Secrète enfance (1977)

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Titre :
Secrète enfance
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Conseil scientifique :
Intervenants :
Durée :
92 minutes
Format :
Parlant - Couleur - 16 mm
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Commanditaires :
Archives détentrices :

Générique principal

Réalisation : Guy Seligmann / musique : Lucien Rosengart / images : Denis Bertrand / "nous remercions les parents et les éducateurs de l'école de Bonneuil de leur participation, ainsi que Maud Mannoni, A. Bourguignon, C. Lefort et F. Colas ainsi que l'INSERN.

Contenus

Sujet

Description de la prise en charge des enfants en souffrance psychiatrique selon la méthode de la psychiatre et psychanalyste Maud Mannoni et les structures qu'elle a mises en place.

Genre dominant

Documentaire

Résumé

Faisant suite a "vivre à Bonneuil", cette nouvelle émission sur l'école expérimentale destinée aux enfants "différents", autistiques où simplement perturbés dans leur scolarité, rend compte de la nouvelle étape franchie par l'institution qui veut faire retrouver le plaisir de vivre aux enfants, en les confiant a des gens en province, dont ils partagent par période la vie et le travail sur un chantier, dans un atelier, une ferme... Ce film montre la vie de huit enfants d'âges divers au milieu d'ouvriers et dans les familles de paysans ou d'artisans qui les accueillent ; on les voit participer aux travaux (soigner des chevaux, désherber, tisser, s'occuper d'animaux), manger, se laver, jouer, vivre avec ces adultes qui parlent simplement de leur communication et de leur compréhension mutuelle et dont quelques uns se disent aussi des "marginaux ". On écoute ces enfants, ainsi que d'anciens autistes qui se retrouvent périodiquement à Bonneuil, et quelques parents au cours de réunions organisées par l'institution, ou ils disent leurs difficultés : ils parlent ici du rejet de la société, de leurs divers cas, de leurs relations avec leurs enfants... Quelques membres de l'école, M. Mannoni et B. Lefort, animateurs, le directeur M. Polo, le psychiatre, M. Bourguignon, et une institutrice, Mme Fouquet, que l'on voit "jouer à apprendre" avec Eric, parlent aussi de ces enfants, de leurs besoins, de l'arriération de certains hôpitaux et insistent sur les fonctions thérapeutiques de la relation humaine. (notice INA)

Contexte

Maud Mannoni

Née en 1923, morte en 1998, la psychanalyste Maud Mannoni a travaillé dès 1948 avec Françoise Dolto à l'hôpital Trousseau. Elle s'est spécialisée dans un travail en direction des enfants et des adolescents. Influencée par Winnicott et Melanie Klein, dans le sillage de l'expérience menée à Kingsley Hall par les britanniques Cooper et Laing, elle a introduit l'antipsychiatrie en France.

Le CERPP et l'Ecole expérimentale de Bonneuil

Le Cerpp, a été fondé en 1969 par Maud Mannoni, le Dr Robert Lefort et deux éducateurs, Rose Marie et Yves Guérin. Il avait pour but de créer, pour les enfants en rupture avec le milieu scolaire, une École différente. En premier lieu, la visée thérapeutique du Cerpp était de redonner aux enfants le désir d’apprendre et de s’intégrer socialement. Comme Fernand Deligny le fit dans les Cévennes, Maud Mannoni a mis en pratique ses théories et ses réflexions critiques en fondant à Bonneuil, avec le Docteur Robert Lefort et un couple d'éducateurs, Rose-Marie et Yves Guérin, un lieu d'accueil et de vie pour les enfants et les adolescents autistes, psychotiques ou souffrant de graves névroses.

Lors de sa création, l’École de Bonneuil reposait exclusivement sur le bénévolat de l’équipe ainsi que sur le soutien financier des parents. Toutefois, en 1975, elle est devenue un Hôpital de Jour avec Foyer Thérapeutique de Nuit et un Service d’Accueil Familial Thérapeutique en province.

Actuellement, l’équipe psychopédagogique est constituée de psychologues, d’éducateurs, de professeurs des écoles, de psychiatres et de nombreux stagiaires venant du monde entier. Grâce à cette multidisciplinarité, l’école peut proposer des types de prises en charge variées aux enfants et à leurs familles.

