Des ouvriers (1981)

De Medfilm



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Titre :
Des ouvriers
Série :
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Conseil scientifique :
Durée :
67 minutes
Format :
Parlant - Couleur - U-Matic
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Archives détentrices :

Générique principal

F.R.3 et l'Institut National de l'Audiovisuel présentent / Rue des archives / Une émission proposée par Benigno Cacérés / réalisée par Claude Massot.

Gén. fin : "avec la collaboration de la vidéothèque I.N.A. productions et actualités et de l'équipe vidéo I.N.A. / Nous remercions les réalisateurs, auteurs et interprètes des séquences utilisées. Prochaine émission : "les policiers".

Contenus

Sujet

La condition des ouvriers en usine. Témoignages, documents d'archives puisés dans la production télévisuelle et la filmographie militante socialiste (même si la présentation ne parle que d'archives de la télévision).

Genre dominant

Documentaire

Résumé

Selon la notice INA : "Le troisième documentaire de la dernière série de "Rue des archives" dont le principe est d'illustrer l'évolution à la télévision de six grandes catégories sociales à partir de documents d'archives de l'INA sur plus de vingt ans, s'intéresse à la classe ouvrière. Entrecoupées de multiples images d'ouvriers attelés à leurs machines dans une mine, une filature, une usine de câblage, d'automobile, de soufflage de verre ...le documentaire leur laisse la parole" (N° de notice : CPC81053025). Ce documentaire qui consiste en un montage d'archives est structuré en plusieurs chapitres :

1 - "une machine face à une machine" : aliénation de l'environnement de l'atelier ou de la mine

2 - "une classe à part" : les enfants d'ouvrier, leur ressenti de leur avenir ; les femmes ouvrières, leur ressenti de leur position dans la société

3 - "être quelqu'un" : l'individu ouvrier, ses goûts et ses aspirations.

Contexte

L'émission est diffusée moins d'un mois après l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République. Son programme qui a pris la forme de "110 propositions" est inspiré par le programme commun élaborée au sein de l'alliance PCF et PS. La télévision est alors entièrement publique et comporte trois chaînes.

Cette édition de l'émission "Rue des archives" comprend plusieurs extraits de sujets diffusés dans l'émission "Les femmes aussi...". Sous la direction d'Eliane Victor, « Les Femmes aussi... » est un magazine féminin diffusé à la télévision de1964 à 1972, avec 65 émissions. Chaque émission brosse le portrait de femmes anonymes (paysannes, infirmières, femmes de ménage…). La sélection comprend par ailleurs un film militant réalisé dans le contexte des lutte sociales, A bientôt j'espère, de Mario Marret et Chris Marker : ce film produit par le collectif SLON (Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles) / ISKRA (Images, son, kinescope, réalisation audiovisuelle) a été tourné en 1967 dans les usines de la Rhodiaceta, à Besançon, dans le contexte des grèves menées par la CGT. A bientôt j'espère fait le portrait de Io-Io, un chef syndicaliste. C'est aussi le lancement de l'aventure des Groupes Medvedkine qui produisent des films participatifs de lutte impliquant les ouvrières et ouvriers qui la mènent.

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Oui.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Oui.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Oui.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Non.
  • Musique et bruitages : Oui.
  • Images communes avec d'autres films : Oui. A bientôt j'espère de Chris Marker et Mario Marret, SLON, 1968 ; Mémoires ouvrières de Dominique Dubosc, 1978.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

En citant les extraits de films militants d'extrême gauche, l'émission adopte résolument le point de vue de la lutte ouvrière soutenue par le Parti Communiste et encadrée par le syndicat de la C.G.T. Il n'est pas anodin que cette émission soit diffusée en juin 1981, dans le cadre d'un remaniement des personnels de télévision publique après la victoire aux élections présidentielles du candidat du Parti Socialiste, François Mitterrand.

Le principe de réalisation est le montage d'archives puisées dans différentes époques, montrant une diversité de lieux et d'activités. Deux effets de mise en scène dominent d'une archive l'autre : l'intensité basse de la photographie et le bruit de fond qui occupe la bande-son. De cette façon, le public est soumis à un visionnage pénible, qui reflète la pénibilité propre des conditions de travail en usine, déterminées notamment par l'absence de contact avec la lumière du jour et l'endurance du vacarme produit de manière étale par les machines.

Par le choix des entretiens, le public est invité à prendre la mesure de la capacité de discours analytique et critique des ouvrières et des ouvriers sur leur rapport à la tâche et les conditions de travail qui leur sont imposées. Par ailleurs, le film relaie régulièrement leurs revendications. A remarquer que le montage est thématique et non chronologique. Ce choix suggère que les problèmes évoqués restent constants pendant toute la période couverte.

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

L'institution médicale n'est pas directement présentée, mais les questions sanitaires sont permanentes : environnement toxique du point de vue sonore, olfactif et hygiénique, principe de la répétitivité des tâches qui entraînent aliénation et dépression, fatigue précoce du corps et de l'esprit. En quelque sorte, en donnant abondamment la parole aux ouvrières et ouvriers, le film fait témoigner autant de patientes et patients sur des conditions de travail qui nuisent à leur santé mentale et physique.

