En 1944, les studios Walt Disney Productions sont dans une situation financière délicate. Quelques années plus tôt, leurs deux derniers films, Pinocchio et Fantasia, se sont avérés être des échecs alors même que Walt Disney avaient considérablement augmenté ses effectifs et investi dans la construction de nouveaux studios. En outre, la fermeture des marchés européens à cause de la seconde guerre mondiale a coupé l'entreprise de 40 % de ses revenus, sans compter l'effondrement du marché du cinéma américain.
Mais au milieu de ce marasme financier vient éclater un évènement qui va changer l'histoire des studios Disney : l'attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941. Dès le lendemain, les locaux Disney sont officiellement réquisitionnés par l'armée américaine : celle-ci prétexte en effet vouloir contribuer à la défense de la Californie au cas où l’aéroport Lockheed, qui était tout proche des studios, serait la cible de bombardements ennemis. Les Studios Disney seront ainsi les seuls d’Hollywood à être occupés de la sorte pendant la guerre.
Le même jour, Walt Disney est également "réquisitionné" par le Navy Bureau of Aeronautics afin de produire une vingtaine de courts-métrages d’entraînement concernant la marine et l’aviation.
Cependant cette coopération gouvernementale n'est pas nouvelle car l’Office of Inter-American Affairs (OIAA) était déjà entré en relation avec Disney dès 1940 : à cette époque, même si les États-Unis n’avaient pas encore pris part à la guerre, ils s’inquiétaient de l’extension croissante de l’idéologie nazie en Amérique latine.
En 1941, l’OIAAA avait même fini par demander à Walt Disney de partir en tournée dans cette zone. Jouant le rôle d'ambassadeur de bonne volonté auprès de certains gouvernements sud-américains (Argentine, Brésil et Chili), Walt Disney endosse en fait, en ce début de Seconde Guerre mondiale, des responsabilités relatives à la diplomatie culturelle américaine envers l'Amérique latine. Des responsabilités qui s’inscrivent dans la Good Neighbour policy mise en place par Roosevelt près d’une décennie plus tôt.
C'est d'ailleurs cette mission qui amènera en grande partie Walt Disney à se lancer dans les dessins animés pédagogiques. Car l’autre part contextuelle majeure est le changement de visage des États-Unis qui s’est amorcé avec une immigration massive de populations latino-américaines, et tout particulièrement mexicaines. En effet, dès 1939, l'industrie de l'armement commence à offrir aux travailleurs agricoles américains du sud-ouest des postes mieux payés.
Les propriétaires agricoles demandent alors au gouvernement de faire appel à la main-d'œuvre mexicaine mais se heurtent à une ferme opposition, le gouvernement considérant cette pénurie de bras comme non fondée.
Mais l’attaque de Pearl Harbor change la donne : le programme Bracero formalise entre les gouvernements mexicain et américain le transfert d'un million de travailleurs mexicains : ceux-ci sont introduits sur le marché du travail (notamment dans le secteur agricole) avec un permis de séjour.
L'accord entre les deux gouvernements prévoyait de protéger les Mexicains de toute discrimination aux États-Unis ce qui, initialement, prévoyait la mise à l'écart du Texas, jugé trop intolérant et raciste.
En sus de ceux qui entrent sous les clauses de l'accord Bracero, beaucoup de Mexicains entrent illégalement aux États-Unis car ils ne remplissent pas les conditions pour immigrer légalement. Certains chercheurs affirment que leur nombre était au moins égal à celui des migrants légaux. En raison de la menace qu'il était facile de faire planer sur eux de les dénoncer aux autorités migratoires, ces travailleurs sont ceux qui se retrouvent dans les situations les plus vulnérables car ils sont victimes de nombreux abus (salaires impayés, loyers énormes ne permettant de vivre que dans des habitations de très mauvaise qualité, violences racistes, etc.).
Les conditions de vie insalubres dans lesquelles vivent ces travailleurs tendent à populariser l’idée d’une population sale, pour qui les règles d’hygiène et de propreté sont inconnues.
Aussi le gouvernement, voyant la nécessité d’"éduquer" ces populations, se tourne-t-il vers Walt Disney afin de réaliser des films pédagogiques. Quelques petites productions isolées avaient été réalisées par le passé par Walt Disney mais en 1943, avec l’encouragement et en concertation avec le gouvernement, Disney inaugure les débuts de tout un programme pédagogique qui perdurera pendant plusieurs années.
Ces films étaient initialement destinés aux populations rurales latino-américaines ou émigrées, mais ils étaient également conçus pour pouvoir être adaptés aux USA ou ailleurs. La connaissance des pays latino-américains visités par Walt Disney en 1941 lui a permis d’adapter le ton mais surtout les couleurs de ces films.
« Il n’est ni visionnaire ni présomptueux de prévoir l’utilisation [du cinéma] dans les programmes des écoles du monde entier », explique-t-il à la radio américaine en 1943. Une théorie qu’il éprouve en Amérique du Sud où ses films pédagogiques circulent de village en village. On y apprend aux populations hispanophones à vivre selon les bonnes mœurs occidentales et à se prémunir de toute tentation barbare.
De L’eau : ami ou ennemi (1943) à La propreté est source de santé (1945), Walt Disney fignole un programme pédagogique d’une efficacité redoutable que lui envient certaines grandes institutions comme l’université de Stanford.
En 1944, le dénouement de la guerre étant plus ou moins proche, les Studios Walt Disney s’éloigneront d'ailleurs tout doucement de la propagande pour se concentrer sur des courts-métrages de prévention et d’information pour la population américaine et celle des autres pays.
C’est à ce moment-là que des films comme Tuberculosis, What is Disease, Insects as Carriers of Disease ou Cleanliness brings Health voient le jour sous la thématique « Health for the Americas ». Tous sont commandés par le United States Information Service (U.S.I.S), de même que d’autres relevant de thèmes plus ou moins similaires (Cuidado y Alimentación infantil, El cuerpo Humano).
L’aspect simple et dépouillé de ces films sanitaires peut paraître déconcertant par rapport aux grandes productions cinématographiques Disney de l’époque mais le studio avait amorcé une diversification pendant les années de guerre, souhaitant se positionner comme un studio capable de produire aussi bien des films pour le cinéma que des films pédagogiques ou utilitaires.
Le style austère de ces derniers a l’avantage incontestable d’être moins onéreux (une considération importante vu que les budgets alloués restent somme toute assez minces), mais il cache aussi une raison plus profonde : il avait été expressément demandé à Walt Disney de réaliser ces films dans des designs aussi simples et directs que possible. Il avait par le passé réalisé quelques films éducatifs plus élaborés, contenant une touche de divertissement mais les agences gouvernementales l’avaient dissuadé de continuer dans cette voie : pour elles, un style simple, dépouillé de toute frivolité ferait mieux passer le message d’instruction.