Ils ont votre âge n°3 : un moment dans la vie de Lætitia (1982)
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Sommaire
Générique principal
(Générique de début)
Le SCEREN – [ CNDP – CRDP ] et l’Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3 présentent / Un film de la Cinémathèque centrale de l’enseignement public, principal distributeur de documentaires de 1920 à 1996 dans les établissements scolaires de la maternelle à l’université. / Ils ont votre âge n°3 un moment dans la vie de LAETITIA
(Générique de fin)
Dans la série animée par France NGO-KIM / c'était une émission de Janine CODOU / avec la participation de Catherine LANOUVELLE, Thérèse DABOUD, Géraldine VAUCONSANT / image : François CHARLET, Jacky PESCHARD / son : Marcel BROSSARD, assisté de : Olivier VARENNE / mixage : Claude ORHON / montage : Josette JOURDAN / chef de production : Raymonde TENDRON / assistant de réalisation : Jean-Claude RABODON / réalisation : Jacqueline MARGUERITTE / Ministère de l’éducation nationale CNDP – France - 1982 / Accompagné de la musique O SUPERMAN de Laurie Anderson
Contenus
Thèmes médicaux
- Système nerveux. Organes des sens
- Aspects divers de la maladie, du patient et de l'intervention médicale
Sujet
Un aperçu de la vie quotidienne de Laetitia, 8 ans, atteinte de surdité : sa scolarité en milieu ordinaire, ses interactions sociales, ses activités dans différents environnements.
Genre dominant
Résumé
Portrait de Lætitia, une enfant de 8 ans et demi, élève en CE2 et sourde. Cette mise en lumière souligne le soutien de sa famille, de l'école et de son enseignante spécialisée qui lui permettent de suivre une scolarité ordinaire. À travers divers exercices, on observe les efforts de Lætitia pour progresser dans l'apprentissage du langage.
Elle exprime sa joie de vivre lors de ses cours de danse et dans ses interactions avec ses camarades de classe. L’objectif de ce court-métrage est de montrer que le handicap de cette enfant n’est que sensoriel, et non social ou cognitif.
Contexte
Le contexte dans lequel a été tourné le court-métrage est celui d’une dualité de méthodes d’enseignement pour les personnes sourdes et malentendantes. D’une part l’oralisation, c’est ce que nous observons dans le reportage, et d’autre part la méthode gestuelle qui tend à être réintroduite.
Le terme d’oralisation fait référence à l’utilisation de la communication verbale par une personne sourde. Cette méthode d’enseignement permettait de faciliter les échanges verbaux entre sourds et entendants, notamment lorsque l’usage de la Langue des Signes était interdite. Néanmoins il s’agissait plutôt de demander aux personnes sourdes de s’adapter aux entendants que d’une méthode pour les inclure réellement dans la société : en effet, parler sans percevoir est très complexe et pose de nombreuses difficultés.
Cette méthode entre en conflit total avec un autre enseignement : celui de la langue des signes. En France, "Le Réveil Sourd" est un mouvement social et culturel initié par des personnes sourdes. Lancé dans les années 1970, ce mouvement vise la promotion des droits des personnes sourdes et la réhabilitation de la langue des signes française (LSF), impliquant de fait une éducation bilingue (LSF et français écrit pour les élèves concernés), tout en luttant contre les discriminations. Ce mouvement a donc joué un rôle crucial dans la reconnaissance et la valorisation de la langue des signes en France, plaidant pour une inclusion véritable et une prise en compte des besoins spécifiques de la communauté sourde dans tous les aspects de la société.
Nous parlons bien de réhabilitation car l’Abbé de l’Epée, prêtre qui avait fondé la première école dédiée aux enfants sourds dans les années 1750, avait mis en place les prémices d’un système de signes gestuels. Mais en 1880, le Congrès de Milan interdit la langue des signes prétextant que l’usage de “mimiques” nuit à la parole, à l’intelligence et à la précision des idées. À la place, c’est la méthode orale pure qui est préconisée et qui permettrait aux enfants sourds de mieux s’intégrer dans la société, et ce au travers de 8 réformes.
