Je vis donc j'apprends (1973)

De Medfilm



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Titre :
Je vis donc j'apprends
Série :
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Conseil scientifique :
Interprétation :
Durée :
56 minutes
Format :
Parlant - Couleur - U-Matic
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Commanditaires :
Archives détentrices :

Générique principal

Réalisateur : Guy Seligmann - Production : Jean Lallier, Monique Tosello - Participants : Georges Ungar, Henri Korn, Jean-Pierre Changeux, Jean Brette, Constantino Sotelo, Daisy Amias, Philippe Adrien, Bernard Laik, Yves Afonso, Raymond Souplex - Direction de la photographie : Jean Fontenel - Atelier : Monique Mollard - Animation : Monique Petit - Cameraman : François Chrétien - Opérateur Banc-titre : Amiot, Roger - Son : Claude Perrin-Terrin - Montage : Christiane Weill, Claude Chesneau - Illustrateur sonore : Gérard Gallo - Commentaire : Monique Tosello - Collaboration artistique : Ursule Pauly - Assistant de réalisation : Marc Van Dessel

Contenus

Sujet

Le fonctionnement du cerveau, le processus de la mémorisation, l'adaptation de l'homme à son milieu, les difficultés posées par l'environnement contemporain à l'éveil de l'individu.

Genre dominant

Documentaire

Résumé

Des écrivains comme Marcel Proust, William Faulkner ou encore James Joyce ont souvent utilisé les avatars de la mémoire dans leurs œuvres. Cependant sur le plan artistique, l'évolution, les failles, voire la disparition de cette faculté mystérieuse sont des processus encore mal connus. Depuis le début du siècle, où une célèbre querelle opposa Henri Bergson aux rationalistes, les choses ont bien évolué et les savants s'efforcent aujourd’hui d'étudier le processus de fixation des souvenirs au niveau du cerveau, d'abord chez l'animal. Le Professeur Georges Ungar, de Houston, aux États-Unis, pense avoir découvert à partir de ses expériences sur les rats, le principe du code de la mémoire. Selon lui, les éléments de la mémoire se fixeraient dans des substances chimiques, les peptides. Si cette théorie s’avère correcte, ces substances pourraient être transférées d'un individu à un autre, les perspectives sont gigantesques. Mais cette théorie est contestée par d'autres savants, cette émission s'efforce de faire le point de ces recherches. (Source Ina)

Contexte

La neurobiologie

De 1930 à 1950, le Canadien Wilder Penfield fait considérablement évoluer les connaissances sur les localisations cérébrales. Il réalise des stimulations électriques directes du cortex (au cours d'interventions chirurgicales) et répertorie méticuleusement les réponses aux stimuli. Il résume ses expériences sous forme d'homoncule moteur et sensoriel. Le XXe siècle voit les neurosciences induire une progressive naturalisation des objets de la philosophie de l'esprit (perception, langage, émotions, intelligence). Ainsi, l'approche neurophysiologique obtient des résultats remarquables dans l'étude du rêve (Jouvet) et des structures qui en sont responsables. À partir de cette jonction se constitue le champ des sciences cognitives qui feront bientôt appel également aux modèles mathématiques et cybernétiques, tout en prenant en compte le rôle essentiel des émotions (Damasio) 3 et de l'environnement (théories de la sélection neuronale de Changeux ; darwinisme neuronal d'Edelman). Renforcées par des techniques expérimentales toujours plus puissantes (microélectrodes, électroencéphalographies, radiographie X, caméra à positons et IRM) et enrichies d'un faisceau de disciplines complémentaires (neurobiologie, neuropsychologie, physico-chimie, génétique, embryologie...), les neurosciences abordent maintenant la description de ce qui fait la conscience de soi et la connexion entre conscient et inconscient.

