La santé publique (1962)
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Sommaire
Générique principal
Faire face / La santé publique / Une émission de / Igor Barrère et Étienne Lalou.
Réalisateur, Barrère, Igor ; Producteur, Barrère, Igor ; Producteur, Lalou, Étienne ; Présentateur, Lalou, Étienne ; Participant, Fontanet, Joseph ; Participant, Gennes, Jean-Luc de ; Participant, Minjoz, Jean ; Participant, Couvelaire, Roger (médecin) ; Participant, Huguier, Michel (médecin)
Contenus
Sujet
La politique de Santé publique en France : bilan et avenir.
Genre dominant
Résumé
Au cours de cette émission, Étienne Lalou se penche sur le grave problème des mauvaises conditions d'hospitalisation dans les hôpitaux français en compagnie d'un invité de marque, le ministre de la Santé publique Joseph Fontanet.
- Pour répondre aux questions les plus courantes que se posent les Français sur leurs hôpitaux, Étienne Lalou livre une enquête filmée dans certaines institutions publiques et a invité plusieurs témoins pour interpeller le ministre sur des expériences douloureuses vécues dans des services négligents et sous-équipés. (notice INA)
- Reportage d'Étienne Lalou dans un hôpital parisien afin de recueillir les impressions du personnel infirmier et des médecins qualifiés. Ce reportage est illustré par des plans de locaux lugubres, de couloirs sombres, de salles communes inhospitalières qui rendent compte de l'état de délabrement avancé de certains hôpitaux français en ce début des années 60.
- Le professeur Jean-Luc de Gennes dénonce l'exiguïté de l'habitat, l'insuffisance de personnel, les mauvaises conditions d'accueil, l'absence d'insonorisation des salles et propose, en guise de solutions, de construire de nouveaux hôpitaux, d'améliorer les installations actuelles ainsi que le recrutement du personnel.
- Le professeur David regrette, quant à lui, de ne pas être équipé pour pratiquer des interventions d'urgence. - Deux infirmières se plaignent de leurs conditions de travail, de l'exiguïté des lieux et des heures supplémentaires non payées. - Étienne Lalou confronte le ministre de la Santé publique, Joseph Fontanet, à plusieurs téléspectateurs venus présenter leurs expériences malheureuses auprès des services de santé (conditions d'hospitalisation scandaleuses, erreurs médicales lourdes de conséquences, traitements humainement dégradants).
- Le ministre met en avant les progrès réalisés depuis plusieurs années et promet dans les années qui suivent , une amélioration sensible des conditions de travail et une augmentation de la part accordée à la santé publique dans le budget de la nation.
- À la fin de l'émission, Étienne Lalou organise un mini débat sur l'avenir de l'hôpital et du nouveau système du plein-temps hospitalier en compagnie de messieurs Jean Minjoz (ancien ministre président de la Fédération hospitalière), le professeur Roger Couvelaire, le professeur Michel Huguier, le professeur Roger Wolfrom face à leur ministre de tutelle. Ces médecins s'opposent fermement à ce nouveau système tandis que Joseph Fontanet tente de dissiper leurs craintes et conclut en indiquant que les rapports qu'entretient une nation à l'égard de ses hôpitaux publics conditionnent les rapports qu'elle institue entre les riches et pauvres. (notice INA)
Contexte
Le film se situe quatre ans après la grande réforme hospitalière de 1958, initiée par Robert Debré. Cette réforme prévoit la modernisation structurelle du système et la création des CHU qui combinent le soin, l'enseignement et la recherche.
Les hôpitaux après la Seconde Guerre mondiale
Au début des années 1950, les hôpitaux comprenaient des dortoirs de 25 à 30 lits. Des patients atteints de diverses pathologies étaient parfois groupés pour les isoler des patients vivant leurs derniers instants. Face à ces conditions désastreuses d’hébergement, les malades rechignaient à fréquenter les hôpitaux sauf ceux qui étaient situés dans les villes sièges des écoles ou facultés de médecine et bien entendu les hôpitaux de Paris intra-muros, car c’est là que s’exprimait la médecine de pointe servie par des Professeurs d’Université dont le temps se partageait entre les cours magistraux et l’hôpital le matin et la réception de la clientèle privée en cabinet libéral l’après-midi. Le soir, c’était les internes qui assuraient la contre-visite des malades et quelques médecins résidents, c’est-à-dire salariés à demeure, pourvoyaient aux urgences. Pour accueillir la clientèle des assurés sociaux, il fallait rénover les hôpitaux. S'ouvre alors la période d’humanisation des locaux par la suppression des salles communes et la création des chambres à 1 voire 2, et exceptionnellement 4 lits. C’est aussi l’effort de rénovation pour suivre le progrès médical avec la création de grands laboratoires communs à tout hôpital, supprimant en conséquence les petits laboratoires de service. La qualité des soins allait de pair avec la qualité d’hébergement.