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Télévision française, 3e chaîne

Communications et événements associés au film

Public

Tout public

Audience

Descriptif libre

Introduction : la difficulté de faire parler les archives télévisuelles

Sur des vues d'archives de travail en usine (haut fourneaux, ateliers, trains d'usines), commentaire : "Le montage que vous allez voir essaie de rendre compte de la manière dont la télévision a présenté les ouvriers pendant ces vingt dernières années. Pour le réaliser, nous avons visionné pendant des jours et de jours le plus grand nombre d'émissions réalisées depuis 1959. Cette longue et patiente recherche a parfois été décevante. Comme le sable glisse entre les doigts des mains, il ne nous a pas été possible de retenir beaucoup d'images significatives dans l'actualité télévisée. Par contre, quand la télévision a laissé la parole au peuple, alors un visage, ou une expression, ou une simple phrase, expriment la vérité de la condition ouvrière. Un ouvrier n'est pas seulement celui qui travaille de ses mains, il est un homme dans sa totalité. Le temps qu'il passe à l'atelier, au chantier, au bureau, à l'usine n'est qu'une partie de sa vie. Un ouvrier a une famille, sa vie sociale, ses loisirs, et comme les autres hommes il essaie de participer à la culture. C'est cette totalité de la vie ouvrière que l'équipe qui a réalisé ce montage essaie de montrer en se servant de documents qu'elle n'a pas elle-même réalisés. Elle a conscience des manques de son regard : comment résumer à l'image la condition ouvrière en une heure? Notre but serait cependant atteint si ce montage conduisait les téléspectateurs à se poser des questions sur ce milieu des ouvriers, souvent ignoré".

"1er chapitre : une machine face à une machine"

Scène des Temps modernes de Chaplin. Charlot à la chaîne se dispute avec son collègue, rapide bagarre qu'ils doivnet écourter pour tenir la cadence des boulonnages. Une voix : "atelier Vingt, encore plus vite", un homme devant un tableau de bord exécute la commande. Charlot laisse un autre ouvrier le relever mais il continue son geste de boulonnage dans le vide. Il passe à la pointeuse, raccord avec le même geste par un ouvrier dans une image d'archive : la fiction burlesque s'appuie sur la réalité. Intertitre : "1970 - actualités télévisées, l'homme et l'usine". Un homme avance dans les locaux de l'usine, commentaire : "les conditions de travail, qu'est-ce que c'est ? Ce sont les rythmes, les cadences, mais aussi les gestes toujours les mêmes." Allusion à une rencontre de chefs d'entreprise qui se tient à Marseille. La pénombre des locaux est traversée par une lueur rougeoyante qui rappelle les brasiers des haut-fourneaux. Filmé en gros plan, un homme parle. Quand la caméra le desserre, on voit qu'il est à la pause repas, avec d'autres ouvriers : "Quand je rentre dans l'usine, ça me fait l'impression de rentrer dans un camp. C'est les grilles, c'est une contrainte. On se trouve un peu emprisonnés. Et puis ce qui nous fatigue le plus c'est la ventilation. Le bruit du vent que produit la machine... Quand vous avez une panne de courant, que les ventilateurs disjonctent, vous avez, un certain temps... vous êtes déséquilibré par le manque de bruit! On est, deux trois secondes, qu'on est perdu!" L'homme regarde la caméra, revit la scène. Les deux hommes qui sont aussi dans le cadre ne réagissent pas, ni pour infirmer, ni pour confirmer, tant ce qu'il dit leur paraît évident. La rumeur qui occupe le fond de la bande-son explose au plan suivant qui montre une chaîne de bouteilles. (04:13)

Séquence "1968 - Chris Marker - A bientôt j'espère - Caméra 3".

Sur des vues de machines en action, filmées avec ou sans présence humaine qui les manoeuvre, une voix d'ouvrier décrit la dégradation des conditions de travail qu'en traîne l'"automation". Il dénonce l'organisation de la journée qui aliène le travailleur dans ses besoins les plus intimes." Quand on mange, c'est pas qu'on a faim, c'est que le cerveau électronique a pensé qu'il fallait manger à ce moment là parce qu'il y avait un trou dans la production." Une autre voix de travailleur intervient, à propos de la répétitivité des tâches : "C'est toujours les mêmes gestes. On a l'impression de voir toujours le même film et d'entendre toujours le même disque". La caméra resserre sur les mains d'un ouvrier qui imite cet unique geste de travail. (06:39)

Séquence "1978 - Dominique Dubosc - Mémoires ouvrières "

Deux femmes réunies autour d'une table de salle-à-manger, autour de tasses de thé et de pommes. On reconnaît, au centre de l'image, Monique Piton. Cette ouvrière s'est impliquée dans les luttes menées dans l'usine Lip de Besançon commencées en 1973. Dans C'est possible!, un livre édité par Des femmes en 1975, Monique Piton retrace le quotidien du combat qu'elle a menée en tant qu'ouvrière et femme. En amorce de l'image, bord cadre gauche, on reconnaît "Christiane" qui a participé à la même lutte, notamment en tant que porte-parole. Monique Piton et "Christiane" ont été filmées en 1975 par Carole Roussopoulos, cinéaste féministe. Dans Monique et Christiane, produit par le groupe Video out, elles témoignent des problèmes de démocratie interne dans le syndicat, et la difficulté pour les femmes d'être respectées et entendues dans le Comité d'action. Exellente narratrice, Monique Piton raconte ses premières embauches. Elle travaille dans une chocolaterie sans connaissance préalable dans le domaine. Elle découvre le travail morcelée, assignée au façonnage et à l'empilage de boîtes en cartons. "J'ai cru qu'on m'avait fait faire ça pour se moquer de moi, parce que j'étais une gamine." Elle ne voyait pas ça comme un "un vrai travail" : "Un vrai travail, pour moi, c'est quand tu commences puis tu finis. Même si tu es bonne, quand tu fais à manger, par exemple. Je ne savais pas ce que c'était, la parcellisation du travail". Comme dans les films militants, cette narration se fait sans plan de coupe, avec une seule valeur de plan qui permet de montrer Monique Piton parlant et illustrant ses propos par des gestes, et, dans le bord cadre gauche, Christiane qui est à l'écoute, hochant de la tête, les approuvant.

