"On nous demande pourquoi nous n'adaptons pas plutôt les enfants à l'usine"

De Medfilm


Joel Danet, 30 juillet 2024

L'expérience de Bonneuil, école et hôpital de jour
affiche pour Secrète enfance de Guy Seligmann, sorti au cinéma en 1977.
La psychanalyste Maud Mannoni, ayant travaillé dès 1948 avec Françoise Dolto à l'hôpital Trousseau, s'est orientée vers le public des enfants et des adolescents. Influencée par Winnicott et Melanie Klein, elle a introduit l'antipsychiatrie en France. En 1969, elle a décidé de mettre en pratique ses théories et ses réflexions critiques en fondant à Bonneuil un lieu d'accueil et de vie pour les enfants et les adolescents autistes, psychotiques ou souffrant de graves névroses. L’École de Bonneuil a d'abord reposé sur le bénévolat de l’équipe ainsi que sur le soutien financier des parents des enfants pris en charge. Toutefois, en 1975, elle est devenue un Hôpital de Jour avec Foyer Thérapeutique de Nuit et un Service d’Accueil Familial Thérapeutique en province. Maud Mannoni a ensuite fait appel aux milieux agricoles et artisanaux en région pour recevoir des enfants du centre.

Le réalisateur Guy Seligmann a suivi cette aventure éducative et thérapeutique pendant plus de cinq ans. Il s'est rendu régulièrement à Bonneuil, a participé aux ateliers qui y étaient mis en place, a suivi en zone rurale les enfants accueillis. Il résulte de cette expérience au long cours deux longs métrages documentaires, d'abord montrés au cinéma, diffusés ensuite à la télévision : Vivre à Bonneuil (1974), Secrète enfance (1977). Ces films sensibles et intensément politiques consistent en des portraits de jeunes personnes prises en charge, auxquels le public s'attache tour à tour. Le théâtre des séquences peut aussi bien être un chantier de maison en construction, un atelier de peinture sur tissu, un bureau de graphisme, ou un bâtiment de ferme pendant une séance d'équeutage de porcelets. Selon les contenus abordés, le récit est traversé de restitution de séances de groupes de paroles impliquant les soignants et les parents, d'entretiens avec des psychiatres.

Bien sûr, Vivre à Bonneuil comme son complément Secrète enfance sont profondément marqués par la personnalité étonnante, déroutante, stimulante des jeunes personnes qui sont pris en charge, auxquels Guy Seligmann donne la parole et qu'il montre en liberté dans la rue, sur les chemins de campagnes, dans les locaux d'ateliers ou les cuisines collectives où ils évoluent, tantôt rétifs à la tâche, tantôt passionnés par le travail qui leur est confié. Mais ces deux documentaires sont aussi un espace d'expression pour des parents en souffrance et des psychiatres critiques de l'institution hospitalière. Surtout, par de nombreuses interventions sous forme d'entretiens ou pendant des réunions, ils donnent à Maud Mannoni la latitude pour expliquer l'esprit dans lequel elle déploie son action. Par la chronique d'un établissement pédiatrique, à la fois école et hôpital de jour, une mise à nu des ressorts morbides de la société française contemporaine.

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