Par ailleurs, encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la médecine française souffrait de la distanciation entre la pratique médicale (en cabinet libéral) et la pratique hospitalière où le médecin passait quelques heures par jour et enfin l’enseignement où le professeur transmettait ses connaissances à des élèves qui n’étaient pas obligés de suivre des stages hospitaliers, excepté lorsqu’ils étaient reçus au concours de l’externat. (d'après : Clément, Jean-Marie. « Pour une histoire des réformes hospitalières », Revue d'histoire de la protection sociale, vol. 2, no. 1, 2009, pp. 103-117. )
une nouvelle politique hospitalière
C’est le Professeur Robert Debré qui va décider son fils Michel Debré, tout nouveau Premier ministre de la Ve République, de créer le concept de Centre Hospitalier Universitaire regroupant le Centre Hospitalier Régional dont la création était l’œuvre de la régionalisation à l’époque de l’État français (1940-1944) et l’université médicale ou la faculté de médecine, sans cependant attenter à l’autonomie de chacun de ces établissements.
La création du CHU est précédée, sinon préparée, par trois ordonnances importantes. Celle du 11 décembre 1958, accompagnée du décret n° 58-1202, portant sur la réforme hospitalière, fonde trois instances nationales ayant pour missions la conception de la nouvelle politique hospitalière et le contrôle de sa mise en oeuvre : la Commission nationale de l’équipement hospitalier, le Conseil supérieur des hôpitaux et le Conseil supérieur de la fonction hospitalière. Les commissions administratives des hôpitaux voient leurs membres passer de sept à neuf, dont trois représentant le conseil municipal. Dans les établissements de plus de 200 lits, les pouvoirs du directeur sont élargis à l’ordonnancement des dépenses et à la perception des recettes, pouvoirs jusque-là détenus par le président de la commission administrative. L’ordonnance du 13 décembre institue les coordinations des établissements de soins comportant une hospitalisation avec obligation de déclaration préfectorale pour la création de tout établissement de santé privé. L’ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre fonde l’hôpital universitaire. Les dispositions concernant la création des CHU et la réforme des études médicales sont réparties entre le Code de l’éducation et le Code de la santé publique. L’idée directrice du Pr Robert Debré est d’unir par convention les grands hôpitaux publics et les facultés de médecine, tout en garantissant leur personnalité morale et leur autonomie financière. L’ordonnance est votée au cours du dernier Conseil des ministres de l’année 1958. L'élaboration de la réforme se situe entre la IVe République finissante et la Ve, dont la Constitution a été promulguée mais qui n’a pas encore de président officiel. La quasi-totalité des textes est élaborée par le Comité interministériel présidé par Robert Debré.
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Oui.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Oui.
- Animateur : Oui.
- Voix off : Oui.
- Interview : Oui.
- Musique et bruitages : Oui.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Cette édition de l'émission "Faire face", réalisée par Igor Barrère, tient lieu de correctif aux émissions médicales réalisées par le même journaliste qui ont, selon lui, trop mis l'accent sur les progrès des techniques et des équipements en médecine. Le début du film vise donc à faire état de cet excès d'optimisme pour préparer au constat réaliste que l'émission va établir par la suite. La première séquence comporte des vues documentaires frustes, aux bas éclairages, aux motifs triviaux, qui contrastent vivement avec les images des émissions médicales centrées sur les appareils de pointe maniés dans des locaux neufs. Ces tableaux d'un réalisme cru préparent aux témoignages qui, quoiqu'ils soient tenus par des médecins renommés, des "grands patrons", ne sont pas moins crus. Dans leurs propos, il est question d'argent et d'espace qui viennent à manquer, mais aussi du bruit intempestif des chars qui passent, ou d'agonies sans isolement.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
télévision, 1ère chaîne, 09/02/1962 à 20h40.