Séquence : "1977 - Coline Serreau - Mais qu'est-ce qu'elles veulent"

Long panoramique dans un atelier de couture, des femmes assises derrière des machines à coudre s'activent dans le vacarme produit par l'accumulation des bruits des différentes machines. Cet environnement sonore empêche les employées de se parler. En voix off, un contremaître interrogé : "Le travail à la machine, on en dit beaucoup de mal. Je pense que vous êtes au courant. On dit que c'est fatiguant, que c'est abrutissant. Evidemment vous avez toute la journée la même cadence. " Il explique qu'en réaction à ces critiques, il va être décidé de varier cette cadence, en "l'accélérant au début du matin, et en diminuant après". Filmée en gros plan sur un fond obscur, le visage émacié et fatigué d'une ouvrière, qui explique : "Sur le tapis, tu ne peux avoir aucune initiative." L'interaction des tâches oblige les employées à respecter la cadence générale. "Une fille bloque l'autre, elles s'engueulent". On en revient à la séquence initiale des Temps modernes de Chaplin. (09:56)

Séquence : "1974 - Claude Massot - Au-delà du pont"

De nouveau le vacarme de l'atelier. Une femme dans une chaîne qui doit répéter le geste d'insérer des cartons dans une machine. Gros plan sur son visage qui a une expression de concentration douloureuse. Interrogé dans son bureau, un cadre explique que les tâches dévolues aux femmes sont en nombre réduit à cause de leur condition physique. "On s'est rendu compte que les travaux répétitifs, contrairement aux hommes, elles s'en accommodent beaucoup plus facilement, peut-être parce que ça leur donne plus de liberté d'esprit pour penser à leurs soucis familiaux, ménagers. Elles peuvent très bien discuter entre elles". Cut, retour au premier plan de la séquence, sur l'ouvrière insérant d'un geste vif et répété les cartons dans une machine, dans un bruit mécanique que ne peut surmonter aucune voix. (11:26)

Séquence : "1961 - Jean-Pierre Charlier - L'avenir est à vous".

Une femme au clavier de commande d'une machine. "Les grosses machines me font peur et me fascinent. C'est merveilleux que des cerveaux aient pu sortir des machines aussi belles, c'est minutieux, c'est formidable." Gros plan sur son visage à l'expression songeuse, son regard est comme tourné vers ses pensées. "Mais d'un autre côté, il y a tout le sens humain qui s'en va. On a l'impression d'être une machine devant une autre machine. Il y a toute une conscience, une personnalité qui arrivera, petit à peti, à ne plus exister". Elle ajoute qu'elle a eu tout de suite conscience de cette évolution intérieure. Elle ne regarde toujours pas son interlocutrice qui lui pose des questions en off, mais le rien, alors qu'elle livre la réflexion qui l'habite.

Séquence "1974 - Actualités télévisées - Dans un puits à Merlebach"

Travelling sur des "gueules noires" montrées en gros plan, alors que c'est la pause repas. "C'est un métier qui est très très dur. Je n'insisterais jamais assez là-dessus." Les casques blancs qui coiffent la tête des ouvriers luisent dans l'obscurité d'un couloir où l'on distingue une horloge et le panneau "infirmerie". Plan de douches collectives, les voix parlent fort, les hommes se lavent mutuellement, l'eau ruisselle sur les muscles luisants." Un des ouvriers raconte, à l'invitation du journaliste, sa première descente. Son récit est illustré par les images noir et blanc d'une fiction. "C'était formidable, ahurissant. Tout ça dit entre guillemets, quoi." Gros plan d'un enfant casqué qui regarde devant lui, plein d'appréhension. Il ajoute que la situation est encore plus impressionnante aujourd'hui, avec l'évolution vers la mécanisation. Plans tournés aujourd'hui du charbon extrait qui est acheminé dans des conduits ou par des pelleteuses. "Ca s'est modernisé". " - A votre profit?" " - Je ne crois pas. Enfin... L'ouvrier est toujours poussé à la production." (14:22)

Séquence "1975 - François Béranger chante au Grand échiquier"

Dans cette séquence de plateau, pendant l'émission animée par Jacques Chancel, le chanteur anarchiste François Béranger, accompagné d'un grand orchestre, se fait porte-voix des OS qui travaillent sur le site de Billancourt.

Séquence "1973 - Actualités Télévisées, usine Renault"

Panoramique sur les abords des ateliers de l'usine occupés par une foule en colère, qui brandit des banderoles et des pancartes manuscrites. Des tracts sont distribués, une voix parle dans le mégaphone. l'ambiance est électrique. Un ouvrier qui se détache d'un groupe de ses semblables, est interrogé sur la raison de la présence des immigrés dans les effectifs. Il répond que les immigrés font le travail que les Français ne veulent pas assumer. "Vous savez, c'est un travail qui est très sale et mal payé." Il ajoute que les immigrés sont présents dans les tranchées, sur la voie publique. "Et maintenant qu'ils demandent le salaire égal, on leur refuse". Il précise qu'il gagne "cent quarante mille balles" à "tout faire". Il s'adresse au journaliste avec un regard de colère et de défi, il se tient obliquement vis-à-vis de la caméra.