Dans la première, la Convention considère “(...) l'incontestable supériorité de l'articulation sur les signes pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner une connaissance plus complète de la langue, déclare que la méthode orale doit être préférée à celle des signes dans l'éducation et l'instruction des sourds-muets.”. Dans le reportage sur Laetitia, nous sommes témoins de la prédominance de cette méthode, les éducateurs spécialisés préférant la faire entrer au maximum dans la communication orale. La langue des signes était prohibée et aucun contact n’était admis entre élèves apprenant l’oralisation et élèves ayant appris la langue des signes. Le congrès précise que ces enfants devaient être séparés des autres. Cela est notamment décrit dans l’article 8 qui dispose : “ Considérant que l'application de la méthode purement orale dans les institutions où elle n'est pas encore pratiquée doit être faite de manière prudente, graduelle et progressive pour éviter la certitude d'un échec, recommande : a) Que les élèves nouvellement admis dans ces écoles doivent y former une classe particulière, où l'instruction pourra être donnée par la parole. b) Que ces élèves doivent absolument être séparés des autres trop avancés pour être instruits par la parole, et dont l'éducation sera terminée par les signes.” Il s’agissait donc d’un bannissement de la langue gestuelle. Cette vision radicale a persisté durant de longues décennies. Ce n’est que jusqu’au Réveil sourd évoqué précédemment que la Langue des Signes fait son retour. En plus de cette approche sur le système des signes, il y a également la question de l’intégration scolaire en faveur des personnes handicapées selon la loi de 1975. Cette loi dispose d’une unicité au sein des établissements scolaires en incluant les élèves présentant un handicap, quel qu’il soit dans des classes “ordinaires ou dans les classes relevant du ministère de l’Éducation Nationale.”. Il y a donc un lien direct avec le cas de Laetitia qui, malgré son handicap, est incluse avec des camarades valides.
La question de l’utilisation du langage des signes n’échappe pas au documentaire. En effet, la journaliste pose la question suivante à une éducatrice spécialisée : « Les signes que vous utilisez avec Laetitia font-ils partie du langage gestuel que l’on voit à la télévision, dans les émissions pour les sourds ?” L’éducatrice, Thérèse, réponds que non. Le reportage ne nomme pas cette technique, mais il s’agit du LPC (Langage parlé complété). Le LPC repose aussi sur des gestes mais il est très différent de la Langue des Signes. On ne signe pas des mots mais plutôt les sons et les syllabes du français (avec 8 configurations de la main pour les consonnes et 5 lieux près du visage pour les voyelles). C’est ce qui permet à Laetitia de faire la différence entre des mots qui auraient exactement la même disposition labiale. C’est souvent un code associé à l’apprentissage de la lecture labiale, jusqu’a ce que celle-ci soit assez maîtrisée pour s’en passer. De plus, la question fait peut-être référence à l’émission “Mes mains ont la parole” de la chaîne française Antenne 2, diffusée de 1979 à 1988. Cette émission, qui faisait partie des programmes de Récré A2, est dédiée au public sourd. Elle a permis à de nombreuses personnes de voir la langue des signes française pour la première fois. Diffusée dans la même période que cet épisode d’“Ils ont votre âge”, elle ouvre la voie vers la question de la langue des signes et forme un choc avec l’éducation plus traditionnelle de l’oralisation. Au même moment, vers 1979, des émissions traduites simultanément en LSF font aussi leur apparition. Selon l’INA, la première émission retranscrite en LSF était une présentation des actualités de Noël Mamère sur Antenne 2.
Une vraie réflexion sur les apports de cette langue et sur son utilisation est menée par des chercheurs en linguistique, en sociologie, etc. Et dès janvier 1991, la Loi Fabius permet d’autoriser l’éducation bilingue de la langue des signes et du français. C’est en 2005 que la LSF sera reconnue comme une “langue à part entière” : une vraie continuité dans le combat pour la revalorisation de cette langue, malgré la prédominance de l’oralisation quelques années auparavant.
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Non.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Non.
- Animateur : Non.
