chez elle les mains vides, elle trouve Lyuba qui a apporté à manger aux enfants. Le fils de Nadejda se régale de bon cœur mais sa petite fille est amorphe dans les bras de Lyuba. Lyuba s'attend à ce que Nadejda la chasse mais celle-ci lui présente des excuses. Elle comprend à présent comment elle en est venue à se prostituer. Les deux femmes tombent dans les bras l'une de l'autre.
Gros plan sur le visage soucieux de Nadejda. Sa fillette est malade mais elle n'a pas de quoi la faire soigner. (00ː30ː00)
Une lueur d'espoir pour Lyuba / La situation empire pour Nadejda
Lyuba a peur de retourner chez la mère maquerelle les mains vides. Manka la trouve appuyée contre un arbre, ne sachant que faire. Elle l'informe qu'il y a des postes à pourvoir au dispensaire de l'hôpital. Lyuba s'empresse de lui dire que cela l'intéresse beaucoup.
L'état de santé de la fille de Nadejda ne s'est pas amélioré.
À l'hôpital, des malades pressés les uns contre les autres (dans une salle d'attente ?) accueillent Manka avec des démonstrations de joie. Un médecin ou un infirmier désinfecte le bras d'une femme à qui il s’apprête à faire une injection. Un panneau au mur annonce que la prostitution propage les maladies vénériennes.
En parallèle, plan sur Nadejda qui fait les 100 pas en portant sa fille malade et en se mordant les lèvres d'angoisse.
C'est au tour de Manka d'être reçue dans le bureau du médecin et de recevoir une injection (probablement un traitement contre une maladie vénérienne étant donné le panneau qui est au mur). Avant de partir, elle demande au médecin, Dr Birman, de l'aide pour Lyuba. Le médecin accepte et lui remet un billet (on peut s'étonner que Manka demande de l'aide pour son amie mais pas pour elle-même ; elle croit manifestement que la prostitution est "son destin").
À l'hôpital pour enfants, un médecin explique à Nadejda que sa fille a besoin de bons repas et de médicaments (surprenante séquence qui énonce des évidences ǃ). Chez elle, son fils a tellement faim qu'il lèche une assiette restée sur la table.
Dans la maison close, la mère maquerelle réprimande vertement Lyuba qui n'est pas allée travailler ce jour-là parce qu'elle ne se sentait pas bien. La méchante femme sort de la pièce. Manka, qui est arrivée entre temps, montre à Lyuba la recommandation que lui a donnée le Dr Birman et qui va lui permettre de se faire embaucher à l'atelier de couture du dispensaire.
Nadejda est accablée par sa situation. Son fils lui réclame à manger mais elle n'a rien à lui donner. (00ː37ː12)
Le début d'une nouvelle vie pour Lyuba/Nadejda tombe encore plus bas
Accompagnée et encouragée par Manka, Lyuba se présente à l'atelier de couture où travaillent déjà une dizaine de femmes réunies autour de deux tables (on notera qu'elles travaillent toutes à la main). Lyuba est acceptée et exprime sa joie à Manka qui l'a attendue dans le froid ː "C'est la fin de mes tourments."
Avec beaucoup d'appréhension et d'hésitation, Nadejda finit pas se rendre de nuit chez le boucher Kondratieff.