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Oui.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Non.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Oui.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Non.
  • Musique et bruitages : Oui.
  • Images communes avec d'autres films : Non.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

Secrète enfance fait suite à Vivre à Bonneuil. Un portrait pluriel succède au portrait d'un collectif. Vivre à Bonneuil consiste en la description du fonctionnement de l'établissement, certes en isolant régulièrement l'un ou l'autre enfant pour illustrer les différents modes de prise en charge, mais la plupart du temps en montrant comment fonctionne ensemble les élèves et les adultes qui les accompagnent. Quoique, selon la logique d'institution "éclatée" que souhaitait Maud Mannoni, Vivre à Bonneuil articule par son récit les différents lieux qui constituent la géographie complexe de chaque enfant, c'est dans la maison de Bonneuil, où s'organisent les cours et les activités d'expression, mais aussi les événements symboliques comme une fête, que le film trouve son foyer, son théâtre essentiel. En revanche, Secrète enfance met en jeu des lieux distincts qui sont envisagés tour à tour à mesure que chemine dans sa voiture le coordinateur des enfants accueillis. En cela, il prend en compte une évolution que Guy Seligmann aura l'occasion de décrire au micro de Michel Drucker (voir la rubrique 'Communications et événements associés au film'), à savoir que les enfants étant de plus en plus nombreux à demander un séjour "en province" dans des familles d'accueil, l'équipe du centre s'est organisée pour favoriser leur départ. C'est l'occasion pour le réalisateur de concevoir un autre mode narratif. Les enfants devenant isolés les uns des autres, confrontés à leurs familles d'accueil, il propose de raconter comment se déroule le séjour de plusieurs d'entre eux. Mais il continue d'exprimer le souci de présenter le point de vue des adultes qui les entourent. C'est pourquoi, en plus des entretiens avec leurs responsables, il interjette dans les séquences filmées dans les différents sites d'accueil des extraits d'un tournage de groupes de paroles où ceux-ci s'expriment, ainsi que leurs parents.

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

Le personnel de Bonneuil n'est pas désigné par le port d'un vêtement professionnel ; la réalisation du film montre qu'il se mêle aux patientes et patients en participant aux activités thérapeutiques et domestiques. Pour Maud Mannoni, les soignants qui viennent travailler à Bonneuil sont "troublés du système" au même titre que les enfants que l'établissement prend en charge. Elle explique que leur choix est déterminé par leur refus de pratiquer dans un lieu de soins normal comme un hôpital. Patients et soignants sont unis par une même situation d'inadaptation sociale.

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Cinéma, puis télévision française, chaîne TF1, le 28/03/1979 à 21h36.

Communications et événements associés au film

Secrète enfance a été cité par la journaliste et critique de cinéma Anne Andreu dans l'émission Ciné-regards, diffusé sur TF1 le 18/01/1978, alors qu'elle commente les sorties cinématographiques de la semaine (voir notice INA n° CPC7805586901). Elle juge le film de Guy Seligmann "très émouvant".

Dans l'émission du 29 janvier 1978 "Les rendez-vous du dimanche" présentée par Michel Drucker (voir notice INA n° CPA78056332), celui-ci interviewe Guy Seligmann sur un plateau où Claude Chabrol et Sylvia Kristel sont également présents. Michel l'introduit de cette façon : "Guy a réalisé un film produit par TF1 sur le problème de l'enfance inadaptée et les questions de la pratique thérapeutique qu'elle soulève." Guy Seligmann précise que Secrète enfance est sa deuxième réalisation avec l'Ecole de Bonneuil. "Le premier s'appelait Vivre à Bonneuil, et c'était une sorte de présentation générale. C'était aussi une prise de contact pour moi. Bonneuil est une école expérimentale qui accueille des enfants inadaptés et des enfants qui ont simplement des problèmes d'ordre scolaire - le 'ras le bol' comme on disait en 68." Michel Drucker rappelle que, pour Secrète enfance, Guy Séligmann a choisi quatre cas. "Le premier film, poursuit celui-ci, je l'ai tourné en 1974, et puis après, j'ai été saisi par l'Ecole et j'ai continué à y aller régulièrement. Après le premier film, on a acheté une petite caméra vidéo Sony, il y a un atelier audiovisuel qui s'est fait et moi j'ai continué à aller là-bas pour faire de l'audiovisuel et de la sculpture parce que ça m'intéressait. Petit à petit, je me suis dit qu'un deuxième film était possible, surtout qu'il y avait une évolution dans la pratique de l'Ecole qui s'était faite : il y avait de plus en plus d'enfants qui demandaient à aller en province, il a fallu trouver des familles qui les accueillent et des artisans avec qui ils puissent travailler. A partir de là, j'ai essayé d'organiser quatre récits sur des enfants différents."