Après la Seconde Guerre mondiale, la cybernétique est le paradigme dominant pour l'étude du cerveau. On considère que le cerveau est équivalent à une machine à calculer. On est alors au début de l'émergence de l'informatique, et beaucoup de travaux théoriques s'accumulent pour montrer comment, avec des opérations logiques basiques, on peut résoudre des problèmes complexes. Par analogie, on considère que, n'importe comment, le cerveau réalise des opérations logiques du même type que celle que l'on était en train de mettre au point pour les ordinateurs. La recherche sur le cerveau va alors se contenter de représenter les circuits logiques supposés être sous-jacents au fonctionnement du cerveau. Les représentations anatomiques sont absentes, ou bien simplifiées.

La Tour Montparnasse

Le film, dans sa dernière séquence, montre de manière insistante la présence, à l'horizon du Jardin du Luxembourg, de la Tour Montparnasse. La fin de sa construction est contemporaine de la réalisation du film, 1973. La tour Montparnasse a été bâtie entre 1969 et 1973 sur l'emplacement de l'ancienne gare Montparnasse. La première pierre fut posée en 1970 et l'inauguration eut lieu en 1973. C'est en 1969 qu'est finalement prise la décision de construire un centre commercial sur le quartier de Montparnasse, relançant le projet de la construction de la Tour. Georges Pompidou, alors président de la République, souhaite doter la capitale d'infrastructures modernes. Et malgré une importante polémique, la construction de la tour peut démarrer. Pour la géographe Anne Clerval, cette construction symbolise la tertiarisation de Paris dans les années 1970 résultant des politiques de désindustrialisation qui, dès les années 1960, favorisent le « contournement par l’espace des bastions ouvriers les plus syndiqués à l’époque » (L'Humanité, 18 oct. 2013).

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Oui.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Non.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Oui.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Oui.
  • Musique et bruitages : Oui.
  • Images communes avec d'autres films : Oui. "les drogues quotidiennes du cerveau", programme diffusé le 05.07.1971.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

L'émission consiste en un agencement de séquences de différents registres : saynètes fictionnelles, entretiens avec des scientifiques, plans tournés sur le terrain (jardin du Luxembourg). Elle inclut des images crues d'autopsie et d'expérimentation animale (sur l'animal). De même, elle montre de façon insistante les locaux de l'Institut Pasteur, dans le désordre relatif à l'activité en cours. Ici, la réalisation assume le prosaïsme et le rapport violent au vivant qui caractérisent la recherche. Rappelons que l'émission est programmée en seconde partie de soirée (21h51).

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

L'émission est axée sur les avancées de la recherche, elle montre les scientifiques dans le laboratoire. À remarquer que le cadre même du laboratoire est particulièrement valorisé par des travellings qui en détaillent l'aspect.

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Diffusé sur la 1ère chaîne de l'ORTF le 04/01/1974 à 21h51

Communications et événements associés au film

Public

Télévisuel

Audience

Descriptif libre

Préambule par une saynète de fiction. Un homme d'une trentaine d'années vu en contre-plongée se brosse les dents. Son regard est vague, il a une expression stupéfaite sans que la raison de son étonnement ne soit donnée. Il quitte la pièce, se met une cravate autour de son cou, saisit une mallette. Tous ses gestes semblent banals, pourtant des dissonances s'observent : c'est dans la cuisine qu'il s'est brossé les dents, c'est sur un t-shirt qu'il a noué sa cravate. Dans un geste de panique, il lâche sa mallette et va rejoindre le lit où dort une femme, il se couche à côté d'elle, adopte une position fœtale. Cut. La femme en gros plan, expression inquiète, regard vers le hors champ : "C'est grave, docteur ?" En contrechamp, un homme en blouson range des outils comme s'il venait d'intervenir sur une machine à laver : "Il déconnecte, vous avez dû le brancher trop longtemps, et tac ! Il y a eu un court-circuit". Ses explications relatives à un problème d'électricité dans l'appartement peuvent s'appliquer à l'attitude de l'homme : les connexions dont il est question suggèrent la comparaison avec les connexions cérébrales.