Communications et événements associés au film
Public
Tout public
Audience
Descriptif libre
Corriger la vision optimiste des émissions médicales déjà diffusées
Générique de l'émission "Faire face" sur le mouvement final de L'oiseau de feu d'Igor Stravinsky : l'écran est divisé en deux bandes monochromes, le mot "Faire" écrit en lettres blanches dans la bande noire, le mot "Face" écrit en lettres noires dans la bande blanche. Le même dispositif s'applique au reste du générique. Plusieurs vues de façades d'immeubles modernes et d'équipements hospitaliers. Commentaire : "Depuis cinq ans, nous présentons chaque mois aux spectateurs de la télévision les raisons d'avoir confiance dans la médecine française. Nous leur montrons des immeubles magnifiques et les opérations les plus délicates pratiquées par les maîtres les plus habiles et dans les salles les mieux équipées." La suite du commentaire vante aussi la compétence et le dévouement du personnel. Mais, poursuit-il : "Est-ce que cela signifie que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?" Travelling dans un couloir sombre qui se prolonge dans une chambre. Alitée, une femme tournée vers la fenêtre considère le dehors d'un regard mélancolique. La musique triomphale de Stravinsky cède à une musique faite de notes graves et tendues. À sa propre question, le commentaire répond : "non". Il relève les transports abusifs des malades d'un établissement à un autre, et le manque d'équipements dans certains locaux. Travelling sur un infirmier qui marche le long d'un bâtiment vétuste et à l'architecture sommaire. "Trop souvent, brancards et civières s'entassent dans un couloir qui sert de salle d'attente à un local d'examen dont la porte reste mystérieusement close." Plan sur un espace sombre, encombré d'une armoire, où des patients, vêtus de pyjamas et enveloppés de couvertures, se côtoient dans une attitude de prostration. Par plusieurs travellings sur un parcours de 180°, la caméra s'attarde sur le visage las des hommes et des femmes présents. "Comme dans les romans de Kafka, les individus se sentent métamorphosés en hannetons impuissants".
Le commentaire poursuit en évoquant "les litières moyenâgeuses", "les salles communes au plafond bas" où le seul réconfort est "le spectacle de la maladie des autres" et "où toute la misère humaine semble s'être donné rendez-vous." Par des plans éclairés faiblement, des patients sont montrés à genoux à côté de leur lit, s'alimentant de denrées qu'ils tirent de boîtes de cartons qu'ils ont posés sur son matelas - sans doute des colis. Un panoramique part des lits rangés les uns à côté des autres et rejoint le poêle à charbon qui chauffe l'espace. Ces salles communes sont "si encombrées qu'il est impossible au personnel infirmier d'y assurer convenablement sa mission", devant procéder dans les couloirs à leurs analyses et examens. Il peut s'agir comme à Bicêtre, de "baraquements en bois construits de manière provisoire il y a un demi-siècle". Travelling dans une guérite vide. Plans de lavabo et de cuvette relégués dans des réduits aux murs rongés de salpêtre, équipements sanitaires sommaires. Le provisoire qui s'installe, la promiscuité qui prévaut : le commentaire met en perspective son affirmation de départ, demandant quelles ont pu être les pensées des patients et du personnel éprouvés par cet entassement quand ils regardent "les installations modernes" qui sont montrées dans les émissions déjà diffusées. La présente émission cherche à corriger leur point de vue moderniste et partiel : "Ce soir, c'est de cette misère, c'est de toutes ces imperfections petites et grandes que nous allons parler. Nous ne vous montrerons pas les derniers miracles de la science, mais le décor quotidien où ils s'opèrent, et les grands patrons vont vous entretenir maintenant de ce dont ils sont moins fiers - des nombreuses insuffisances de l'hôpital. (03:14)
Entretien avec le Pr de Gennes : "la grande insuffisance, c'est l'habitat"
Filmé en plan taille dans un bureau, devant un tableau à planning et une armoire remplie de récipients, le professeur décrit les conditions déplorables du soin dans les chambres communes : "La grande insuffisance pour le bien des malades, ce ne sont ni les soins qui sont parfaits, ni le personnel qui est remarquable, ni les médicaments qui leur sont distribués, ni la nourriture qui est bonne. C'est l'habitat. C'est le côté hôtelier de l'hôpital qui en est encore à la période de Saint-Vincent de Paul." Le professeur affirme qu'il a la charge de quatre salles communes supposées accueillir 25 lits et qui en contiennent 30, voire 40, avec des lits qui se touchent, "il y en a jusque dans les couloirs". Il conclut en fonçant des sourcils : "Il est absolument impossible dans ces conditions-là de faire convenablement son métier, et surtout de faire au malade une vie humaine, une vie heureuse." Le professeur déplore que la vie du malade soit pénible non pas par manque de "soins et de tendresse", mais à cause des problèmes matériels. Il met en cause "la promiscuité épouvantable" qui rend "le sommeil très précaire" chaque nuit. Si un malade est dans une situation d'urgence pendant la nuit, les autres malades doivent témoigner de l'intervention pour le soigner. Un mourant n'est pas non plus isolé. "La mort à l'hôpital est une chose affreuse parce qu'elle est accompagnée d'un cortège de soins qui avertit de la mort. On amène deux paravents, le malade sait qu'il est séparé de la vie" et les autres patients s'intéressent à son sort.