Séquence "1974 - Marcel Teulade - Le chantier naval - Vivre ensemble"

Vue en plongée sur un chantier de construction naval. Dans l'obscurité, brusques lueurs de l'arc au travail. Bruits de chocs violents. Un travelling aérien, lent, fait découvrir l'ampleur de la construction, sans doute un navire. Plans rapprochés sur des ouvriers casqués qui interviennent sur la structure. L'un d'eux est interpelé par la voix du journaliste qui reste en off. Elle lui demande s'il aime la mécanique, il répond : "Oui, parce que je pratique ce métier!". Il aime travailler à la fois avec ses mains et les machines, il aime travailler l'acier "parce que c'est pur, c'est une beauté que j'apprécie personnellement". Le journaliste lui demandant si son travail a évolué, il répond que la modernisation des machines "a nui" à son "métier" : "les machines toutes neuves, automatiques, semi-automatiques, c'est bien pour le rendement ; seulement, c'est pas bien pour l'ouvrier. Nous, P3, avec une machine-outil, qu'est-ce qu'on devient? Un OS." Il baisse les yeux vers ses mains : "Ces mains, elles servent à quoi? A rien, à appuyer sur des boutons, c'est tout." Le film desserre, montre la machine sur laquelle il était en train d'intervenir, qu'il désigne avec sa main : "Une machine comme celle-ci, vieille de vingt ans, il faut faire des pièces au centième. Avec des machines neuves comme celle-ci, je suis entièrement d'accord!". Il poursuit : "Avec des machines neuves automatiques, je ne suis pas d'accord." Son regard fixe calmement la caméra, cut brutal pour accentuer la fermeté de son propos. (21:24)

Séquence de : "Actualités télévisées - 1970 - L'homme et l'usine"

Plan de souffleur de verre dans son atelier, la lumière est toujours basse. Puis séquence d'entretien où l'ouvrier, dos à un vitrail qui résulte de sa production, fait face à la caméra pour répondre aux questions de la journaliste, avec des plans de coupe sur son activité en atelier où il doit faire face à l'ardeur et l'éclat aveuglante du brasier du four. Selon les questions qui lui sont posées, il explique qu'il est rémunéré à la pièce, qu'il réalise 48 manchons par jour, une contrainte de production qui lui convient puisqu'elle n'est pas limitée dans le temps de la journée de travail : "la cadence, c'est qu'on la créé". Il estime que son travail n'est pas monotone parce que "chaque vitre est différente". Il "n'envie pas" les ouvriers employés dans les verreries mécanisées : "Ce qui m'a frappé c'est le gars qui est huit heures planté devant une caméra de télévision... Dans l'atelier, on chante, on cause entre nous. C'est très pénible mais il y a une ambiance qui est formidable." Dernier plan d'atelier, plusieurs ouvriers travaillent en ligne devant le four, des rires se font entendre dans la bande son. (23:06)

Deuxième chapitre : une classe à part

Séquence de "Les petits enfants du siècle" (dramatique) de Michel Favart, 1973

L'extrait qui suit fait partie d'une adaptation pour la télévision, écrite par Françoise Verny et réalisée par Michel Favart, du roman éponyme que Christiane Rochefort a publié en 1961, dans lequel Le Monde a vu "un réquisitoire contre le mode concentrationnaire de l'habitat moderne, contre les blocs, les grands ensembles" (chronique de Jacqueline Piatier du 4 mars 1961). Treize ans plus tard, au moment où le film est réalisé et diffusé dans les foyers, les pouvoirs publics ont décidé d'arrêter le mouvement de construction des grands ensembles. Le phénomène de la "sarcellite" est abondamment traité par les médias. Travelling lent sur des appareils de mesure montrés en plan rapproché, qui aboutit à l'introduction du profil d'une jeune fille qui les manipule. En fond de champ se voit un bassin de femme, une main sur la hanche : probablement une enseignante qui observe le travail de la jeune fille. Un signal électronique se fait entendre régulièrement. Cut, séquence de rendez-vous qui oppose la même jeune fille avec une responsable pédagogique filmée en amorce bord cadre gauche : on ne voit ainsi que les réactions de la jeune fille à ses questions et observations - quasi mutique, son visage s'éclaire à la toute fin de la séquence d'un sourire ambigu où l'on peut lire dérision, défi, désespérance. La responsable remarque que ses tests sont bons, et lui demande le métier qu"elle souhaiterait exercer "si elle avait le choix" : ceux qu'elle lui suggère à titre d'exemple correspondent, et c'est ce que semble deviner la jeune fille, au choix optimal que lui assigne la catégorie sociale à laquelle elle appartient : sténo-dactylo, comptable, vendeuse, aide-soignante. (24:38)

Séquence 'Les élèves perdus', réal. Jean-Marie Perthuis, émission "Vendredi", 1977