Sur fond de musique électronique burlesque, un montage en animation, des gravures de pendule de l'âge classique, puis des bulles qui s'agitent dans un ballon derrière lequel un homme se tient, habillé à la mode du XIXe siècle, qui consulte un microscope. Le nom de l'émission "Idées à suivre" s'affiche en lettres psychédéliques sur un écran d'ordinateur, puis une courbe d'électroencéphalogramme. Dézoom, un homme en buste, des rouages de mécanisme se substituent à son cerveau. (02:40)

L'imprégnation

Des œufs éclosent dans un nid, des oisillons grandissent aux côtés de leur mère. "Tout est normal" conclut la voix féminine du commentaire. Six autres oisillons sont montrés pris en charge par le Dr Lorenz à partir de la 27e heure de leur vie. "Cet événement les marquera pour la vie. Il deviendra leur mère, ils le suivront, nageront derrière lui. C'est le phénomène de l'imprégnation." Images étonnantes des oisillons qui nagent en compagnie de Konrad Lorenz. Autre exemple d'imprégnation avec un bouvreuil qui n'a été en relation qu'avec le Dr Nicolaï au moment de sa maturation sexuelle. Gros plan sur l'oiseau excité à la vue de l'homme qui s'est présenté à lui dans sa cage : "C'est avec lui qu'il voudra faire son nid." Scènes d'animaux savants dans un cirque, le commentaire fait la transition avec le cas de l'humain : " Nous conservons tout de l'expérience passée. Chez l'homme, cela s'appelle la mémoire, ou le trou de mémoire". Entretien avec Raymond Souplex, l'acteur qui interprète le commissaire Bourrel dans Les cinq dernières minutes, série télévisuelle de longue durée, diffusée de 1958 jusqu'en 1973. Souplex explique comment il arrive à mémoriser ses textes : il lit d'abord le scénario en son entier, reprend les scènes où il est appelé à jouer, les lit deux ou trois fois, puis encore une fois en cachant avec un morceau de papier les passages de ses répliques. Il lui suffit de le faire deux ou trois fois, et il pourra interpréter ces scènes. Il évoque le cas d'un comédien qui, interprétant Victor Hugo, devait réciter un long monologue en vers. Au moment de prononcer "Jean Cocteau", il lui arrive un "trou noir". Le souffleur lui faisant reprendre au même endroit, le même trou noir se produit quand il doit de nouveau dire "Jean Cocteau". (06:31)

Le code symbolique

Jardin du Luxembourg, les enfants se penchent au bord de son grand bassin rond pour faire avancer des petites embarcations à l'aide d'une perche. "Marcher, parler, penser : en naissant, vous êtes doué pour tout cela. Mais il faut l'apprendre." Le commentaire dit par Monique Tosello évoque le cas de l'enfant qui, élevé avec des loups, ne parlait pas et marchait à quatre pattes. "Il faut donc passer par le monde. Dès le départ, les traces bonnes ou mauvaises s'accumulent, nous ne les effacerons plus de notre cerveau. Dans une vie que nous croyons création spontanée, quelle est la part de l'hérédité ? " Dézoom sur le dôme du Panthéon bordée des toitures en zinc des immeubles voisins, panoramique en retrait sur l'intérieur d'une pièce où, dans une vitrine, des cerveaux sont disposés en ligne. Le commentaire ajoute que pour survivre aux changements de milieux, le cerveau a dû enclencher un double mécanisme : l'hérédité et l'apprentissage "qui permet de s'adapter". Le professeur Ungar intervient, filmé en plan épaule devant un rayonnage de gros volumes : il explique que la spécificité de l'homme est sa capacité à accéder au symbolique, "à substituer des symboles aux choses". Le mot tient lieu de l'organisation des stimuli pour appréhender une chose. Le code du langage, nouveau, s'est "superposé" au code primitif. Par "notre niveau d'abstraction, nous sommes capables de créer un système de connaissances ou des œuvres d'art. Les éléments de la culture seraient probablement impossibles sans le code symbolique." (09:00)