Le travail de couture de Lyuba n'est pas tout à fait adéquat ː elle a cousu son ouvrage à sa tunique ǃ La responsable de l'atelier l'aide gentiment à réparer son erreur. Seule ombre au tableau ː la mère maquerelle l'a retrouvée. Elle repart en se frottant les mains avec l'air de manigancer un mauvais coup. (00ː40ː59)
La conférence
La journée de travail est finie mais il faut que les couturières restent à l'atelier pour écouter une conférence donnée par le Dr Birman, véritable objet de ce film "emballé" dans une fiction dramatique. Des ouvrières qui n'avaient pas été vues jusque-là s'approchent. Cependant, ce n'est pas véritablement à elles que le médecin s'adresse. Elle regarde droit vers la caméra et s'adresse donc directement au spectateur. Sa conférence s'emploie à établir un lien entre prostitution et maladies vénériennes à grand renfort de comparaisons géographiques (Paris, Berlin, Saint-Pétersbourg) et de statistiques diverses (issues de la Clinique n°2 des maladies vénériennes de Moscou) présentées par des schémas animés. On revient régulièrement au Dr Birman en plan poitrine. Son regard se pose parfois au loin comme si elle était transfigurée par sa mission d'information et de prévention. Les couturières l'écoutent avec attention et acquiescent parfois. Les données qu'elle présente font apparaître l'origine sociale modeste (paysannes, ouvrières), l'absence de formation, les difficultés de logement, l'isolement social (orphelines) et l'alcoolisme comme ayant un lien très étroit avec la prostitution. Les solutions sont ː les ateliers de couture, les orphelinats, l'éducation et la formation. Lyuba semble particulièrement frappée par la phrase ː "Les autorités ne doivent pas lutter contre les prostituées mais contre les conditions qui les amènent à cette situation." (00ː49ː28) À la fin de la conférence, les couturières se dispersent en discutant. Lyuba reste debout près de la table et dit d'une voix haletante (on voit combien sa respiration est entrecoupée) ː "Il faut punir les hommes qui achètent le corps des femmes". (00ː50ː37) Venue de quelqu'un qui a tant souffert et avec une charge émotionnelle aussi visible, cette déclaration a probablement plus de poids qui si elle avait été énoncée un peu froidement par le médecin à la fin de sa conférence. Le Dr Birman la réconforte d'un geste et fait quelques pas avec elle. (00ː51ː00)
L'histoire de Manka
Désormais, Nadejda se prostitue régulièrement. Elle rejoint Manka sur un banc où toutes deux attendent le client. Avec un regard mélancolique, Manka raconte son histoire à Nadejda ː elle était employée de maison mais sa patronne l'a chassée parce que le fils de la famille l'avait séduite. Le film dénonce ainsi une nouvelle hypocrisie ː le jeune homme en question n'a pas été inquiété (scène tragicomique montrant la mère du jeune homme tirant affectueusement les oreilles à son fils.). En revanche, Manka qui a été accusée de "débauche" a été jetée à la rue. Par la suite, elle a travaillé dans une maison close représentée comme un endroit sinistre où même le pianiste s'endormait sur son instrument, qui ne s'animait que lorsque des clients arrivaient et dans laquelle les clients pouvaient choisir une jeune femme sur photo dans un album que leur montrait la mère maquerelle. Comme souvent dans les films où il est question de maladies vénériennes, on y retrouve une séquence de danse très animée, préliminaire à un rapport sexuel avec une prostituée ou hors mariage qui mènera à une contamination (00ː54ː50). Cf Un mot d'homme à homme (00ː02ː03), Easy to get (00ː08ː25) et Dance, little children (00ː04ː47).
Retour sur le visage pensif et triste de Manka. Elle raconte l'examen médical obligatoire du samedi soir (précédemment désigné comme "humiliant" par le Dr Birman dans son exposé) et les arrestations par la police qui fichait les prostituées.
Manka s'en va. Nadejda essaie d'aborder un homme qui passe mais il ne lui prête pas attention.
Une heureuse rencontre pour Lyuba/Nadejda est désespérée
Lyuba va faire du ski avec une amie. Elle fait la connaissance d'un jeune homme, Shura.
Le fils de Nadejda est malade également. On ne voit plus la fillette. A-t-elle succombé ? Est-elle à l'hôpital ? Nadejda s'effondre au sol, accablée de douleur. Elle voudrait mourir. Elle se relève, titube, jette un regard circulaire sur le logement où elle a été si heureuse.
Lyuba et Shura se promènent en riant. Ils voient passer Nadejda qui se dirige en courant vers le fleuve. Gros plan sur le regard très inquiet de Lyuba. Avec Shura, elle poursuit Nadejda. Shura la rattrape mais Nadejda se débat et lui échappe. Elle s'effondre inconsciente au bord du fleuve, la tête sur une plaque de glace qui s'est détachée. Shura, Lyuba et deux passants la récupèrent et la portent à l'abri. (01ː04ː00)
Nouvelle menace sur le bonheur de Lyuba
L'ancienne mère maquerelle de Lyuba découvre qu'elle vit avec Shura. De son côté, Nadejda, le visage un peu plus serein, quitte l'hôpital. La mère maquerelle vient voir Lyuba chez elle et menace de révéler son passé de prostituée à Shura si elle ne rembourse pas immédiatement l'argent qu'elle lui doit. Lyuba est accablée.
