* 00:00 – 01:40 Catherine Langeais, médiatrice entre le plateau TV et les téléspectateurs
L’émission s’ouvre sur un plan américain donnant à voir les enfants qui s’affairent déjà en cuisine, silencieux et concentrés. Ils portent toques et tabliers à la manière des cuisiniers professionnels. Yves écrase des bananes à l’aide d’un moulin à légumes, tandis qu’Hélène verse des morceaux de sucre dans une casserole qu’elle porte ensuite sur le feu. Le gros plan sur le moulin à légumes (00:34) révèle l’importance de l’ustensile dans la recette. Catherine Langeais arrive ensuite en cuisine, et les interroge sur la recette et ses ingrédients. Mais le plan est subitement coupé en plein milieu d’une phrase de la présentatrice (00:45). Le plan suivant la montre en train d’annoncer l’âge des enfants. Elle se met à poser de nombreuses questions afin de comprendre les étapes qui ont déjà été réalisées et les ingrédients utilisés jusque-là. Tout comme dans l’émission pour adultes Art et Magie de la Cuisine, Catherine Langeais fait ici office de médiatrice entre les enfants en plateau et les téléspectateurs, en s’assurant de l’intelligibilité de la recette[5]. Elle demande à plusieurs reprises à Yves et à Hélène de répéter leurs étapes. Pourtant, en bonne présentatrice TV, elle contribue également à rendre l’émission plus attractive en s’intéressant aux enfants. Elle n’hésite pas à prendre dans ses mains le petit garçon, attendrie par sa tenue de cuisinier professionnel. Un brin soupçonneuse, elle s’interroge alors sur le port des tabliers et toques à la maison.
*01:40 – 02:03 Des opérations délicates en cuisine
Catherine Langeais demande à plusieurs reprises aux enfants d’expliquer ce qu’ils font, sur ton insistant. Hélène se charge alors d’expliquer très intelligemment la prochaine étape : séparer le blanc d’œuf du jaune. Il s’agit d’une opération délicate qui nécessite une certaine dextérité et de la concentration pour la petite fille, qui est encouragée par la présentatrice. La longueur du gros plan, près de 20 secondes (01 :43- 02 :06), utilisé pour montrer cette étape témoigne de l’importance du geste technique. Ensuite, Yves ajoute du rhum à l’écrasé de bananes. La présentatrice s’étonne de la quantité annoncée, une cuillère à café, et insiste lourdement auprès de la grande sœur pour savoir s’il ne faut pas mettre plus d’alcool dans la préparation : « une cuillerée à café, hein, pas une cuillerée…pas une grande, c’est une grande qu’il faut mettre ? Une toute petite, eh ben il a raison, il a raison. On laisse un petit peu déborder simplement, ça revient au même. Non, on laisse pas déborder. Alors tu mets juste ça dans six bananes que tu as passées à la moulinette. ». Cette remarque est très étonnante pour l’époque, car elle n’est pas du tout en accord avec les messages de santé publique qui circulaient dans les années 1950. En effet, l’émission est produite trois ans après la campagne antialcoolique de Pierre Mendès-France qui s’adressait spécifiquement aux enfants. Il est d’autant plus étonnant de ne pas retrouver un discours de lutte antialcoolique à la télévision, média qui était justement conçu en France comme un outil de progrès moral et se donnait pour mission d’« instruire » la population française.
*02:34 – 06:36 Une présentatrice omniprésente…
Les deux enfants s’attellent ensuite à battre respectivement le blanc en neige et la crème fraîche. Catherine Langeais, qui est restée en plateau, les seconde dans leurs tâches. Hélène, qui a fini plus tôt que son frère, tente d’expliquer l’étape suivante mais elle est obligée de parler très fort pour couvrir les bruits parasites qu’Yves produit avec son batteur à manivelle. Cet ustensile dont l’utilisation est attestée depuis la fin du XIXe siècle fait partie de la cuisine de la ménagère mais non de la panoplie d’un chef. Il existe en effet une stricte distinction entre cuisine professionnelle et cuisine domestique qui amène les cuisiniers à dédaigner tous les ustensiles provenant des arts ménagers. Comme le souligne Raymond Oliver dans un autre épisode, réticent à l’idée d’utiliser un batteur mécanique, ce sont les enfants qui apportent cet ustensile sur le plateau TV. La petite fille est assistée par la présentatrice dans toutes les étapes, qui lui tend les ustensiles et les ingrédients dont elle a besoin : deux bananes, une petite soucoupe, un couteau. Catherine Langeais donne l’impression de faire les cent pas sur le plateau, essayant d’aider l’un ou l’autre des enfants ou faisant du ménage sur le plan de travail. Après Hélène, elle décide d’aider Yves sous prétexte qu’il ne tourne pas assez vite son blanc d’œuf, car il est « gaucher ». La présentatrice finit par sortir du plateau et demande à Hélène de répéter les différentes étapes de la recette. Elle laisse ainsi, physiquement et télévisuellement, la place aux enfants, qui sont censés être les acteurs de l’émission. Mais elle ne reste pas longtemps dans le hors-champ puisqu’elle réapparaît rapidement pour aller augmenter le gaz qu’elle juge trop faible. À la demande de Catherine Langeais, qui sent que l’émission commence à se tirer en longueur et manque de rebond, Raymond Oliver entre en cuisine.