Un câblage unique

Au professeur Ungar se substitue sans ménagement une séquence d'autopsie. Deux hommes se tiennent devant un cadavre dont le corps est étendu sur une civière de morgue. Une couronne métallique est ajustée à sa boîte crânienne qui permet à un homme muni d'un couteau d'y pratiquer une incision circulaire. L'incision faite, la couronne est soulevée et l'homme enlève d'une main gantée le cerveau logé à l'intérieur de la boîte crânienne. Gros plan sur la tête du cadavre pendant qu'il opère, son visage est masqué par un lambeau de peau retourné. Une musique angoissante avec coup de gong et notes d'orgue tenues accompagne cette séquence pour solenniser les plans. Cette mise en scène clinique d'un corps mort est très rare à la télévision. Elle est extraite du sujet "les drogues quotidiennes du cerveau" dans l'émission "Portrait de l'univers" produite par Monique Tosello, qui fait la voix du commentaire pour "Je vis, donc j'apprends". Il s'agit d'une 'extraction du cerveau de la boîte crânienne d'un cadavre par André Delmas, professeur d'anatomie à la Faculté de médecine de Paris (cf. notice INA CPF86634803). Le commentaire poursuit, montrant que ce geste d'autopsie vise à contribuer à l'étude de ce qui reste une énigme : le cerveau humain. "L'homme qui est maître du monde est désarmé comme un enfant devant son propre cerveau." La journaliste ajoute que ce cerveau s'apparente à un ordinateur à câblage unique, et introduit Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste à l'Institut Pasteur.

Alors que commence l'entretien de Monique Tosello avec le scientifique, la caméra procède à un long hors champ en travelling qui détaille les locaux où il travaille : appareils, cahiers, téléphone, calendrier s'accumulent sur différentes tables, une blouse est jetée sur un dossier de chaise. Nous sommes au cœur de l'activité scientifique, montrée dans sa quotidienneté, sans apprêt pour le tournage, ce qui ajoute de la vie aux images. Nous voyons même des photographies de proches punaisées au mur, un calendrier orné d'une photographie montrant des chevaux de Camargue fouler une étendue d'eau. Jean-Pierre Changeux explique que pour "détailler la structure de cet organe", il en a acheté un, le matin même "chez le tripier". "C'est un organe limité dans sa forme et son volume, il possède des lobes, des circonvolutions. Voici les hémisphères cérébraux, le cervelet". La caméra, après avoir bifurqué dans un réduit où des volumes anonymes sont alignés sur des rayonnages, rejoint enfin Jean-Pierre Changeux qui manipule le cerveau qu'il a posé sur une table, montré en plan d'ensemble devant un tableau à papier. Bord-cadre droit, nous apercevons la journaliste qui l'écoute. "C'est un organe qui joue un rôle essentiel de coordination de l'organisme. Il reçoit l'information du monde extérieur par l'intermédiaire des organes des sens." Il se retourne pour dessiner un schéma sur le papier. "Cette information est traitée, enregistrée, produite sous forme d'action sur le monde extérieur."

Contiguïté

Avec un scalpel, il incise le cerveau, désigne le tissu cellulaire, avec sa substance grise et sa substance blanche. Zoom sur le cerveau pour montrer la coupe qui vient d'être pratiquée. "Cette substance grise est constituée de cellules, les neurones. Chez l'homme il y en a dix milliards." Leurs prolongements constituent la substance blanche, "les nerfs". L'ensemble "constitue un réseau parfaitement défini de neurones et de leurs connexions". Sur une nouvelle page, Changeux dessine un neurone avec ses prolongements dendritiques (un carton intervient, précisant qu'une dendrite est un "prolongement épais et court" des cellules nerveuses") et axonaux (un autre carton interrompt le plan de Changeux qui dessine, précisant que l'axone est "un prolongement grêle et long des cellules nerveuses"). Par les dendrites, les signaux se propagent jusqu'au corps cellulaire du neurone qui les intègre et en envoie d'autres par l'axone, ceux-ci parviennent à un autre corps cellulaire qui peut être aussi un neurone. La microscopie électronique a montré que le réseau nerveux est discontinu et que l'intermédiaire du contact entre les neurones est la synapse. À ce moment, plan microscopique montrant des synapses. "Il ne s'agit pas de continuité mais de contiguïté". Le signal qui se propage est électrique, "c'est une onde tout ou rien". Illustration avec un cadran électronique qui montre, au moyen d'une succession de courbes, la transmission synaptique chez un poisson. Son cerveau est suffisamment complexe "pour qu'on puisse étudier sur lui les bases du fonctionnement des synapses". Plan large, un homme devant un mur d'appareils électroniques où est intégré le cadran.