L'émission "Les rendez-vous du dimanche" diffuse ensuite un extrait du film dans lequel les enfants pris en charge critiquent le système scolaire. Quand l'entretien reprend, A Michel Drucker qui demande si "ces enfants trouvent facilement des familles pour les recueillir". Guy Seligmann répond que si les responsables de Bonneuil ont organisé un réseau, ces accueils restent difficiles "parce qu'on ne peut pas prendre des enfants qui ont des difficultés de ce type comme ça, du jour au lendemain. Il faut qu'il y ait une relation qui s'installe entre l'école, la famille et l'enfant. " Michel Drucker lui demandant si l'aventure de Bonneuil continue, Guy Seligmann lui répond que l'Ecole fonctionne "sous un statut particulier, comme hôpital de jour, avec cette particularité que la subvention est donnée par la sécurité sociale à titre expérimental tous les ans". il ajoute que l'administration a fini par accepter que Bonneuil poursuive sa pratique particulière. Pour clore l'entretien, Miche Drucker indique que Secrète enfance est sorti dans les salles de cinéma à Paris, en attendant une diffusion télévisuelle.

Une édition accompagne le film : Maud Mannoni, Guy Seligmann, Secrète enfance : les enfants et les parents de Bonneuil prennent la parole, éd. TF1 / épi, Paris, 1979.

En 1981 (8 octobre), un débat est organisé dans le cadre de Encontro Internacional de Educação Especial, à l’Hotel Nacional de Rio de Janeiro sur la présentation de Michel Polo et Alain Vannier des films Vivre à Bonneuil et Secrète enfance (cf. https://elianegomes.arq.br/chemin)

Public

Tout public

Audience

Descriptif libre

"Tu es à Bonneuil?"

Musique par des instruments à vent, traversée de cris inarticulés. Vues sur les locaux de Bonneuil et son jardin. Panoramique sur la salle de classe avec son tableau noir, vues extérieures sur le jardin traversé par une longue allée rectiligne et une cour avec une longue table posée au milieu, couverte d'une toile cirée. Travelling avant dans la profondeur étroite de la pièce de cuisine, une voix d'enfant intervient : "Tu es à Bonneuil?". Un texte infographié apparaît dans le champ : "en 1977 l'école expérimentale de Bonneuil (hôpital de jour) a accueilli soit ici, soit en province, une vingtaine d'enfants et adolescents". La caméra, continuant de musarder dans les différentes pièces du pavillon, surprend ce petit mot qui tient sur un pan de mur par un bout de ruban adhésif : " je tisse avec un nouveau métier à tisser, un grand tapis. / Bonjour à tous. Anne (suit un nom écrit comme une signature)". Panoramique extérieur sur la maison de Bonneuil et la rue dans laquelle elle se trouve pour montrer que le lieu choisi pur cette expérimentation éducative est inscrit dans un environnement paisible de banlieue, avec ses maison basses pourvues de jardinets, chaussées larges au trafic rare. Interjetés, des plans d'un enfant à la plage. Deux espaces-temps distincts sont réunis par ce montage parallèle qui évoque la notion d'institution éclatée qui qualifie Bonneuil : une même institution qui articule différents lieux d'activités. (02:47)

"...Cité de la mort?"