Cour de collège, deux jeunes filles traversent la cour et se rapprochent de la caméra. Commentaire qui explique que ce sont deux filles d'ouvrier. L'une d'elle tient sous le bras une boîte de jeu de société. Le reporter s'avance vers elles. Elles lui expliquent que les absence des professeurs se multiplient. Sourires désabusés, qui expriment le sentiment d'être méprisées, de ne aps compter en tant qu'enseignées. " - Alors, c'est ça les classes pratiques?" L'une d'elles répond : "- Ben oui, c'est ça! Des fois ils nous engueulent qu'on vient pas à l'école alors que ce sont les profs qui viennent pas!" Elle ajoute, en regardant sa camarade : "Ca, c'est bien vrai!" Elles se plaignent de ne plus avoir d'enseignements de calcul ni de français. "Quand on va à l'école, c'est pour apprendre, non? C'est pas pour rien foutre!" Sa camarade ajoute : "De toutes façons, les 'pratiques', ils les aiment pas!" Le reporter leur demandant si elles ne veulent pas exercer le métier d'infirmière, elle répond que les professeurs leur ont affirmé que ce n'était pas possible. La première ajoute : "On est trop cons pour ça, ils nous l'ont bien dit! Moi, je voulais être puéricultrice, ils m'ont dit que j'étais trop con pour le faire. " Sa soeur ajoute : "On est mises à part." Toutes haussent des épaules à tout propos, comme pour le souligner d'un "à quoi bon?" ; elles parlent vite, mangent leurs mots, peut-être parce qu'elles sont impressionnées, peut-être aussi parce qu'en prenant l'opportunité donnée par les médias de s'affirmer et d'exprimer leur sentiment de rejet, elles ont peur qu'on leur reprenne la parole, ou que celle-ci va leur coûter d'une manière ou d'une autre. (27:05)

Séquence "Cité ouvrière" dans l'émission "Les femmes aussi", réal. Maurice Dugowson, 1972.

Sous la direction d'Eliane Victor, « Les Femmes aussi... » est un magazine féminin diffusé à la télévision de1964 à 1972, avec 65 émissions. Chaque émission brosse le portrait de femmes anonymes (paysannes, infirmières, femmes de ménage…). Ici, une femme d'une quarantaine d'années parle devant une barre d'immeuble de grand ensemble, avec un fort accent méridional. Elle regarde franchement la caméra, avec un air de défi, poussée par l'intensité de ses sentiments. Un panoramique la quitte pour longer la barre d'immeuble à l'uniformité rectiligne caractéristique, zoom sur la rue derrière le bâtiment, aux trottoirs envahis de colonnes d'enfants, avec un panneau qui signale la proximité d'un établissement scolaire : " Un par un, ces enfants n'ont rien de différent des autres. C'est une pépinière d'intelligence, de compétence, de capacité, et quand je vois qu'on démolit tout ça, il faut faire quelque chose. Ils ont la même intelligence, n'importe lequel, aussi bien un algérien qu'un français. Quand c'est bien suivi depuis la maternelle, on a les mêmes résultats. Et puis, à l'adolescence, les dangers qui les guettent... Ils peuvent pas se livrer à ce qu'ils aiment, sur le plan sportif par exemple. Comme il y a rien, ils sont désoeuvrés, ils font des groupes, on les appelle des 'bandes'... Quand ils tombent dans la délinquance, il y a des causes, ils sont pas responsables personnellement." Retour au visage de la femme qui ajoute un point qui la préoccupe particulièrement. : "Même la drogue, ça effleure nos quartiers. Alors on voit un gosse qui a été copain à mon fils, et tout à coup, on vient vous dire : 'il est en prison.' Ca vous rend malade, mais on ne peut pas baisser les bras." Tout le temps de ce plan, la caméra zoome sur son visage pour abîmer le regard dans son expression soucieuse. "Quand le gosse a compris que pour lui, il n'y a rien de très beau dans l'avenir, que c'est bouché... Moi je ne suis pas d'accord quand on dit : 'dans les cités, il y a que des voyous' Mais on les fabrique les voyous, il y a tous les éléments pour qu'ils le deviennent". La caméra reprend son panoramique mais en sens inverse, découvre l'environnement saturé de constructions récentes qui s'élèvent sur des zones encore en chantier, comme pour établir le parallèle entre la bétonisation et la délinquance qui prolifère. "Il faut pouvoir leur donner autre chose, les intéresser, leur faire aimer quelque chose." (29:23)

Séquence "L'amour à Villerupt" réal. Patrick Camus, 1973

Arpège mélancolique de guitare sur un feu qui se consume dehors. Dézoom, trois jeunes se tiennent assis auprès de ce feu, chaudement habillés. L'un d'eux tient une guitare, c'est lui qui jouait la musique qu'on croyait extra-diégétique dans le plan précédent. Ces sophistications de mise en scène montrent que le sujet filmé tend vers le registre du documentaire qui insiste davantage sur l'ambiance des lieux et la personnalité des protagonistes. Le jeune musicien est à présent filmé en très gros plan. Son sourire serein, précocement mature, rayonne dans le plan. Son regard qu'il oriente vers la journaliste hors champ est empreint de douceur. "-Quand tu es à l'usine, tu penses à quoi? - A la musique. Je suis pas au boulot, tu vois. Je chante... Je suis vraiment pas au boulot." Tout de suite s'affirme le refus de l'aliénation qui menace les ouvriers quand ils sont dans l'environnement de l'usine. Le crépitement du feu s'entend, il reprend, cette fois avec un air décidé : "Moi, ce que je ferai dans la vie, ce ne sera pas un travail. Ce sera un loisir. Vraiment pas un travail, tu vois. Ca me fera chaud au coeur de le faire. - Mais quand tu penes à ton père qui travaille depuis quarante ans et qui est fier de son travail..." Le jeune homme esquisse un sourire triste. Plan de coupe sur des barres d'acier extraites des haut-fourneaux, et sur l'homme qui surveille leur trajectoire déterminée par les machines. "Lui, il ne peut pas se détacher de l'usine, reprend la voix du jeune homme en off. Il était obligé de travailler pour nourrir ses enfants. C'est pas la peine d'avoir des enfants si c'est pour les laisser mourir de faim." Ce point de vue pragmatique suggère le parti que prend le jeune homme : tenter l'aventure sans responsabilité familiale, et par conséquent, sans soumission au système de l'embauche industrielle. Son père aussi, explique-t-il, voulait "faire beaucoup de choses" quand il avait l'âge qu'il a. A nouveau en très gros plan, à nouveau son sourire : "Je peux pas dire qu'il est mort... Mais c'est pas une vie."