Retour à Changeux et Monique Tosello. Elle l'interroge à propos du fonctionnement psychologique. "Ce sont des fonctions très évoluées puisque ce sont celles du cerveau humain". Tous les deux quittent la pièce avec le tableau et le cerveau coupé, ils intègrent un bureau, s’assoient de part et d'autre de la table pour terminer l'entretien. Cette petite mise en scène permet une nouvelle fois de faire visiter les locaux de l'Institut Pasteur où Changeux travaille. "On définit le psychisme seulement quand on parle de l'animal homme !" Il espère qu'il sera possible d'exprimer un jour des processus psychologiques très complexes sous forme de processus neuronaux et synaptiques. Le psychologique revient alors à du physiologique". (16:16)

Potentiation

La séquence qui suit, où intervient Henri Korn brièvement montré dans la séquence précédente, détaille scrupuleusement le protocole de l'expérimentation sur le poisson évoqué dans cette même séquence. Pendant les explications du scientifique, la caméra détaille les appareils, montre en gros plan le poisson alimenté artificiellement en eau. L'activité de la cellule est exprimée par la succession de courbes sur le cadran, ainsi que le rappelle Henri Korn. Il poursuite ne faisant un dessin, expliquant que si on arrête l'excitation répétée des afférences du neurone (dendrite et axone), une nouvelle excitation va provoquer une onde plus grande : "il y a potentiation, c'est-à-dire, un accroissement de la possibilité de travail de cette synapse". La synapse montre une plasticité, une aptitude à l'apprentissage. Henri Korn poursuit son explication sur l'exemple du muscle. "Une des propriétés de l'apprentissage est l'habituation". Il ne veut pas pour autant, comme l'y invite la journaliste, précipiter l'analogie avec la mémoire. (24:48)

Acquérir la peur du noir

Nouvelle explication d'expérience pratiquée par le Pr Ungar sur le caractère acquis par le conditionnement. L'hypothèse est l'existence d'un code chimique de la mémoire : "la mémoire a peut-être un support matériel, à chaque acquisition pourrait correspondre la formation d'une substance nouvelle dans le cerveau". Le professeur explique le protocole de son expérience dont l'objectif est de faire acquérir "la peur du noir " à des souris après injection de substances purifiées issues de cerveaux de rats après qu'ils ont été soumis à l'expérience qui les a amenés à intégrer cette peur. Il s'agit ensuite d'analyser les peptides (chaînes d'acides aminés). Les souris acquièrent cette peur du noir "au bout de quatre ou cinq jours", puis cette peur disparaît au bout d'une semaine parce qu'elle a été "métabolisée et détruite, du moins c'est ce que nous pensons : quand nous apprenons par les moyens naturels, la substance produite se reproduit par le mécanisme général des acides nucléiques". (29:03)

Retour à la saynète fictionnelle du début du film, la femme de l'homme anxieux le soigne avec un traitement chimique. Difficile de comprendre la fonction de ces saynètes sinon de ponctuer l'émission de séquences d'un tout autre registre. Retour à l'entretien avec le Pr Ungar : "- Vous pensez qu'il y a pour chaque comportement acquis une substance ? - C'est notre hypothèse." Pour expliquer comment le cerveau reçoit et transmet une information, il pense, "et c'est l'opinion générale", que chaque stimulus emprunte une voie qui permet aux centres nerveux de l'interpréter et de le reproduire. "Tout stimulus appliqué au nerf optique est interprété en termes de lumière, en termes de visuel." Monique Tosello conclut : "La voie, c'est le message", formule que Ungar reprend et compare à la formule de Mc Luhan : "The medium is the message".