Le Pr de Gennes déplore également que les infirmières n'aient pas suffisamment de place pour travailler, le fait que seuls deux "maigres lavabos" sont prévus pour une salle commune, et des "water-closets qui rappellent les casernes de Courteline. Le manque d'insonorisation rend incommode le bruit quotidien de l'activité hospitalière. Le déplacement des chars de 6 h du matin à 9h le soir produit un bruit de "chars d'assaut". (07:00)
Entretien avec le Professeur David : "trop de promesses sabrées par l'administration des finances"
Sans transition, nouvel entretien, avec le Professeur David. Il se plaint du manque de financements pour renouveler ses équipements. il évoque une "table de refroidissement" pour des malades en neurochirurgie ou cardiochirurgie. Alors que de "petits pays" comme le Danemark, la Suisse, disposent de tels matériels, il le réclame en vain depuis plusieurs années. Nous voyons, avec son agacement, l'expression de la frustration d'un spécialiste qui connaît le matériel de pointe qui lui est désormais nécessaire pour mettre son équipement à jour, et dont il ne peut disposer. "Toutes les années, ça revient au plan d'équipement", mais pas en position prioritaire. Il rappelle que les "urgences" en neurochirurgie ont beaucoup augmenté depuis dix ans, et que ce service ne dispose pas des équipements nécessaires pour y faire face. Si les pouvoirs publics, que le Pr David et ses collègues ont alertés, "ont parfaitement compris le problème", il peine à croire que le "plan d'action" qu'il a lui-même suggéré sera mis en oeuvre : "On m'a fait trop de promesses", dit-il avec un sourire amer, des "promesses sabrées par l'administration des finances". Son souci est de pouvoir intervenir la nuit. Il interpelle le journaliste : "je voudrais bien que vous veniez avec vos caméras pour filmer ce qui se passe à deux heures du matin quand on a une urgence neurochirurgicale et un traumatisé qui arrivent ensemble !" Il ajoute : "C'est à force de dévouement, de fatigue, et, permettez-moi de le dire, de 'débrouillage', que mes chefs de clinique, mes assistants, mes panseuses et tous les spécialistes, - anesthésistes, neuropathologiste, et encéphalographiste - arrivent à surmonter le problème. Mais ce sont des cabrioles, un équilibre instable, et il faut absolument que tout ceci soit codifié". La situation qu'il connaît est, selon lui, comparable à la chirurgie de guerre. "Les finances, c'est l'ennemi de notre progrès!", s'emporte-t-il. Il ajoute, avec un sourire malicieux : "Faites-nous de bonnes finances, nous ferons de bonnes urgences !" (11:31)
Entretien avec le Pr de Gennes : "les malades souffrent du manque de personnel"
Pour le professeur, l'insuffisance du personnel dans l'hôpital constitue "un des grands drames de l'hôpital." Il insiste sur la perfection de son travail, mais déplore son nombre insuffisant : il faudrait "4 fois plus d'infirmières". Le travail de chaque infirmière s'en ressent. Le professeur rappelle que ce travail n'est "plus du tout ce qu'il était il y a trente ans", c'est-à-dire qu'il a gagné en exigence technique. Il ne s'agit plus de donner des potions, mais de "faire des perfusions, des injections intraveineuses". Or, l'hôpital doit composer avec une infirmière pour 40 malades.Ceux-ci doivent "leur salut à l'extrême dévouement des infirmières". À ce moment, la caméra cadre en gros plan le professeur, renforçant l'impact de l'expression navrée et lasse de son visage. Devenir une infirmière de l'Assistance publique, poursuit-il, requiert un "goût pour l'apostolat" parce que ce métier qui demande tant de dévouement (le professeur répète ce mot) est par-dessus le marché très mal rémunéré (il précise : 30 ou 40 000 francs, 80 000 pour les "surveillantes émérites"), alors qu'il l'est davantage dans l'industrie civile et les cliniques, les maisons de santé " et surtout, elles ont leur dimanche". Une autre raison de cette carence en infirmières est la difficulté du concours qu'il faut passer pour pouvoir exercer cette responsabilité. Il suppose un stage de deux ans et de répondre à des "questions qui sont fort étrangères à leur métier". Elles peuvent être recalées pour n'avoir pas su répondre à des questions de droit administratif "qui n'ont rien à voir, je vous le jure, avec les soins des malades".