Séquence "L'avenir est à vous" réal. Jean-Pierre Chartier, 1961

Gros plan sur une jeune femme sagement coiffée, à l'expression songeuse. Elle évoque son combat pour ses collègues de travail, sa satisfaction quand ce qu'elle obtient leur profite. Elle avoue ne pas aimer la solitude. Elle poursuit en disant qu'il y a "une barrière entre le monde ouvrier et le monde intellectuel" : "il ya des choses que je ne comprends pas, des mots où j'accroche." Elle évoque des étudiants de Maths élém ou de Sciences po qu'elle fréquente. "Ces garçons et ces filles seront à la tête du pays. Forcément, on sera dirigés par eux."

Séquence "Travail au féminin", réal. Richard Rein, émission "Vendredi", 1977.

Une femme d'une quarantaine d'années, assise dans un fauteuil posté près d'une fenêtre dont le voilage est baigné de lumière. Elle décrit son parcours comme femme de ménage employée dans différents foyers. Le journaliste lui demande ce qu'elle pense "des maisons bourgeoises" : "Il faut y être pour savoir ce que c'est. Il y en a des bons et les autres". Elle évoque les "intellectuels", médecins ou professeurs, qui "écrivent des ordres et les laissent sur la table", précautionneux avec la gazinière, dédaigneux avec le personnel. La caméra zoome légèrement sur elle pendant qu'elle analyse son expérience : "Pour eux, on ne pense pas. " Le journaliste l'interroge à propos de la difficulté qu'elle ressent à s'exprimer à l'oral." Des fois, je m'embrouille. Suivant mon niveau social, ça dépend où je vais, comment je suis. Si je me retrouve à la banque et que mes mains sont un peu noires, comme ça arrive souvent, ça me donne des difficultés". Elle précise qu'elle a dû les laver à plusieurs reprises avant le tournage parce que les marques du travail ne partent pas facilement. "La société m'a pas donné beaucoup". Elle explique qu'elle ne peut pas faire un chèque dans un magasin. J'ai peur de mal écrire. Je suis pas la seule. Comme on a les mains très engourdies par le travail, on arrive à peine à tenir le crayon." Elle ajoute qu'elle a souvent pensé qu'il fallait "renverser" et "mettre les intellectuels au travail", qu'ils connaissent la réalité qu'elle endure pour qu'ils la jugent autrement. (36:17)

3e chapitre : "Etre quelqu'un"

Séquence de "Montand de mon temps" réal : Jean-Christophe Averty, 1973.

Yves Montand, filmé en plan taille, portant une chemise noire, se tenant devant un fond blanc ou des animations graphiques, interprète "Luna Park". Cette chanson écrite par Loulou Gasté qu'il a produite en 1945, restitue le point de vue d'un ouvrier employé dans les usines de Puteaux, qui rêve de sa prochaine sortie à Luna Park pendant qu'il est au travail : "partout ailleurs, je ne suis rien." (38:01)

Séquence de "La télévision à la Grande Borne", réal. Gérard Poitou, 1972

Panoramique au sol sur les lumières des réverbères reflétées sur un dallage urbain détrempé par la pluie. Façade de bar illuminée, voix off triste : "Samedi soir, place des damiers. Il est neuf heures. L'unique café de la Grande Borne va fermer." La caméra suit un couple qui s'éloigne dans la nuit pluvieuse. "Derrière ces volets de bois, chaque famille rit aux mêmes plaisanteries de Roger Pierre et Jean-Marc Thibault." La voix évoque deux humoristes de café-théâtre qui ont régulièrement transposé leurs sketches dans des émissions de télévision. Intérieur de maison, champ : poste de télévision avec Roger Pierre faisant son numéro ; contrechamp : la famille réunie, parents et enfants rient de bon coeur, le regard gai, le sourire large. Cut, une femme marche dans la rue, un panier à la main. La voix off triste reprend : "Dimanche matin, comme els autres jours, Madame Brilleau ne sortira pas de la cité". La femme s'arrête devant une halle de fruits et légumes. Retour dans l'appartement, nouvelle scène de télévision au foyer : cette fois c'est un orchestre qui joue du Wagner pendant que les enfants disposent le couvert. Le père intervient pour modifier la position de l'antenne posée sur le poste. Le commentaire rappelle les frais qu'engagerait le branchement du foyer sur l'antenne collective. Dernière scène de famille réunie devant le poste, le père et la mère commentent le spectacle diffusé, certainement l'émission populaire "Intervilles" qui consiste en des jeux burlesques opposant les habitants de différentes localités de la même région. (40:57)

Séquence de : "Micheline" réal. Claude Goretta, émission "Les femmes aussi", 1967.