- Voix off : Oui.
- Interview : Oui.
- Musique et bruitages : Oui.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Le film est réalisé dans l’idée de mettre en valeur les aspects de “vie quotidienne” de Laetitia. A l’aide de nombreux gros plans portés sur le visage de la petite fille, le spectateur se retrouve face à une enfant souriante, curieuse et soucieuse d’apprendre et d’évoluer avec ses camarades. Laetitia n’est pas que définie par sa surdité : des petits moments de vie, de jeu et d’interaction sont montrés pour révéler sa personnalité. En ce sens, les aspects négatifs ne sont pas présentés, au profit de scènes plus intimes. Nous observons Laetitia dans ses différents lieux de vie : à l’école, avec son éducatrice spécialisée, ainsi qu’à son cours de danse et finalement, au cœur même de son intimité, chez elle, accompagnée de sa mère. Par là, le réalisateur amène le spectateur à diriger son regard vers la notion implicite de “normalité”, malgré le handicap. Laetitia est montrée comme une enfant très entourée, surtout à l’école et en cours de danse, où elle retrouve ses amis. On la voit tout à fait capable de travailler, jouer, s’épanouir.
D'autre part, la mise en scène est faite de sorte à ce que le regard du spectateur soit porté sur les visages des protagonistes. En effet, à l’aide de nombreux gros plans et focus sur les visages, la caméra reproduit la vision de Laetitia directement, qui doit se concentrer sur les visages pour comprendre son entourage grâce à la lecture labiale. Cela forme un parallèle et force le spectateur, lui aussi, à se concentrer sur les visages en les écoutant.
À une époque où la prévention et la communication autour du handicap étaient encouragées pour contrer les nombreux stéréotypes liés aux capacités et à l'intégration des personnes atteintes de handicap, ce reportage offre une preuve tangible que la surdité ne constitue en aucun cas un obstacle au développement et à l'intégration sociale.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
Ce reportage se concentre sur l’éducation. En soi, il est assez détaché de la médecine et de la santé. Mais un pont peut tout de même être établi entre les deux, notamment sur les choix éducatifs pour les personnes atteintes de surdité, qui ont toujours été très dépendantes des avancées en médecine. La médecine, permettant notamment de nos jours des dépistages de plus en plus précoces, la détection des besoins et spécificités individuelles, finit forcément par se refléter sur les prises en charge, notamment éducatives.
La santé est ainsi présentée par l'enseignante spécialisée de Laeticia, qui a une formation sur la surdité en l'occurrence. Concernant la santé de Laetitia, elle est présentée sous différentes formes : d’abord d’un point de vue externe qui montre les différentes activités auxquelles elle peut participer malgré son handicap mais aussi en l'interrogeant directement sur son ressenti. Le but est surtout de montrer le quotidien des personnes porteuses d’handicap, ici la surdité. Il y a un suivi langagier régulier, avec un lien fait entre l’éducatrice spécialisée, la maîtresse et la maman de Laetitia.
Ensuite, on voit que la petite fille à une vie sociale assez développée, entre l’école et les cours de sport (notamment la danse, mais elle en cite d’autres). Cela contribue directement à sa santé, puisqu’on sait que des interactions avec les autres contribuent au développement et à la rééducation de l’enfant atteint d’un handicap. Ainsi, cela nous permet d’avoir un point de vue à la fois objectif et subjectif de la situation. Hormis les techniques de rééducation que met en place l’éducatrice, nous n’avons pas accès au suivi médical de l’enfant. Le but est de permettre à Laetitia de comprendre, et de se faire comprendre en retour à travers des méthodes de communication alternatives. “Elle n’entend pas mais à appris à lire sur les lèvres”, affirme la voix off à 2 minutes. Laetitia répète les patterns sonores en recopiant la forme des lèvres de ses interlocuteurs, d’où l'intérêt des signes mis en place par son équipe pédagogique et qui permettent à la jeune fille de distinguer les sosies labiaux. Bien que le champ articulatoire de Laetitia soit assez pauvre, nous la comprenons sans difficulté : elle s’exprime audiblement. La voix des personnes sourdes possède plusieurs caractéristiques qui vont varier d’un individu à l’autre. On retrouve notamment chez Laetitia une forte intensité et une monotonie vocale, un rythme de parole haché, une accentuation des expressions faciales et une altération de la prononciation.