Travelling par caméra embarquée qui longe le bord d'une autoroute avec sa végétation basse par-dessus lequel se dresse, à mesure que le plan se prolonge, une succession spectaculaire de hautes barres dont l'aspect massif et répétitif est caractéristique de l'architecture des grands ensembles des années 70. Une voix en off : "Lorsqu'on est venu tourner l'autre jour ici, un adolescent nous a posé la question : 'pourquoi est-ce que vous venez tourner dans cette cité de la mort?'" Pendant que le travelling traversant le paysage bétonné se prolonge, une autre voix rapporte le récent fait divers qui a marqué les lieux - un suicide par balles d'adolescent. Cut, dans une pièce, Maud Mannoni avec un homme qu'une intervention infographique désigne comme un curé. C'est lui qui vient de parler. Il poursuit en disant qu'il n'a jamais entendu l'expression "cité de la mort" associée à Bonneuil : "Au contraire... On m'avait dit quand je suis arrivé il y a six ans : ' dans les grands ensembles, dans les cités, il y a rien...' Je trouve au contraire à Bonneuil beaucoup de liens entre les gens." Retour au travelling interminable le long de blocs identiques. La voix du curé en off évoque les jeux de enfants qui témoignent qu'ils grandissent dans une culture de violence, puis des accidents comme un enfant qui a été blessé avec une arme à billes de plomb ou un incendie dans une cage d'escaliers. Raccord avec le témoignage d'une femme qu'une intervention infographiée désigne comme l'adjointe au maire de Bonneuil, elle-même, selon son propos, "produit des HLM". Sa voix se fait entendre en off alors que la caméra explore une cité, avec ses aires de pelouse qui séparent les blocs. Elle déplore une organisation sociale qui empêche la vie familiale de s'épanouir. "Il est rare que des familles tiennent le coup parce que : la femme travaillant, le mari travaillant, n'ayant pas les structures d'accueil comme la crèche ou les centres de loisirs, les colonies de vacances et même la rue, les enfants ne se sentent pas bien chez eux - les parents rentrant trop tard le soir, les parents n'ont plus le temps de discuter avec leurs gosses : c'est un drame !" Toute cette séquence plante le décor de la banlieue contemporaine et fait entendre des témoignages qui résument le débat dont elle fait alors l'objet : la banlieue moderne, décor monotone et anonyme, zone en carence de services, qui défait les liens traditionnels, encourage la jeunesse à la délinquance, mais génère aussi, peut-être par la difficulté même de ses conditions de vie, une sociabilité spécifique. (04:58)

Louis-Benoît : "il était malheureux"

Par contraste avec la séquence précédente, saturée de vues urbaines en plans généraux et anonymes, nous retrouvons l'enfant que nous avons vu dans la séquence précédente, jouant à la plage, allant chercher une femme (peut-être sa mère) pour qu'elle l'accompagne dans ses jeux avec le sable. Une intervention graphique le nomme "Louis-Benoît". Long travelling dans une chambre puis un escalier. Le sol, les marches sont jonchés, de jouets, de vêtements, de bouts de papier aluminium. La literie du lit est retournée, avec, oubliés dans les noeuds des draps, une oreille et un bras en plastique. En off, la voix de la mère témoigne de ses efforts pour l'accompagner nuit et jour et satisfaire au mieux ses souhaits, mais aussi de la propension qu'il a à se blesser. Une voix d'homme lui succède, affirmant que l'enfant se trouve mieux "ici" (à Bonneuil, dans un environnement façonné par son système éducatif) : "il était malheureux, il est passé à des périodes de joie de vivre". L'escalier mène à la cuisine où Louis-Benoît prend son petit-déjeuner avec d'autres personnes (dont sans doute du personnel de l'établissement). Il se lève, prend des attitudes simiesques qui font rire l'assemblée. Dehors, avec un accompagnateur-stagiaire, il se dirige vers une voiture, une 4L, garée devant le pavillon. Le stagiaire lui ouvre sa porte arrière pour qu'il entre puis s'installe à son tour devant le volant. Rituel du trajet en voiture que l'enfant effectue seul avec son accompagnateur, moment intermédiaire entre le séjour dans l'établissement et l'activité en atelier qui suscite une autre situation relationnelle : en cela, Secrète enfance prolonge bien Vivre à Bonneuil, lequel était ponctué de scènes similaires.

Louis-Benoît sur le chantier : "il comprend bien si on lui demande quelque chose"