Témoignage du personnel infirmier : "Les nouvelles infirmières sont souvent déçues"
À ce point là de l'entretien, la réalisation fait intervenir une séquence avec une infirmière, sans doute "une surveillante émérite" puisqu'elle emploie la formule "nos infirmières" comme si elle en avait la responsabilité. Elle fait état de plus de trente lits installés dans les couloirs pour y remiser les malades. De même que dans les salles communes, le malade gravement atteint pris en charge dans ces conditions doit rester au milieu des autres. Un paravent est amené pour l'isoler à condition "qu'il n'ait plus sa lucidité", sinon le choc causé par cette mesure serait trop grand. Elle est filmée dans un couloir encombré de lits, situation qui illustre ses propos. L'entretien se poursuit sur les autres points soulevés par le Professeur de Gennes. "Toutes les infirmières font des heures supplémentaires", affirme-t-elle quand le sujet est abordé. À la question "Sont-elles payées", elle répond simplement : "Ah non, monsieur". Elles font quand même ces heures parce qu'il "faut terminer le travail, et pour le malade". Les nouvelles infirmières sont souvent déçues par la pratique de leur métier parce qu'elles n'ont pas été suffisamment informées sur sa réalité quand elles ont été formées. Une autre infirmière est filmée, sans doute appartient-elle au service pédiatrique puisqu'elle est interrogée sur la spécificité du soin pour enfants. "C'est une responsabilité beaucoup plus grande, explique-t-elle : l'enfant ne dit pas toujours où il a mal, c'est à vous de deviner, parfois." "Avez-vous des problèmes d'urgence, ici ?" "Beaucoup, monsieur", répond l'infirmière. Comme sa collègue, elle emploie "monsieur" pour asseoir la dignité de ses réponses. Elle poursuit en évoquant de gros accidents qui demandent des opérations en urgence. "Il serait nécessaire qu'on fasse une banque de sang à Trousseaux", précise-t-elle. Le journaliste insiste sur cette carence : "Comment vous faites alors ?" C'est une stratégie récurrente de sa part pour souligner la situation d'urgence que doit affronter le personnel : comment fait-il malgré tout, comment peut-il faire ? L'infirmière évoque la banque de sang à l'hôpital Saint-Antoine à laquelle il faut avoir recours, y compris quand l'enfant qui arrive en urgence est "grièvement blessé". La recherche du sang nécessaire suppose qu'une infirmière se rende à Saint-Antoine en métro. Or le groupage peut prendre plus d'une heure. "C'est beaucoup de temps perdu", conclut l'infirmière avec un regard fatigué.