Plan large paysager, un bâtiment d'usine dans le fond du champ, derrière une étendue d'eau bordée par un monticule de terre. paysage vague et morne, avec la silhouette de deux hommes qui pêchent. Gros plan sur un visage d'homme vu de profil, un des deux pêcheurs, panoramique qui suit son bras soulevant la canne. On entend sa voix : "J'ai l'impression que ce qui me fatigue beaucoup c'est le bruit. Il y a le bruit à la maison, il y a le bruit à l'usine... Quand je vais à la pêche, je sens que la tête commence à revenir. Sinon, je réponds dans le vide, mais je me rends pas compte de ce que je dis." Nouvelle orientation de caméra, cette fois, l'homme est vu de face, son visage est empreint d'anxiété. Plan sur l'onde où la fumée de cheminée d'usine se reflète. Entretien avec son épouse : la journaliste l'interroge sur l'avenir, quand ses enfants seront autonomes. Les yeux au sol, elle répond : "On en profitera davantage pour sortir avec mon mari, aller où on veut. " Son visage est renfrogné, elle exprime un désir dont elle paraît douter de la possible réalisation. Son regard va hors champ pour s'adresser à un des enfants : "Va à la cuisine, toi!" Cette interjection au milieu de l'entretien exprime son désir de tranquillité et de répit. (42:59)

Séquence "Demain la retraite", réal. Colette Djidou, émission "Les femmes aussi", 1972

Cour d'usine, des femmes sortent du travail, marchent ensemble sur la chaussée. Voix de femme en off qui interroge : comment s'arrêter de travailler quand les rémunérations sont aussi faibles? "Sur trois travailleurs smicards, deux sont des femmes." Elle évoque le mari d'une ouvrière qui témoigne : "Quand ma femme rentre à neuf heures le soir, elle n'a pas envie de souper." IL ajoute qu'en lui posant la main sur la nuque, il constate qu'elle est humide de transpiration. A l'image, une femme âgée à l'atelier, qui conditionne du coton puis nettoie des machines. Gros plan insistants sur ses mains noircies qui passent le chiffon. Là encore, le geste de réalisation est d'ordre documentaire : découplage son et image, compositions d'images qui cherchent moins à expliquer qu'à évoquer. La même femme chez elle, filmée en gros plan : elle voudrait arrêter de travailler à soixante ans, profiter de la vie avec son mari "... si peu qu'on ait encore à vivre." Elle ajoute que c'est impossible puisque le gouvernement exige la retraite à soixante cinq ans minimum. La journaliste lui demandant comment elle vivrait si elle arrêtait dès à présent de travailler : "On serait heureux à deux", répond-elle. Elle voudrait voyager. "On peut être mort demain". Son visage est marqué, son regard est doux. (45:28)

Séquence de "A bientôt j'espère", réal. Chris Marker, "Caméra trois", 1968.

En gros plan, un homme d'une cinquantaine d'années. Il évoque des loisirs : la pêche, la cueillette des champignons, les escargots... "la nature". Il préfère être dehors, quand il va voir un spectacle "même de qualité", il souffre d'être enfermé. "Dehors, on vit vraiment". (46:11)

Séquence "Le discobus", réal. Gérad Chouchan, émission "La musique en 33 t", 1969

Un homme dans un appartement dont on voir la fenêtre avec son voilage, il tient à la main une palette et des pinceaux, une toile peinte occupe le fond de champ à gauche. Il parle : "Vous savez, en usine, le bruit de la tôlerie... Vous avez besoin d'un contraste. Alors je prends ma peinture et pour compléter, je mets ma musique." Au mot "musique" qu'il prononce, il s'anime, ses gestes deviennent empressé, il désigne son électrophone, évoque une pièce de Tchaikovski : "Quand je l'entends, je suis plus le même : c'est le gars qui se détend." Avec un de ses pinceaux, il pointe la caméra et continue, plus grave : "Il faut vous dire que la chaîne a une tendance à écraser l'homme, à enlever l'homme de lui-même, alors que la musique remets l'homme. Ressentir en soi, c'est s'apercevoir que vous êtes quelqu'un." Il ajoute qu'il lui arrive de chanter dans l'usine - il rit en admettant qu'il chante faux - "la 9e symphonie de Beethoven", tout en continuant de travailler. "Malgré tout, l'esprit s'envole". Au plan suivant, le même homme est en atelier, maniant sa machine, puis d'autres ouvriers travaillant sur d'autres points de la chaîne. En off, sa voix qui chante, Beethoven, bientôt engloutie par le bruit de l'usine alors que la caméra panote sur les chaînes d'assemblage.

Séquence extraite de "Dans un puits à Merlebach", Actualités télévisées, 1974.

Panoramique depuis une photo de famille encadrée et accrochée sur un mur tapissé jusqu'à un homme et d'une fille de onze-douze ans devant une partition posée sur un pupitre. Contrechamp, la jeune fille est montrée de face avec une fluête traversière aux lèvres, en off s'entend la voix de l'homme qui lui donne des instructions : "Attention, tu as piano pour commencer puis après crescendo." Sous le son de la flûte se distingue le balancement du métronome. L'homme joue à son tour le même air, avec un haut-bois. Ces deux dernières séquences visent à montrer l'appétence de la classe ouvrière pour la culture, y compris ses pans réputés n'être accessibles qu'aux classes supérieures : les Arts (peinture et musique classique).

Séquence de "Maurice André", réal. Michel Fresnel, émission "Musique 33t", 1974.