"Grillage, câblage secret de nos émotions"

Nouvel intermède incongru : un homme qui arpente une serre tropicale, livre la main, cherche à apprendre le texte d'Une charogne de Charles Baudelaire. Le commentaire ajoute cette méditation : "laborieuse électricité de nos tâtonnements, étrange chimie de nos images enfouies et qui surgissent tout à coup". Mise en scène d'une femme à la porte grillée de cette serre, qui cherche à entrer avec des gestes dramatiques. La robe translucide dont elle est vêtue laisse deviner la forme de son corps. Le commentaire continue, comme en écho : "grillage, câblage secret de nos émotions nouées et dénouées : ne sommes-nous vraiment que machin e?" Une voiture s'immobilise derrière la femme, des hommes en sortent et l'embarquent : séquence onirique pour dire que la folie serait le moyen de déroger au principe mécanique de la pensée ? L'homme qui finit d'arpenter la serre referme son livre, sort du bâtiment en récitant le poème de façon impeccable, sous l’œil inquiétant de la femme qu'il n'a pas vu. Cette séquence montre que son cerveau, par la stimulation répétée de la lecture, a fini par acquérir la mémoire des mots. (35:23)

Plasticité des structures nerveuses

Retour au bureau de Jean-Pierre Changeux. Il fait face à Monique Tosello pour une nouvelle séquence d'entretien. Pendant ses explications, la caméra opère un travelling arrière dans les espaces du laboratoire, avec interjection dans le montage de deux plans de la séquence qui a précédé - celle de l'apprentissage du poème de Baudelaire dans la serre : est-ce pour mettre en scène des flashs mémoriels ? Selon Changeux, deux aspects du système nerveux interviennent dans la mémorisation, d'une part le déterminisme génétique de sa structure et de son fonctionnement (la trace de l'environnement s'inscrit sur les chromosomes apportés au moment de la fécondation de l'oeuf), d'autre part le développement de l'organisation cérébrale à partir du stade de l'embryon. En ce qui concerne le premier aspect, la répétitivité et la stabilité de la structure d'un individu à l'autre sont transmises héréditairement (il existe néanmoins une certaine fluctuation de cette structure chez les mammifères, variants héréditaires ou mutants, connus comme des maladies neuropathologiques héréditaires chez l'homme). Étude d'une souche de souris qui ont subi une anomalie du développement embryonnaire très précoce, anomalie congénitale du cervelet, qui entraîne une cécité, ou une attitude chancelante, ou un tremblement. Les souris en question sont montrées sur fond blanc. Des photographies sont montrées comparant leurs cerveaux mutants avec des cerveaux normaux. Constat de la journaliste : "on voit bien le lien entre les mutations et le comportement".

Dans le Jardin du Luxembourg, des enfants s'amusent autour de son grand bassin rond, sous la surveillance des parents. Commentaire de Monique Tosello : "L'enfance, en somme, est une course d'obstacles, mais l'instinct ne suffit pas pour les sauter tous. Changeux rappelle que l'horloge génétique détermine le premier sourire qui apparaît à une date précise, déclenché par la mère. "L'extérieur provoque le fonctionnement de cette structure programmée génétiquement." Images MC de neurones, la journaliste résume : "La question est celle-ci : le fait de recevoir une information du monde extérieur a-t-il une influence sur la structure du cerveau et sur l'établissement des circuits ? Le film micro-cinématographique montre des arborescences de dendrites en croissance. Évoquant des expériences faites sur les chats dont on a oblitéré un œil, Changeux affirme que, dans les étapes finales du développement du système visuel, le système se mette à fonctionner "pour que la structure s'établisse de manière définitive. Sinon la structure dégénère. Il y a plasticité des structures nerveuses." (44:48)