Sur le chantier de construction d'un nouveau pavillon, dans une rue similaire à celle où se trouve l'école, des ouvriers travaillent, accompagnés par Louis-Benoît qui s'occupe de lui-même à partir de ce qu'il trouve autour de lui. Il porte une planche sur quelques mètres, ramasse un caillou dans la terre retournée qu'il met soigneusement dans sa poche (longuement filmé en gros plan). Raccord brusque avec une scène de bêchage d'une aire de terre dans un paysage qui fait songer à un coin de Provence ; Louis-Benoît accompagne deux hommes dans leurs travaux, les aide à sa façon. A "institution éclatée" selon l'expression de Maud Mannoni, montage lui-même éclaté : les séquences font cohabiter des espaces et des temps distincts, même si une situation unique, la plupart du temps, constitue leur axe. Le discours intellectuel du film (les enjeux de Bonneuil, les expériences qui les concrétisent) prévaut par endroits sur le souci de cohérence narrative. Le stagiaire, que l'intervieweur appelle "Michel", explique que Louis-Benoît vient au chantier tous les matins à partir de 9h du lundi au vendredi. Un ouvrier témoigne : "Il comprend bien... Si on lui demande quelque chose." Le stagiaire explique qu'il ne s'agit pas de "lui demander du rendement". S'il comprend effectivement les sollicitations qui lui sont faites, Louis-Benoît n'en fait cependant qu'à sa tête, exécute les tâches qu'il choisit selon l'ordre qu'il s'est donné. Le stagiaire ajoute que sa relation avec Louis-Benoît a commencé lorsqu'il a eu l'opportunité d'accompagner un enfant de Bonneuil sur un chantier. L'intérêt n'est pas le travail qu'il doit effectuer, mais le "réel" qu'apporte le contexte que constitue le chantier. Un autre ouvrier interrogé trouve très bien qu'il les accompagne plutôt que de rester dans une maison à ne rien faire. L'expérience dure depuis trois mois. Scène de repas sur le chantier, autre topique des films de Guy Seligmann sur l'activité de Bonneuil. Nouveau trajet en voiture de Louis-Benoît et du stagiaire. Quand il s'en extrait, il marche à reculons et dévisage la caméra pendant plusieurs pas : manière de montrer qu'il a conscience d'être filmé? (12:24)

Louis-Benoît : "il faut lui permettre d'évoluer seul"

Louis-Benoît à la piscine, accompagné d'un maître nageur. Il joue avec une poupée démembrée, comme nous l'avons vu faire à plusieurs reprises dans les séquences de Vivre à Bonneuil où il apparaît. Témoignage d'une mère (pas celle de Louis-Benoît : celle-ci apparaît dans Vivre à Bonneuil) dans une séance de groupe de parole présidée par Maud Mannoni. Elle raconte les peurs des autres parents quand leurs enfants sont au contact de Louis-Benoît. "Ce n'est pas contagieux" a-t-elle dit à une mère qui s'inquiétait de voir celui-ci approcher son fils dans un jardin public. Elle ajoute qu'elle a appris à prendre de la distance avec son fils, à ne pas prendre en charge toute son éducation, "à se détacher de ce problème là" pour qu'il puisse se prendre davantage en main : "quand on pense en fonction de lui on ne lui permet pas d'avoir une vie à lui. Il faut lui permettre d'évoluer seul, il faut se retirer." Longue scène de bain de Louis-Benoît dans la maison de Bonneuil. Il se livre à un trafic d'eau entre la baignoire et la cuvette des toilettes, il s'assoit sur le rebord de la baignoire, porte les mains à son sexe et sourit en dévisageant la caméra. Le contact de l'eau lui plaît visiblement. Comme dans Vivre à Bonneuil, la caméra le filme en gros plan pendant qu'il souffle dans l'eau savonneuse et la déglutit. Comportement qui ne devrait plus être d'un enfant de son âge, sur lequel le film insiste néanmoins. Il s'agit d'assumer la différence plutôt que de chercher à l'euphémiser pour rendre plus tolérable le spectacle quotidien du handicap. Il s'agit aussi de le montrer dans son bien-être apparent et non privilégier sa souffrance pour conforter le public dans ses repères. Atelier de jeu avec les ombres des mains, d'abord projetées sur un drap puis au sol. "Regarde les griffes du chat!" Dernier plan de la séquence montrant Louis-Benoît, présent dans l'atelier, couché sur le dos, sans communication avec les autres mais sourire aux lèvres. Entretien avec un homme qu'une intervention infographique désigne comme Michel Polo, directeur de l'Ecole de Bonneuil. " Il est sûr qu'un garçon comme Louis Benoît, s'il était resté dans une institution traditionnelle, il serait resté le gamin sanguinolant, s'écorchant vif. Alors que bon, là, il a eu la chance de trouver un compagnon qui l'a suivi dans le travail quotidien, et une famille qui a pu l'accueillir. La difficulté est de trouver des familles susceptibles d'accueillir ce genre d'enfants - on a souvent des familles qui proposent et, voyant le travail à faire, se désistent au dernier moment..." (21:20)

Philippe : "Ce qui me chagrine à Bonneuil, c'est qu'il y a un culte de personnalité"