Nous observons par ailleurs que Laetitia n’est pas appareillée. Le seul appareil auditif que nous voyons est le casque relié à un amplificateur qu’elle utilise lors des séances avec Thérèse. Grâce à celui-ci, Laetitia est capable d’entendre puisqu’elle répète sans voir les lèvres de son interlocutrice. La non-présence d’appareil auditif s’explique par la technologie de l’époque. De nos jours, de nombreuses personnes sourdes et malentendantes utilisent quotidiennement des appareils pratiques, discrets et remboursés par la Sécurité Sociale : mais cette avancée technologique n’est que très récente. Dans les années 1950, les laboratoires Bell ont développé les premières prothèses auditives à transistors. La décennie suivante a vu l'émergence des prothèses auditives numériques. Dans les années 1970, l'invention du microprocesseur a permis de miniaturiser ces prothèses numériques. Ces appareils étaient néanmoins volumineux, et servaient uniquement à augmenter le volume du son, comme c'était le cas pour Laetitia. Les premières puces pour appareil auditif qui permettent de réguler les niveaux de bruit élevés sont commercialisées dans les années 80. Ces puces étaient massives et consommaient beaucoup de batterie. À la fin de cette décennie, les prothèses auditives qui se déposent sur le contour de l'oreille sont apparues sur le marché.
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
Communications et événements associés au film
Public
Public scolaire.
Audience
Descriptif libre
[00:27 - 01:17] Présentation de Laetitia
Le film débute sur un cours de danse. Des fillettes bougent au rythme d’un tambourin. La scène se focalise directement sur le tambourin, puis alterne entre gros plans sur l’instrument et plans d’ensemble en contre-champ sur les enfants qui dansent. Laetitia, une petite fille atteinte de surdité, est visible dans le fond et réalise l’exercice comme toutes ses camarades. Elle les copie beaucoup. Une voix-off la présente : "Laetitia a 8 ans". On peut remarquer qu’après avoir balayé la salle en plan large, la caméra suit et se resserre sur la petite Laetitia, pour montrer que parmi toutes ces jeunes filles, c’est d'elle qu'il va être question.
[01:18 - 04:15] Le quotidien de Laetitia à l’école
Dans la salle de classe (01:18), la maîtresse fait une dictée tirée du livre Le Hobbit de J.R.R. Tolkien. Laetitia est assise au plus près de l'institutrice, c'est-à-dire à son bureau. On commence par prendre la classe en plan large, puis la caméra se resserre sur Laetitia qui écrit, pour ensuite revenir sur un plan un peu plus large sur l'enfant et son enseignante.
Voix off : « Laetitia est au cours élémentaire. Elle n’entend pas, mais a appris à lire sur les lèvres » et effectivement elle dirige automatiquement son regard vers les lèvres de son interlocutrice dès que celle-ci commence à parler. Les plans alternent à plusieurs reprises entre un gros plan sur Laetitia lorsqu'elle s’exprime et un plan d’ensemble lorsque la maîtresse lui parle. Il y a également un véritable focus en très gros plan sur les lèvres de l'enseignante et de son élève. Ces images rapprochées soulignent les difficultés de discrimination auditive de la petite fille car on voit son hésitation. Elle a du mal à comprendre et à écrire les mots dont les phonèmes n'ont pas d'image labiale comme le /k/ et le /R/ du mot "obscurité". De même, elle bute sur le mot « renâcle » qui lui est inconnu. La maîtresse insiste et lui présente une comparaison : la clé, pour les sons /kl/ qu’elle n’a pas perçu. Même si la maîtresse semble faire des efforts, elle a un air un peu agacé. Elle perd son calme après plusieurs erreurs et s'exclame : "Tu écoutes ce que je te dis ?", ce qui bien sûr est un non-sens puisque Laetitia n’entend pas. Manifestement, personne ne lui a donné les bases de phonétique qui lui permettraient de comprendre où se situe la difficulté pour son élève. D'autre part, bien qu'un schéma indiquant les cinq positions de la main du code LPC (à l'époque également appelé par son nom anglais "cued-speech") soit affiché dans la salle de classe (on l'aperçoit derrière Laetitia à 02:50).