Shura aide Nadejda à trouver un poste d'aiguilleuse de tramway.
Lyuba avoue son passé à Shura en commençant par les mauvais traitements qu'elle a subis de la part de sa tante (flash-back) puis elle mentionne son premier client dans la maison close (flash-back). Honteuse, elle se détourne de Shura. Celui-ci se mord les lèvres pendant quelques instants de suspense. Va-t-il la rejeter ? Non, car il retrouve un sourire qu'il communique à Lyuba.
Courte séquence sur Nadejda qui manœuvre les aiguillages d'un tramway avant d'être relayée par un collègue.
Shura dicte à Lyuba une lettre adressée au procureur général pour dénoncer la mère maquerelle ou porter plainte contre elle. Comme lorsque Lyuba a signé la reconnaissance de dettes de sa mère maquerelle précédemment, on voit qu'elle écrit lentement, avec effort, en se redisant les mots au fur et à mesure, ce qui dénote son faible niveau d'éducation. (01ː10ː58)
Tout est bien qui finit bien (mais pas pour tout le monde)
Dans un jardin d'enfants, la petite fille de Nadejda dessine. Son dessin représente sa mère en train de travailler à proximité d'un tramway. La fillette paraît éveillée et de nouveau en bonne santé.
Nadejda vient chercher sa fille à la fin de son service. Elle admire son dessin et la serre dans ses bras. Elle a retrouvé le bonheur.
La milice fait une descente dans la maison close où travaillait Lyuba. Une jeune fille à moitié dévêtue surgit du lit qui appartenait jadis à Lyuba et se jette dans les bras d'une autre prostituée qui tente de la réconforter. On devine une forme masculine derrière les rideaux du lit. Un milicien s'approche. Le client apparaît, proteste et essaie de se cacher derrière sa veste. La mère maquerelle, interrogée par les miliciens, affirme que ses "invités" sont des membres de sa famille, ce qui déclenche l’hilarité des jeunes femmes et des miliciens eux-mêmes. Le reste de la maison est inspecté.
Manka a repris son traitement au dispensaire. Le Dr Birman vient la voir. Gros plan sur le visage consterné du médecin qui vient d'examiner la gorge de Manka. De même, elle détourne le regard d'un air très triste après avoir constaté des lésions syphilitiques étendues sur le bras de Manka. Cette dernière, qui était détendue et souriante jusque-là, comprend (et le spectateur avec elle) que son destin est scellé et qu'elle ne guérira pas. Elle n'aurait manifestement jamais dû interrompre son traitement. Peut-être faut-il aussi comprendre qu'elle n'aurait pas dû se résigner à son sort. Manka s'effondre sur elle-même tandis que le Dr Birman, debout à côté d'elle, regarde au loin d'un air triste.
Manka, Shura et d'autres personnes de leur âge s'amusent dans la neige. Ils font du ski de fond et des batailles de neige. Enfin, on les retrouve tous les deux bras dessus, bras dessous, image d'une jeunesse insouciante et heureuse.
Notes complémentaires
Références et documents externes
Littérature :
Панин, Станислав: "Продажная любовь" в Советской России (1920-е годы) // Вестник Евразии. - 2005. - N 1. - С. . 78-108.
Измозик В.С., Лебина Н.Б.: Петербург советский: "новый человек" в старом пространстве: 1920-1930-е годы. Социально-архитектурное микроисторическое исследование. - 2-е изд., испр. - СПб.: Крига, 2016. - 248 с.
Калашников Ю. С.: Очерки истории советского кино: 1917—1934, — Москва: Искусство, 1956.
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Aleksandra Mouillie-Bannikova, Alexandre Sumpf, Daryna Illenko, Élisabeth Fuchs
- Sous-titres Français : Aleksandra Mouillie-Bannikova, Julie Manuel