Dans une voiture qui évolue sur une route de campagne. L'homme qui conduit explique qu'il cherche des familles d'accueil, et une fois qu'il en a trouvées, d'assurer une coordination avec elles. Une jeune femme explique comment s'est déroulée la rencontre avec Michel, un des enfants de Bonneuil dont elle a maintenant la responsabilité. Michel est filmé dans un atelier de poterie où un homme travaille. Nous comprenons que c'est son cadre d'accueil. Zoom sur les étagères de l'atelier sur lesquelles reposent ses productions : pots, vases, coupelles. Parmi elles une voiture cabossée, grossièrement peinte en bleu. Nous devinons à son aspect qui contraste avec les autres pièces que c'est une réalisation de Michel. l'homme explique qu'il veut, en tant que potier, privilégier la qualité à la quantité et faire de son travail un art de vivre. Sa voix est douce, ses gestes sont calmes. Par contraste, interjection d'une séquence de groupe de parole en présence de Maud Mannoni et Michel Polo où il est question des méthodes de formations professionnelles massives, et plus largement de la culture contemporaine du travail. Une jeune fille qui a suivi une filière technique se plaint que le rythme de rendement qui lui était imposé la bousculait dans son rapport à la tâche ; un des participants témoigne de son parcours professionnel qui s'est accompli dans les marges : "je n'ai bossé que deux mois dans une boîte, le reste du temps j'ai marginalisé." Par la séquence suivante, nous découvrons qu'il élève des chevaux et qu'il forme à la course de trot. Gros plan sur son visage aux traits nets, à l'expression rigide, détachée sur la grande aire gazonnée où il se trouve, donnant des instructions au jeune homme, assis dans un char, qui conduit le cheval auquel il est amarré. On devine que ce dernier est pris en charge par Bonneuil. Autre palefrenier qui témoigne sur un autre jeune homme de Bonneuil qui lui est confié : Philippe. Il le considère comme les autres lads (ceux qui prodiguent des soins aux chevaux) dont il s'occupe, il est satisfait de son travail. Quelques plans de coupe où on voit Philippe s'occuper du fourrage dans l'écurie. Interrogé, il regarde le sol, répond d'une voix atone : "Je voudrais être palefrenier. ce qui me plaît est le contact avec l'animal. J'aime bien leur parler. il faut être très doux. Si on est brusque, ils s'en rappellent". On se demande si cette dernière observation n'est pas à appliquer sur son propre compte. l'entretien se poursuit alors qu'il brosse la croupe d'un cheval. L'interroger alors qu'il s'affaire à une tâche qui lui est familière favorise une conversation plus intime. Quand on lui parle de Bonneuil, il rit avec réserve : "je veux pas être celui qui critique les choses, mais je trouve que c'est un milieu un peu anarchique. Ce qui me chagrine un peu, c'est qu'il y a un culte de personnalité, un peu. Mannoni qui dirige l'établissement, à tout ce qu'elle dit c'est : 'oui chef, bien chef'... la séquence se poursuit sur une course de trot avec, dans le char, Philippe et le palefrenier qui le dirige. Ce dernier avait affirmé qu'il faisait savoir à Philippe quand il n'était pas content de lui. Nous comprenons que Philippe, mécontent des du système de Bonneuil, apprécie cette approche simplement disciplinaire. (30:53)

François : "il a deux lieux"

Dans sa voiture, l'homme que nous avons vu au début de la séquence précédente continue de sillonner les routes de campagne pour assurer le travail de coordination qu'il a décrit. Il prend la direction de Bourigeole, indiquée par un panneau de signalisation routière, sous lequel est attaché une pancarte avec l'inscription manuscrite : "agriculture biologique". Il rejoint des hommes et femmes travaillant un bout de terre. Voix off des uns et des autres qui expliquent leur choix de reconversion : changer de profession (éducatrice, instituteur), arrêter les études, quitter la ville (Bordeaux). Un jeune homme les accompagne, auquel ils demandent d'accomplir de menues tâches - arracher une touffe d'herbe, porter un cageot. Par leurs conversations, nous apprenons qu'il s'appelle François. une musique se fait entendre, douce, sereine. Gros plan sur son visage incliné sur le côté, avec un regard rêveur, voire absent. Dans une vieille bâtisse, réunion de l'équipe dans la cuisine. Voix off d'une femme, l'une des responsables de l'exploitation : "C'est très agréable de partager tout ce qu'on fait avec François, parce qu'il écoute, il regarde..." Scène de trait de chèvre par François, dans une étable, encouragé par deux membres de la petite équipe. "On n'a pas l'impression de le prendre à sa famille, non. Il a deux lieux. On est toujours content de le voir revenir." Cut, scène de groupe de parole, un homme, que l'on devine être le père de François, assis à côté de Maud Mannoni, droit sur sa chaise et le regard dirigé vers le sol, affirme : "Il y a une espèce de mutilation de penser que tout d'un coup, l'enfant ailleurs serait malheureux ou ne recevait pas quelque chose que les parents peuvent lui donner". Il ajoute cependant qu'il a admis que le même enfant pouvait trouver ailleurs "beaucoup plus". (36:20)