D’autres élèves, eux entendants, suivent également la dictée.
Laetitia est tout aussi impliquée au sein de la classe que les autres élèves : elle distribue les feuilles, discute avec ses camarades.
La caméra se concentre beaucoup sur elle, assise près de la maîtresse. Mais elle nous laisse aussi observer la classe et une discussion entre Laetitia et une camarade.
Voix-off : « Ses camarades savent lui parler. L’attention que lui porte son institutrice, ses encouragements, font de Laetitia une écolière comme les autres ». Le choix de ces mots “comme les autres” est très important car il apporte une notion de normalité, d’inclusion, qui est un thème clé du reportage.
[4:16 - 4:42] Petit moment de vie : la récréation
Il est ensuite l’heure de la récréation (4:16). Laetitia est aperçue, de loin, jouant avec d’autres enfants. Un gros plan sur son visage nous permet de la voir parler avec ses camarades. De plus, on peut observer que les plans se succèdent, avec toujours la petite Laetitia dans le cadre, en passant de gros plan, à un plan rapproché, à un plan large, l’englobant dans la masse des enfants. Cette capture d’un instant bref d’une enfant qui joue comme n’importe quel autre élève, mélangée à la foule, renforce la volonté du film de nous montrer une enfant normale et parfaitement intégrée et adaptée à la vie en groupe.
[4:42 - 9:55] Thérèse, l’éducatrice spécialisée
Laetitia est dans une salle à part de l’établissement scolaire accompagnée d’une adulte appelée Thérèse, qui parle dans un micro directement relié à un amplificateur de son et un casque que porte Laetitia (4:42). On passe d’un plan rapproché, à l’échelle de Laetitia, a un plan moyen pour révéler Thérèse et le bureau, sans pour autant montrer toute la pièce. L’emphase est donc vraiment mise sur l’espace de travail qui forme le lien entre Laetitia et Thérèse. L’adulte réalise des tests dans lesquels Laetita doit reconnaître les noms des camarades et les répéter. Thérèse cache sa bouche quand elle parle, afin que Laetitia ne lise pas sur ses lèvres, et malgré cela elle s’en sort bien. Elle est beaucoup poussée à l’oralité : on lui demande de choisir 7 prénoms, de dire ce qu’est un sport, de raconter ce qu’elle fait le lundi après-midi, de décrire des images… La caméra alterne entre les plans rapprochés et les gros plans sur le visage de Laetitia et de Thérèse, et des plans moyens du bureau. Cela se fait quasiment en une séquence, avec peu de montage et de découpage. Cela illustre totalement qu’elles sont en plein échange et travaillent en coopération. Voix off « Depuis la maternelle, Laetitia et Thérèse travaillent ensemble à l’école 1h par jour. Thérèse est professeur spécialisée : elle apprend aux sourds à s’exprimer oralement. Aujourd’hui, Laetitia expérimente un amplificateur qui augmente considérablement la puissance des sons. ». Nous avons ici une illustration de ce qu’était la méthode oraliste qui poussait les enfants sourds et malentendants à produire de la parole et à entendre le plus possible, manière finalement la plus simple à mettre en place pour les éducateurs et enseignants, mais la moins pertinente et utile pour les enfants concernés. Produire le langage sans pouvoir le percevoir est un challenge et une méthode qui est pensée pour le confort des entendants et non pour le confort des non-entendants. En plus de l’oralité, Thérèse utilise des signes gestuels phonologiques aidant Laetitia à trouver le son correspondant. Il s’agit de LPC (Langage parlé complété). Ces configurations gestuelles de la main indiquent la syllabe utilisée pour permettre à Laetitia de différencier les sosies labiaux. De manière plus imagée, cela rappelle la scène du début avec le mot “renâcle”. La maitresse avait montré une clé pour que Laetitia comprenne la syllabe “cle”. Le langage parlé complété fonctionne en quelque sorte de cette manière. On indique la syllabe ne pouvant être perçue qu’avec la forme des lèvres pour enlever toute ambiguïté entre des mots proches.