*06:37 – 08:12 Les conditions techniques du tournage : problème de son
Un peu inquiète du manque d’entrain des enfants, la présentatrice demande l’avis d’expert du chef sur la recette en train de se préparer. Ce dernier la rassure. Catherine Langeais choisit alors de faire allusion aux conditions techniques de tournage, de dévoiler l’« envers du décor » télévisuel, pour rendre l’émission plus attractive. Elle explique, en effet, que, sur demande des ingénieurs du son, les enfants ont pris des bols en plastique pour battre les œufs afin de faire moins de bruit. En tant que garante des bonnes conditions de tournage, son rôle est en effet d’assurer l’intelligibilité des propos. Elle fait ensuite référence à l’émission pour adultes Art et Magie de la Cuisine en attaquant directement Raymond Oliver de son manque de considérations des problèmes techniques : « Vous pourriez pas avoir les mêmes, vous ? Vous qui arrivez avec un gros…une grosse bassine en cuivre pour battre vos blancs. Vous faites un chambard ! C’est même pas du bruit, c’est du chambard ». Cet aparté entre la présentatrice et le chef est interrompu par l’intervention du petit Yves qui tente d’expliquer l’étape suivante. Les adultes reprennent leur rôle auprès des enfants en leur apportant leur aide. Raymond Oliver seconde la petite cuisinière en lui tendant une assiette et une cuillère dont elle a besoin.
*08:13 – 11:35 Entre conversation décontractée des adultes et préparatifs maîtrisés des enfants
Afin de rendre l’émission plus attractive et surtout plus communicationnelle, Catherine Langeais met en place une nouvelle stratégie : la médiation de connaissances culinaires. Elle demande en effet à Raymond Oliver d’exposer son savoir sur la banane. Le chef explique que la banane est considérée comme un légume dans de nombreux pays de l’hémisphère sud puisqu'elle entre dans la composition de plats principaux. Comme le montrait l’émission-mère Art et Magie de la Cuisine, Raymond Oliver connaissait très bien les cuisines étrangères, dites exotiques dans les années 1950, et a contribué à travers ses émissions à leur diffusion auprès des téléspectateurs français[6]. Cette discussion entre adultes est à nouveau interrompue par les enfants qui, très concentrés sur leur recette, expliquent la suite des opérations. La présentatrice et le chef prêtent attention un court instant au déroulé de la recette puis se remettent à discuter en aparté sur un ton décontracté. Catherine Langeais, qui suspecte Raymond Oliver d’avoir faim, lui propose de lui faire une omelette. Le décalage de ces propos crée un deuxième niveau de discussion révélant une certaine complicité voire trahissant un jeu amoureux, qui exclue d’office les enfants. Puis retour à la recette. La compétence technique de la petite fille qui mélange le blanc d’œuf à l’écrasée de bananes est mise en valeur à la fois visuellement par un gros plan très long sur le saladier, et verbalement par les félicitations du chef qui apporte son jugement expert. Enhardie par les éloges, Hélène prend soin d’expliquer elle-même l’intérêt de son geste qu’il revêt pour la préparation. Un élément assez inattendu se produit alors, qui vient complètement rompre l’idée de spectacle télévisuel, mais qui ne déstabilise pas du tout la présentatrice : « Tiens, on frappe à la porte, si on allait ouvrir. Il y a quelqu’un qui doit aimer la mousse de banane. Je ne vois que ça…». Adoptant le ton de l’humour, Catherine Langeais ne cache pas du tout le fait que l’émission est tournée en studio, dans une volonté de proximité avec les téléspectateurs. Les nombreux coups d’œil qu’elle lance ensuite dans le hors-champ, tout comme Raymond Oliver, laissent à croire que l’équipe technique cherche à faire passer un message. En effet, la présentatrice finit par alerter sur le peu de temps qu’il reste pour finir la recette, malgré son attitude maternante envers Yves, et demande aux enfants de se dépêcher. La captation de l’émission s’arrête quelques secondes plus tard, sans que la fin de l’émission ait été annoncée.