Xavier : "il communique quand même" L'homme qui conduit la voiture continue sa route, s'éloigne de la vieille bâtisse où loge François et ses accompagnateurs pour rejoindre un domaine pourvu d'une maison de maître avec dépendances. A la suite d'une femme âgée vêtue d'une robe sur laquelle elle porte un gilet de laine, un jeune homme traverse un pré en traînant une carriole. Gros plan sur son visage au regard baissé, au sourire figé. Une voix de femme que l'on devine être celle que nous venons de voir en sa compagnie : "Xavier communique quand même, d'une certaine façon." Elle ajoute que si elle s'adresse à lui, il la comprend. Elle raconte qu'au début, c'était un enfant triste, "il avait des crises de cafard et se mettait à pleurer sans raison comme d'autres piquent des colères", puis ces crises ont disparu. A l'image, Xavier gesticule, tape des mains devant sa bouche ouverte, se met à rire, assis dans les herbes. Sa voix couine, émet des sons inarticulés. Cut, scène de groupe de parole (où on reconnaît la présence de la mère d'élève de Bonneuil qui était interviewée dans Vivre à Bonneuil), témoignage d'une femme que l'on devine être la mère de Xavier. Elle admet que la femme qui a accueilli Xavier réussit à entrer en communication avec lui : "Pour elle, Xavier parle, pour moi, pas toujours". En riant doucement, elle ajoute : "je crois d'ailleurs qu'elle lui confie ses soucis, et Xavier, par ses gestes, par sa tendresse, lui montre qu'il est avec elle". Selon la mère de Xavier, cette femme lui impose des limites qu'elle-même ne sait pas poser et lui concède une autonomie qu'elle même n'ose lui accorder. En entretien dans le salon de son château, la femme qui accueille Xavier estime que lui et elle "se comprennent d'une certaine façon", mais : " c'est difficile à expliquer." Ici, l'expérience prévaut sur la théorie. Le bien vivre ensemble, le respect mutuel, les tâches communes, la disponibilité de l'un pour l'autre contribuent à la réussite d'une relation thérapeutique qui s'avère à double sens. Retour dans le groupe de paroles, Maud Mannoni en voix off : "C'est sûr que c'est avec les parents que les difficultés se sont nouées, c'est avec eux qu'elles se dénoueront en dernier lieu." (41:23)

Groupes de parole : l'écoute mutuelle, la mise en commun du discours

Entretien de Robert Lefort, psychiatre, co-fondateur de l'Ecole de Bonneuil. Pour lui, il s'agit autant, pour faire suite à l'observation de Maud Mannoni, de "renouer" que de "dénouer". Il prend pour exemple le cas d'Hector qui cédait à ses pulsions de mort, incriminant sa mère, avant que son séjour à Bonneuil ne permette à ses parents "d'interroger leur propre discours". Retour dans le groupe de paroles. Une mère affirme que Bonneuil ne la met pas en situation de culpabilité. Elle insiste, pour que le cheminement intérieur puisse s'accomplir, sur l'intérêt des "réunions du lundi (celles du groupe de parole) où il ya quelque chose d'une analyse qui passe." Le principe de ces séquences tournées avec le groupe de paroles est de ne pas montrer d'emblée le locuteur, de laisser la caméra panoter sur les autres membres du groupe qui sont à l'écoute. La parole circule de l'un à l'autre, elle constitue cependant une matière commune, peut importe qui l'émet, dont la fonction est de contribuer à une réflexion collective. Autre groupe de paroles, où cette fois, c'est Philippe qui intervient pour expliquer le bénéfice qu'il tire de son analyse. A propos de son analyste : " Le principe est que vous parlez et lui il écoute. C'est pas lui le maître et vous l'enfant, pas comme dans une classe. L'analyste dit : 'vous avez quelque chose à dire, vous le dites', et lui, s'il a aussi quelque chose à dire, il le dit. C'est d'égal à égal". Raccord sur un entretien avec Maud Mannoni, seule derrière une table où un bloc notes est posé sur un journal ouvert. Elle regarde la caméra : "A Bonneuil, le spécialiste travaille pour sa disparition en tant que spécialiste. Il se rend compte qu'il n'a pas le monopole de la parole juste. ce que l'enfant demande, c'est quelqu'un qui parle 'nature' - c'est pas si fréquent dans le monde d'aujourd'hui. Ce que l'adolescent demande, c'est quelqu'un qui se soucie de lui et c'est pas si facile à trouver." (45:05)