On passe à une scène d’interview, focalisée sur Thérèse (8:18) avec un plan rapproché qui, dans la même séquence, s’avance pour former un gros plan sur son visage ou ses lèvres. On ne voit jamais dans le film le visage de la personne qui questionne les individus. L’accent est vraiment mis sur l’enfant et les personnes de son entourage. Journaliste : « Les signes que vous utilisez avec Laetitia font-ils partie du langage gestuel que l’on voit à la télévision, dans les émissions pour les sourds ?” Elle fait référence au doublage en LSF, langue à laquelle Laetitia n’a pas accès. C’est tout un monde qu’elle ne peut pas explorer puisqu’elle n’apprend pas les gestes. Thérèse : « Non pas du tout, ce n’est pas la langue gestuelle, c’est simplement des signes qu’on fait autour du visage pour préciser l’image des lèvres quand on parle le français. Lorsqu’on dit /bato/ ou /mãto/ (bateau ou manteau), vous avez la même image labiale, et l’enfant sourd ne peut pas reconnaître les deux mots. ». Elle mentionne aussi les sons non visibles : R, K, etc. Au moment de donner ses exemples, la caméra fait un très gros plan sur ses lèvres. Cela force le spectateur à se concentrer sur la lecture labiale, comme le ferait Laetitia par exemple. Cela met en lumière la difficulté de la tâche qui n’est pas anodine. La journaliste parle de ces “émissions pour les sourds” comme d’une nouvelle émission dont elle ignore le sens et le langage utilisé. Cela révèle aussi le contexte de l’époque où la langue des signes française n’était pas encore commune et répandue, là où à présent il est commun de voir des traductions en langue des signes ou des sous-titres adaptés au contenu audio-visuel.
Thérèse écrit chaque jour à la maman de Laetitia quels mots ont été étudiés. La mère pourra les mettre de nouveau en pratique au quotidien afin d’exercer Laetitia. La caméra nous laisse observer le bureau, le matériel, parfois le visage de Laetitia ou de Thérèse.
[9:56 - 11:47] L’apprentissage à la maison
Nous retrouvons Laetitia et sa mère dans leur maison, en train de discuter (9:56). Elles travaillent au bureau, comme un cours à la maison : la mère se positionne comme une maîtresse, mais assise au même niveau que sa fille. Elles revoient ensemble ce qui a été vu à l’école et ce qui sera vu demain, par exemple “effroyable”. Le cameraman fait un travelling avant puis s’arrête sur un plan rapproché de Laetitia et sa maman (qui sont assises). Ensuite, la maman parle en hors champ, la caméra est portée en gros plan sur le visage de Laetitia avant de s’écarter, c’est un dézoomage pour voir toute la pièce. Cela pose le cadre pour le spectateur. En voix off : « Dire et redire des mots pour bien les connaître n’est qu’une partie du travail quotidien de Laetitia. Il faut aussi apprendre la veille les mots et les expressions qui seront utilisés le lendemain ». Un gros plan nous montre Laetitia en train de lire à voix haute, discuter avec la mère, renforçant encore le fait que sa surdité n’implique pas forcément de distance sociale. Comme chaque enfant, elle a une relation et des discussions avec sa mère.
[11:48 - 12:14 ] Petit moment de vie : le jeu
Plus tard, Laetitia joue dans sa chambre aux Playmobil (11:48). On suit ses faits et gestes à travers un travelling latéral et des plans rapprochés. Elle invente des histoires, fait parler les personnages. Le but ici est de nous montrer comme pour la scène de récréation, une enfant qui aime rêver, qui aime jouer, seule ou avec des amis. C’est parce qu’elle a été éduquée à l'oralité qu’elle peut utiliser le langage parlé pour communiquer et même jouer.