Retour au Pr de Gennes. "Ces maux ne sont pas sans remède." Il faut construire des hôpitaux et aussi des hospices pour y accueillir "les vieillards qui nous encombrent". Ceci implique de centrer l'hôpital sur le soin : "Il faut cesser de confondre l'hôpital avec l'Armée du salut". En attendant de bâtir, il faut améliorer l'existant et recruter ce qui implique de prendre l'exemple sur les industriels et de mieux rémunérer le personnel et lui offrir des "conditions plus attirantes" de travail. (19:44)
Conclusion du reportage : tableau d'un "provisoire (qui) dure"
Succession de plans sur des façades noirâtres de vieux corps de bâtiment qui font écho à ceux qui ont ouvert le film. Commentaire : "oui, il faut abattre les murs lépreux des vieux édifices, ou alors les classer aux Monuments historiques, mais ne plus les utiliser comme hôpitaux." Panoramique sur une salle commune, faiblement éclairée, au plafond bas, un pilier entre chaque lit. Le commentaire poursuit en rappelant que des installations du XIVe siècle restent en usage pour les malades aujourd'hui. "Nous sommes dans un pays où le provisoire dure". Une séquence est consacrée à la cuisine. Plans d'une baraque avec le panneau "cuisine générale", vue d'un intérieur encombré de palettes, contre-plongée sur un passage au plafond de vitre dont le châssis est épaissi par la saleté, gros plan sur des brûleurs pareillement encrassés avec un raccord en panoramique vertical sur un haut plafond rongé de salpêtre. "Pourquoi serait-il recommandé de ne pas aller voir de trop près et de quelle manière elle se fait cette cuisine si l'on ne veut pas avoir l'appétit définitivement coupé ? Pourquoi faudrait-il être logé près des cuisines, si l'on veut avoir la chance de manger chaud ?" Travelling dans un couloir extérieur, tenu par des étais, qui mène à un tas de charbon : "la vie hospitalière en 1962 est encore placée sous le signe du charbon." Raccord avec des seaux de charbon déposés auprès du poêle pour l'alimenter. Le commentaire reprend des termes employés par le Pr de Gennes : "caserne de Courteline", "armée du salut", "Saint Vincent de Paul". Nouveau travelling dans une salle commune qui s'attarde sur des personnes âgées alitées, le commentaire, toujours sur le même ton revendicatif, réclame que des bâtiments spécifiques leur soient réservés pour pouvoir consacrer l'espace de l'hôpital aux "vrais malades". Encore des pans sur une galerie sombre, aux équipements vétustes où claudique un vieil homme. "Comment peut-on trouver humain qu'un vieillard finisse ses jours dans un décor lugubre où il se sent déjà dans l'antichambre de la mort ?" Le commentaire poursuit en parlant de chance ou de malchance selon que le patient est pris en charge dans un hôpital "moderne" ou "vétuste". Travelling en contre-plongée sur la cime dénudée d'arbres en hiver. "Ce soir, dans nos studios, un certain nombre de représentants de l'opinion publique et le ministre de la Santé ont essayé de faire face à une situation qui doit à tout prix être améliorée." (23:59)
Le débat
Sur un plateau décoré de photographies prises dans les hôpitaux, Étienne Lalou anime un débat entre différents acteurs du système de soins (voir les notes complémentaires pour le parcours de chacun). Il le présente comme une confrontation entre Joseph Fontanet, alors Ministre de la Santé, et des "représentants du public". Il évoque des lettres de téléspectateurs, écrites à l'invitation de la rédaction de la chaîne, qui devaient être "axées sur la critique". Néanmoins, précise Lalou, le contenu de beaucoup de ces lettres est "un hommage à l'hôpital". Même parmi les lettres critiques, beaucoup de leurs rédacteurs admettent avoir été bien soignés. Cependant, d'autres lettres mettent aussi le soin en cause. L'un de ses rédacteurs, invité sur le plateau, Mr Zettwug, fait le récit d'une erreur médicale, d'ordre chirurgical, à l'encontre de son épouse. Il relève aussi des erreurs et des négligences dans le soin. Le ministre interpellé explique que l'administration de l'hôpital n'est pas responsable des décisions du médecin qui est maître de sa réponse thérapeutique. Il rappelle "la part de l'imprévu, de l'incontrôlable" dans l'exercice de la médecine, amène le témoin à préciser que l'accident est survenu dans une clinique et non dans l'hôpital, et qu'à ce titre, il n'implique pas le système hospitalier. (33:11)