Portrait de Maurice André, trompettiste classique, professeur au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, issu d'une famille de mineurs. Un homme assis dans l'herbe avec un enfant en bas âge, il joue de la trompette. L'enfant cherche à saisir l'instrument, l'homme s'en amuse. En gros plan, une femme que l'entretien va désigner comme la mère de Maurice André, l'homme qui a été montré dans le plan précédent. Elle avoue ne pas avoir imaginé que son fils connaîtrait un tel succès. Le père de Maurice André imaginait pour son fils un poste à la fanfare de la Garde Républicaine, imaginant que c'était l'engagement le plus ambitieux auquel il pouvait prétendre (pour le prestige de la fanfare). Maurice André joue un solo de trompette au sein d'un orchestre classique, il est vu en amorce avec le chef d'orchestre en fond de champ. Cut, des mineurs descendent les marches du puits où ils ont travaillé, succession de gueules noires vers la caméra, sur le même principe que le film "Les usines Lumière". Maurice André en conversation avec un mineur, encore coiffé de son casque, encore marqué de charbon. Il explique que c'est un clarinettiste très doué qu'il aurait voulu entraîner à le suivre à Paris. Il lui prend le menton, dans un élan d'affection que permet la familiarité de longue date: "Je lui avais écrit : 'Viens!', mais son père n'a pas voulu, malheureusement." Le mineur fait une moue fataliste, gardant le sourire : "Je n'aurais pas fait une carrière comme toi, mais j'étais assez doué, quand même!" Il s'éloigne, Maurice André confie à la journaliste : "Ca, c'est terrible!" Il sort un mouchoir pour se sécher les yeux, très ému d'avoir retrouvé cet homme qui n'a pas pu partager son sort. Il tient à la main un cornet, il joue l'air de "Ce n'est qu'un au-revoir" pour les mineurs encore présents sur le carreau. Ils l'ovationnent en retour. Dernier plan sur le musicien, de dos, qui les alue par un grand geste. (54:52)

Séquence extraite de "les matinales", réal. Jacques Krier, émission "Les femmes aussi", 1967

Encore un extrait de l'émission "les femmes aussi". En puisant à plusieurs reprises dans sa production, "Des ouvriers" montre combien l'émission produite par Eliane Victor s'est intéressée au quotidien des femmes anonymes. Ici, il s'agit des techniciennes de surface travaillant au Palais Garnier. Plan d'ensemble qui en montre cinq, seau à la main, à l'assaut des volées de marches de son vestibule surchargé d'ornements rutilants d'un rococo ostentatoire. Dans la salle de spectacle, parmi les travées, une femme donne des instructions à ses collègues, levant la tête vers le hors champ, c'est-à-dire, les loges qu'elles nettoient. Le plan qui suit les montre entrain de passer le chiffon sur les moulures des balcons. La cheffe recommande un endroit où les mégots s'accumulent : "Ils ont l'habitude de les mettre là quand ils fument, ça m'ennuie cette histoire-là." La femme à laquelle elle s'adresse haussant des épaules, elle reprend : "Comment ça fait rien? C'est pas joli! Les décors de l'opéra sont pas un dépôt à mégots tout de même!" Elle ne suggère pas pour autant d'installer un panneau qui interdirait une telle conduite de la part du public. Les petites mains s'affairent pour masquer les négligences des usagères et usagers des lieux, elles les remettent à l'état initial pour le compte de ces derniers. Toute la séquence consiste à montrer les techniciennes de surface comme des présences incongrues dans les décors de l'opéra : leur tenue et leurs gestes ne conviennent pas au registre d'apparat qu'exige le lieu. Pour autant ce sont elles, les "matinales", par leur action renouvelée, qui lui permettent de maintenir le statut qui les en chasse à ses heures d'ouverture. (56:02)

Séquence de "A bientôt j'espère", réal. Chris Marker, "Caméra trois", 1968.

En amorce, de profil, le syndicaliste Io-Io parle au micro, une feuille à la main. En contrechamp, des visages d'hommes en gros plan, celui des ouvriers qui l'écoutent. parmi eux, un agent de polie. La voix de Marker en off : "Mars 1967. Grande grève à Rhodia. Grève originale par sa durée - un mois -, par sa forme - l'occupation d'usine oubliée depuis 1936, et surtout par cette idée continuellement reprise que le déséquilibre dans les conditions de travail." se traduit par un déséquilibre de toute la vie." Selon Marker, la priorité des ouvriers n'est pas de profiter davantage de cette société des loisirs mais de remettre celle-ci en question. Ce n'est pas l'augmentation de salire qui est recherchée qu'une nouvelle éducation possible pour les jeunes ouvriers "qui ont découvert l'identité de leurs conditions, l'identité de leurs luttes". Les plans qui suivent montrent une foule qui manifeste dans la rue, vue en plongée. Nous passons du huis clos de l'usine à l'espace public, ce qui se joue va au-delà des revendications immédiates et ponctuelles et concerne tout le monde. Un homme filmé en gros plan, il se tient devant un mur. "Autant que le pain et le logement, nous revendiquons la culture". Il exprime son sentiment que le patronat s'approprie la culture. Réunion syndicale autour d'une table sur laquelle des bouteilles de bière et des cendriers sont posés. Io-Io revient sur la solidarité au sein de la classe ouvrière, que cette lutte vérifie une nouvelle fois : des ouvriers ont versé dans une caisse commune au bénéfice de collègues récemment licenciés. "C'est normal, ce n'est pas sensationnel. Ce ne sera pas dans France Dimanche. Si ça se savait... C'est pas de la culture ça? " Rires des autres syndiqués qui approuvent. Io-Io, visage de Tintin, sans trait, sourire d'enfant, ajoute : "Et je veux dire aux patrons qu'on les aura, parce que cette solidarité, ils savent pas ce que c'est. Ceux qui détiennent le capital, c'est la force de la nature, et... à bientôt, j'espère!" Des voix d'enfant se discernent dans la bande-son. Les auteurs de "Des ouvriers" ont ajouté en infographie sur ce dernier plan : "... c'était en février 1968".

Sur le générique de la fin, la voix de l'ouvrier peintre qui chante Beethoven comme il aime le faire quand il travaille à l'usine.

Notes complémentaires

Références et documents externes

Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Joël Danet