[12:15 - 15:05] Interview de la mère
On assiste ensuite à une interview de la maman, assise sur un canapé avec un plan d’ensemble sur la scène, entrecoupée de moments en classe pour illustrer les propos. Elle se voit poser la question « Travaillez-vous ainsi chaque soir avec votre fille ? ». La mère se dit alors obligée car Laetitia n’a jamais entendu les mots : il faut donc les lui présenter et les lui expliquer, sinon le lendemain en classe elle n’aura pas accès au sens. C’est finalement tout le problème d’amener le son en priorité et non le sens : il faut sans cesse rattraper le retard, apprendre par cœur la prononciation, le sens du mot nouveau, jamais perçu ni utilisé.
Pour illustrer les propos, nous sommes de retour à l’école dans un moment de lecture d’une histoire par la maîtresse (12:47). Laetitia est toujours placée au centre du champ de vue, ce qui incite le spectateur à porter son attention sur elle. Laetitia est au milieu des autres enfants et interagit aussi avec la maîtresse en posant des questions et en participant activement. Elle est assise à côté de son enseignante pour pouvoir lire le livre ou regarder ses lèvres. Dans le livre, Laetitia est confrontée aux mots qu’elle a révisé la veille. Elle comprend et participe grâce au travail quotidien fait à la maison. On passe de gros plans avant de se détacher de la petite fille pour montrer l’ensemble de la classe en travelling latéral, avant de revenir très vite à un plan rapproché sur Laetitia. Nous sommes de retour à l’interview avec un plan américain suivi d’un travelling sur le visage de la mère. (14:02) « Vous habitez la banlieue parisienne, pourquoi Laetitia va à l’école dans le centre de Paris, assez loin de chez vous ?». La mère voulait une école qui accepte Laetitia et son handicap, ce qui n’a pas été le cas dans sa commune. Dans l’école où elle se trouve, par sa situation géographique, elle bénéficie du soutien d’un professeur de l’institut des sourds qui vient chaque jour et travaille en coordination avec sa maîtresse et elle-même. Cette réponse met en lumière les difficultés de trouver un suivi pédagogique adapté. Sans développer, il est sous-entendu que les écoles précédentes ne l'acceptent pas, nous laissant imaginer les discriminations auxquelles Laetitia a dû faire face. Quant à l’Institut des sourds, son rôle est historique, pionnier, et continue à être au cœur de l’enseignement, de la pédagogie, de la rééducation, de l’évolution du statut et des droits des personnes atteintes de surdité.
Après cette scène, nous passons à un travelling qui suit la voiture qui conduit Laetitia (14:30). La mère explique qu’elle et le père de Laetitia se relaient pour la conduire. On aperçoit un zoom progressif sur Laetitia en compagnie de son père.
[15:05 - 17:18] Le lien entre famille et école
Une nouvelle journée de classe commence pour Laetitia (15:10). Un plan d’ensemble qui commence par un travelling nous montre le drapeau français devant l’école : cela permet au téléspectateur d’avoir le contexte de l’institution dans laquelle nous nous trouvons. Nous sommes ensuite de retour dans le bureau de Thérèse avec un plan moyen nous laissant voir Laetitia, Thérèse et le bureau. A 11h, Thérèse « introduit Laetitia dans le monde des entendants ». Elle s’exerce aux mathématiques en jouant avec des billes oranges que Thérèse lui demande de distribuer. Les différentes activités sont présentées à l’aide de gros plans sur le matériel, les mains, les billes, le cahier de l’élève… A la sortie de l'école, (16:09) la mère rencontre la maîtresse et demande comment était sa journée. Grâce au plan d'ensemble, on observe la classe devant le bâtiment et les deux adultes qui surplombent le groupe. Il y a entre Géraldine, l’enseignante, et la maman une véritable complicité pour faciliter la vie d’écolière de la petite fille, adapter au mieux les enseignements et les apprentissages. Un plan d’ensemble nous laisse voir la voiture de la mère partir : le spectateur comprend que la journée d’école est finie pour Laetitia, elle rentre à la maison.