Lalou qui reprend la parole précise que la plupart des lettres concernent l'administration de l'hôpital. Une témoin, Madame Proteau, raconte la manière dont son père, lui-même médecin, a été pris en charge alors qu'il venait de subir un malaise. Le médecin qui l'examine hésite entre salmonellose ou atteinte du poumon, le fait acheminer vers l'hôpital. Atteint de délire, le patient est extrait de la salle des convalescents où il était accueilli, pour être redirigé vers un hôpital psychiatrique, section "internés", puis transporté dans un "hôpital libre" où il est mort dans une chambre sans avoir eu reçu de soins. Le diagnostic final a été "pneumonie aiguë". "Quelle est la négligence, demande-t-elle, qui fait qu'on a traité plutôt les conséquences que les causes ?" Le ministre, à nouveau interpellé, rappelle qu'en cas d'urgence, le malade n'a pas à être orienté dans l'établissement de son secteur, mais dans celui qui est le mieux équipé pour le traiter parmi ceux qui sont les plus accessibles. Il estime qu'il aurait fallu confier son acheminement à une équipe d'ambulanciers et non à un proche. Il admet néanmoins que le diagnostic établi était "gravement erroné." Sa conclusion est qu'il faut avoir recours à un médecin pour savoir quel service doit recevoir le patient. Comme la témoin insiste sur le fait que c'est justement un médecin qui a acheminé son père vers l'hôpital, Fontanet demande, comme au premier témoin, si l'hôpital où a été établi le diagnostic erroné était public. Comme elle répond que c'était un hôpital privé, il répond un : "Oui..." éloquent. (38:48)
Notes complémentaires
Jean-Luc de Gennes
Chef de clinique à l'Hôpital Broussais de 1957 à 1959 puis professeur et chef du service d'endocrinologie-métabolisme au Centre hospitalier universitaire de la Pitié-Salpêtrière de 1963 à 1993.Clinicien de l’endocrinologie pédiatrique et adulte, il se consacra à la recherche sur les lipides et leurs conséquences athérogènes, il a contribué à la compréhension des pathologies lipidiques et du métabolisme des lipoprotéines. Il a proposé une classification simple et précise des hyperlipidémies. Concernant l’hypercholestérolémie maximale, il avait proposé dès 1967 un traitement révolutionnaire : la plasmaphérèse avec échanges plasmatiques et apuration du LDL. Ce traitement que Jean-Luc de Gennes avait inventé est utilisé à travers le monde et reste le traitement de référence pour les formes familiales graves d’hypercholestérolémie.
Joseph Fontanet
En janvier 1959, il entre au gouvernement de Michel Debré comme secrétaire d’État à l’Industrie et au Commerce. En novembre, il est de nouveau nommé secrétaire d’État au Commerce intérieur et contribue à une vaste réforme du secteur dont il a la charge. C’est la modernisation des commerces, l’ouverture à la concurrence, la stabilisation des prix dans le cadre de la vaste opération de redressement économique et financier lancé par les premiers gouvernements du général de Gaulle. Sa réussite comme secrétaire d’État au Commerce lui vaut, en 1961, d’être nommé ministre de la Santé publique et de la Population de Georges Pompidou. Il fait accroître sensiblement les crédits d’équipement hospitalier et annonce une série de mesures en faveur des infirmières, mais sa mission va cependant s’arrêter à cause d'un désaccord politique avec le général de Gaulle à propos de l'Europe. Il contribue dès lors à la construction d'un pôle centriste.
Jean Minjoz
Élu député du Doubs en 1945, réélu jusqu'en 1958. Européen convaincu, en mai 1948, il participe au congrès européen de La Haye avec la délégation française en compagnie de Blum, Mitterrand, Monnet, Schuman, Chaban-Delmas et Edgar Faure. Minjoz est l'auteur d'une proposition de loi en 1950 relative aux fonds des Caisses d'épargne, dite « loi Minjoz », qui autorise les caisses d’épargne, dans le cadre de la reconstruction et de la modernisation de la France, à employer une partie des fonds du livret en prêts bonifiés aux collectivités locales et aux organismes publics, si bien que les candidates qui sont recalées "le sont pour des raisons imprévisibles" comme la maîtrise de connaissances en droit administratif.
Roger Couvelaire
Né en 1903, décédé en 1986), chirurgien français, spécialisé en urologie. Il deviendra auteur de plusieurs essais pour le grand public sur la pratique de la médecine, dont Un chirurgien contre le vent (1979).
Michel Huguier
Spécialisé en chirurgie digestive. Interne des hôpitaux en 1960, chirurgien des hôpitaux en 1971, en 1984 il devient Chef du Service de Chirurgie Digestive et Générale, Hôpital TENON, et membre de l’Académie nationale de médecine.
Références et documents externes
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Joël Danet