Catherine : "là-bas, elle dit 'je'"

Photographie d'un bébé sur sa chaise à plateau. Intervention infographique pour indiquer qu'il s'agit de "Catherine". Dans un salon, ses parents expliquent son parcours : une "jolie petite fille", qui a mal vécu d'avoir été ballotée entre ses grands-parents et ses parents pendant des déménagements successifs, qui n'a pas apprécié sa nouvelle nourrice, qui s'est "enfermée "d'un coup" à la naissance de son petit frère : "et à, ajoute la mère, c'était fini". Cependant, son séjour dans une famille d'accueil l'a amené à changer de comportement, être plus ouverte, prendre vis-à-vis de ses enfants des responsabilités qu'elle délaisse en présence de ses frères et soeurs. A remarquer que sur les photos de famille, montrées comme archives, la mère est coiffée avec soin, et sans doute à la mode, avec des boucles qui dynamisent son visage, tandis que dans l'entretien, ses cheveux sont sévèrement tirés en arrière. Panoramique dans l'appartement, montrant des pièces claires et ordonnées, soigneusement décorées selon le goût contemporain, avec deux enfants attablés qui se sont plongés dans la lecture. La voix du père se fait entendre en off, douce et atone : "Elle parle là-bas beaucoup plus qu'avec nous, elle ne dit pas 'je' chez nous". Images du séjour dans la famille d'accueil, abords campagnards de la maison où Catherine séjourne, raccord avec l'intérieur où elle partage un petit-déjeuner. Filmer ces deux intérieurs dans la même séquence permet de montrer la différence de leur style, celui de la famille d'accueil étant d'un style rustique et traditionnel. Catherine étant filmée plus longtemps, on reconnaît la jeune fille qui figurait dans Vivre à Bonneuil, dans la séquence tournée chez un matelassier. La femme qui a accueilli Catherine, interrogée, explique qu'elle trouvait "tout naturel" de "prendre" cet enfant. Un de ses fils, jeune homme, trouve "très intéressant d'avoir des contacts avec ces enfants là, c'est une grande chose de connaître ça". Catherine, qu'on voyait passive chez le matelassier dans Vivre à Bonneuil, est filmée dans la cuisine en train de contribuer à la préparation du repas. La femme qui a accueilli Catherine se demande si elle pourra, de manière autonome, s'orienter vers le métier de tissage qu'elle souhaite pratiquer. Comme elle évoque les récents travaux que Catherine a effectués, celle-ci, présente à ses côtés, précise : "une écharpe". Dans la suite de l'entretien, même si c'est avec difficulté, elles interagissent ensemble. La séquence finit par un très beau travelling avant sur Catherine devant un métier à tisser. Le châssis du métier s'interpose entre la caméra et Catherine, mais l'espace entre deux de ses tiges permet de voir le regard de celle-ci, puis son visage entier à mesure que la caméra progresse vers elle tout en délicatesse. Ses yeux s'illuminent, son visage est souriant. Dans la bande son, sa voix qui murmure des mots indistincts, sans doute en rapport avec sa tâche, d'une voix calme. Elle chantonne presque. La caméra imprime un mouvement arrière, comme un parent recule du lit où son enfant est couché quand il a constaté que celui-ci avait cédé au sommeil. (53:43)

Notes complémentaires

Références et documents externes

Maud Mannoni "et l'équipe des soignants", Bonneuil, seize ans après - comment échapper aux destins programmés de l'Etat-providence, 1986, Denoël (col. L'espace analytique).

Mario Pujó, "Psicoanalisis y el hospital - conversación con Maud Mannoni, Fundadora de la Escuela Experimental de Bonneuil, y con Michel Polo, su Director en ejercicio", dans Psicoanálisis y el Hospital: Psiquiatría y psicoanálisis, n°9, fév 1996 (http://www.elpsitio.com/Noticias/NoticiaMuestra.asp?Id=1831).

A noter un documentaire que Jacques Baratier a réalisé en collaboration avec Maud Mannoni : L'enfance africaine, diffusé sur A2 le 16/01/1977 (notice INA n° CPB77052724).

Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Joël Danet