Au retour à la maison, nous avons un gros plan avec un travelling nous montrant le visage de Laetitia, puis de la mère, avant d’aller vers un plan d’ensemble qui révèle une partie du canapé et du salon. La mère est interrogée (16:50) : « Ne pensez-vous pas qu'à la maison et à l’école, c’est demander beaucoup d’efforts à une petite fille ? ». La mère dit: « Oui c’est évident, je crois que c’est indispensable quand on a fait le choix d’une scolarité normale. » Tout au long du reportage, l’accent est mis sur cette “scolarité normale” : elle est ici enfin nommée. Pour la permettre, ce genre d’efforts (échanger avec le corps éducatif, thérapeutique et pédagogique) est plus que nécessaire.
[17:18 - 18:19] Interview de Laetitia
Laetitia raconte à la journaliste son quotidien : peinture le matin, gymnastique japonaise, cinéma, au parc avec maman, la danse… Cette scène est importante car la parole est donnée à la petite fille qui peut parler d’autre chose que les leçons. Elle parle de ce qu’elle aime faire, et du fait que le sport a une place importante pour elle. Ici, on voit tout de même l’un des bénéfices du travail fait sur l’oralité sans lequel il y aurait des difficultés pour se faire comprendre quand elle raconte sa journée, ses passions… Toute la scène se déroule en gros plan sur Laetitia, sauf sur les dernières secondes, où l’on prépare la transition avec la scène suivante.
[18:20 - 20:11] Conclusion
Nous sommes de retour au cours de danse, comme au début du reportage. Cela forme une vraie épanadiplose cinématographique. Nous avons un focus sur Laetitia à travers des plans taille notamment.,On observe un travelling descendant puis latéral dans la salle de danse, montrant les différentes activités des enfants et les déplacements de Laetitia, mettant l’accent notamment sur la synchronicité de Laetitia et ses camarades du cours de danse. Une fois la musique lancée, elle se fond dans la masse dans certains plans. Elle écoute attentivement, tape le rythme avec ses mains. La voix off nous dit : « On dirait que Laetitia recrée intérieurement la musique qu’elle n’entend pas. Elle vit et danse au même rythme que ses camarades ». Nous retrouvons à nouveau cette volonté de ne pas catégoriser la petite fille en tant que personne atteinte de handicap mais bien comme une fillette “ordinaire”. Cette phrase finale de la voix off illustre parfaitement l’objectif de ce documentaire : prouver que c’est une petite fille qui peut s’intégrer, avoir les mêmes activités que les autres.
Même si pour l’époque, au vu du contexte, il était tout à fait novateur de filmer le quotidien d’une enfant sourde à des fins de sensibilisation, il n’en reste pas moins que la démarche est maladroite. A trop mettre l’accent sur la normalité de la situation, cette dernière pose finalement question. C’est une pathologie dont il faut comprendre les conséquences pour l’appréhender au mieux. Mais dans la mesure où le film a été réalisé à des fins de diffusion dans les établissements scolaires, il était important que le message passe clairement : ne pas discriminer les élèves porteurs de handicap, et dans ce cas, atteints de surdité. Ils jouent comme les autres, ressentent et comprennent comme les autres. Mais le travail sur la compréhension de la maladie n'a pas été fait. Durant des siècles, la surdité était associée à une déficience intellectuelle, mais grâce aux recherches et aux avancées notamment en médecine, nous savons aujourd’hui que ce n’est pas le cas du tout. Cependant, cette association persiste dans nos sociétés modernes sous forme d’une fausse croyance confondant handicap social, cognitif et sensoriel. Le documentaire permet de fissurer ce stéréotype avec ces instants de vie filmés, et qui, même s’ils manquent de subtilité, permettent un premier pas vers la sensibilisation.
Références et documents externes
Hamm, M. (s. d.). Le réveil Sourd en France. Pour une perspective bilingue d’André Minguy. Compte-rendu de lecture.
Les modes de communication pour les personnes sourdes. (s. d.).
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Amélie Bonal, Félicia Langlois, Loïc Le Pont, Mélusine Mestrou