La production filmique de Julian de Ajuriaguerra
Collaboratrice de Julian de Ajuriaguerra, Marguerite Auzias décrit les intentions et les modalités de sa production filmique : "Julian de Ajuriaguerra réalise plusieurs films d'étude durant ses années d'enseignement au Collège de France où il tient la Chaire de Neuropsychologie du développement de 1976 à 1982. Pendant ces années, il anime avec son équipe des recherches sur le nourrisson. Ils ont été réalisés à partir de séquences de films de recherches longitudinales sur le développement normal du nourrisson durant les deux premières années de la vie. Ces films, selon Julian de Ajuriaguerra, doivent permettre de mettre en évidence les perspectives évolutives et comparatives du développement. Ils contribuent à une sémiologie propre à l'enfant dans un but thérapeutique. Selon lui, photographie et film sont des outils de recherche qui permettent une observation concrète et précise des fonctionnements et leur mise en relation avec l'état comportemental du moment. Ils sont à même de susciter une émotion qui fait mieux comprendre le sens et l'essence des comportements étudiés. Pour certaines études, il choisit de filmer les bébés nus, car il veut observer les corps des bébés en mouvement et ainsi mettre en évidence l'interrelation tonico-émotionnelle. Certaines séquences sont tournées dans des situations de tout-venant, sans préparation spéciale, le bébé allant et venant selon son bon plaisir, les parents lui parlant, l'embrassant, le câlinant, le nourrissant, le baignant, l'habillant, l'endormant ou jouant avec lui selon l'heure. Pour certaines recherches, cependant, des situations standardisées sont aménagées en fonction d'un sujet délimité comme les déplacements, les mouvements spontanés avant sept mois comme le planeur, des comportements de tendresse. Ces situations standardisées aménagées sont toujours organisées dans le milieu normal de l'enfant, sa salle de crèche, ou son domicile. Les bébés, familiarisés de longue date avec les membres de l'équipe et les séances de filmage, finissent par ignorer la caméra et le caméraman. Cela permet d'éviter tout effet de sidération. On recueille avec la caméra ce que les bébés donnent à voir. Il en ressort un stock de documents filmiques très précieux. Le film constitue une observation à disposition. Ces documents sont ensuite analysés dans le détail ; c'est le matériau d'élaboration patiente à l'aide de grilles d'analyse. Puis vient le temps de la discussion et l'élargissement de celle-ci à des problèmes connexes et plus vastes englobant le thème étudié. Pour Julian de Ajuriaguerra, les théories évoluent, mais les descriptions restent, il est alors nécessaire d'aboutir à une sémiologie riche et précise. Ces films sont d'une qualité particulière. Ce ne sont pas des films à thèse cherchant à passer un message ni des films pédagogiques ; ce sont des films d'observation, imparfaits du point de vue technique, mais montrant des bébés dans des situations bien définies, qui se comportent en fonction de leur âge, selon leurs penchants naturels et leur humeur du moment. Ils ont la fraîcheur de leurs comportements spontanés." (d'après le commentaire Marguerite Auzias, Présentation des films de recherche de l'équipe Ajuriaguerra - Auzias, Centre Hospitalier Sainte-Anne, 2017).