Stabilisation des structures

Vue en plongée d'une voie du périphérique comme depuis un pont, des voitures défilent verticalement dans le champ, autres plans qui montrent l'ampleur des équipements bétonnés pour fluidifier le trafic, bruits de moteurs pétaradants. la voix de Monique Tosello : "Si la vie est une suite de questions auxquelles le monde doit répondre bien et au bon moment, comment remédier aux rendez-vous manqués ou aux solutions hâtives?" Retour à l'entretien avec Changeux qui revient à la question du développement du langage. Tantôt il est à l'image, tantôt le film montre des garçon de dix ans qui, soumis à des tests cognitifs sous forme ludique, montrent une grande concentration qui peut paraître de l'anxiété. Selon lui, ilexiste une période critique entre deux ans et onze ans où l'apprentissage se fait plus facilement qu'après. il est plus difficile pour un adulte d'apprendre une seconde langue. Il fait remarquer que les enfants reçoivent des cours de langue à l'école à partir de onze ans, c'est-à-dire après cette période privilégiée d'apprentissage. Petit intermède où la saynète comique qui a commencé au début du sujet se poursuit. Nouvel entretien avec un scientifique qui estime que "les codes génétiques prévoient le rôle de l'environnement. Il convient qu'il lui manque une méthode expérimentale pour établir "où le code génétique s'arrête et où l'environnement commence à houer un rôle déterminant". Il insiste sur la plasticité particulière du système nerveux de l'humain : "un cerveau de nouveau-né pèse 380g ; celui de l'adolescent est de 1kg ; c'est pendant cette période de la naissance à la puberté que le cerveau va réagir intensément à l'environnement. Le phénomène plastique est plus intense alors qu'à l'âge adulte." Retour à Jean-Pierre Changeux qui admet que les scientifiques en sont au stade de la spéculation pour répondre à l'interrogation : "quelles informations nouvelles, non programmées génétiquement, s'inscrivent dans le système nerveux?" Selon lui, l'apprentissage est lié à la croissance des terminaisons nerveuses ; or, il existe un certain hasard dans les connexions lorsqu'elles s'établissent au cours du développement. L'hypothèse avancée est que le fonctionnement stabilise ces structures et que cette stabilisation est sélective en fonction des informations reçues. Plans de schéma animé qui montre des lignes blanches sur fond noir qui se ramifient en atteignant des points d'intersection disposés sur le tracé de développement de ces lignes. Monique Tosello : "une chose bien apprise en son temps permet d'en apprendre d'autres, ce qui n'est pas appris ne sera plus jamais aussi facile à acquérir." (52:26)

Un environnement malade

La dernière séquence montre alternativement, par un jeu de va et vient entre des panoramiques et des travellings verticaux, des enfants qui jouent autour du grand bassin circulaire du jardin du Luxembourg et la Tour Montparnasse en train d'être édifiée. Cette dernière est montrée comme une incongruité nouvelle dans le paysage parisien, qui menace la cohérence et l'harmonie qu'il constitue. Changeux, en off : "Le système nerveux est susceptible d'apprentissage mais celui-ci présente des limites. Là je crois qu'intervient un point important qui concerne le développement de notre société : elle évolue indépendamment de notre structure biologique et de manière plus rapide. Il risque d'exister une disharmonie flagrante entre notre environnement et la structure biologique qui s'est différenciée dans un environnement naturel très différent de celui d'aujourd'hui. " Il ajoute en riant : "Il n'y avait pas de Tour Montparnasse quand l'espèce humaine se différenciait!" Musique classique échevelée jouée au synthétiseur, longs travellings spiraliques depuis une voiture sur les bretelles du périphérique, qui noues entraînent vers des fontaines pyramidales installées dans le vide d'un virage en épingle à cheveux. De grandes masses architecturales se dressent à l'horizon. Un dernier carton pour citer un propos anonyme, qu'on peut, étant donné la fin de l'entretien qui précède, attribuer à Changeux : " L'espèce humaine a été sélectionnée dans des conditions d'environnements totalement différents du milieu socio-culturel contemporain et je partage assez bien l'opinion des anti-psychiatres lorsqu'ils considèrent qu'un grand nombre de névroses (maladies du fonctionnement du cerveau) sont dus au fait que 'l'environnement' est malade. Les 'cadences infernales', 'la Tour Montparnasse' nient les limites du donné génétique."

Notes complémentaires

Mots-clefs : cerveau, mémoire, souvenir, technologie N° de notice Ina : CPF86649325

Références et documents externes

Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Joël Danet