Les soignants (1968)
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Générique principal
Gén. fin : Commentaires et interview - Frédéric Pottecher / Images - Jacques Delarue / illustration sonore - Gérard Gallo / Réalisation - Charles Brabant
Contenus
Sujet
Emission consacrée à la vie et au travail du personnel infirmier des hôpitaux : les heures de travail, les appointements, les heures supplémentaires. (Notice INA)
Genre dominant
Résumé
Le film insiste en premier lieu sur les capacités techniques que le personnel infirmier doit acquérir pour seconder efficacement le travail des médecins dans des hôpitaux de plus en plus équipés. A l'occasion de la retransmission d'une opération à coeur ouvert réalisée par le Pr. Dubost dans l'hôpital Broussais, avec l'assistance du Pr. Pijnica, le documentaire insiste sur le rôle capital que tient le personnel infirmier pendant un acte chirurgical, notamment l'infirmière qui assure l'entretien du coeur artificiel et l'infirmière panseuse qui assure "l'instrumentation".
Pour le Pr. Milliez et d'autres médecins, il manque beaucoup d'infirmiers et ceux-ci manquent de considération. Des infirmières se plaignent de passer trop de temps à du "nursing" et pas suffisamment pour les tâches où elles sont spécialisées. Le Dr. Alliaux, sous-directeur à Versailles, le Dr. Bélier, directeur de Cochin, le Dr. Albout soutiennent leurs revendications et se plaignent de leur sous-effectif.
Contexte
L'hôpital en 1967
L’effort d’équipement et de création d’infrastructures hospitalières a permis de préciser les attributions de l’hôpital. Il accueille des populations très hétérogènes : individus accidentés (en particulier des accidentés de la route), personnes atteintes de maladies graves (cancer, maladies chroniques, maladies dégénératives, etc.), et enfin de très nombreux patients qui viennent consulter des spécialistes à l’hôpital et subir des examens plus approfondis. L’hôpital accueille également les femmes sur le point d’accoucher ou des personnes âgées dont l’état général exige des soins constants. L’hôpital est devenu le lieu où l’on naît et celui où l’on meurt. Pour autant, la fonction asilaire n’a pas disparu. Certes, l’hôpital n’est plus un lieu d’enfermement comme l’a décrit Michel Foucault, mais il continue à accueillir des individus marginalisés par leur état de santé psychique ou physique. Et l’hôpital est aussi devenu au cours des dernières décennies un lieu de substitution à la médecine générale ou à la pédiatrie pour des populations dont le rapport à la maladie et au soin a considérablement changé. Les services d’urgences sont devenus le réceptacle des misères sociales et morales, en particulier dans les grandes villes.
La formation des infirmières
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, soigner est un art essentiellement pratiqué par les religieuses. Dès le XIIIe siècle, les soeurs augustines s’occupent des malades de l’Hôtel-Dieu. Elles représentent l’une des principales congrégations religieuses hospitalières actives dans les hôpitaux de la Charité, Beaujon (dans sa première implantation à Paris), Lariboisière et Saint- Louis. Les religieuses vouent leur vie aux soins apportés aux malades, traités essentiellement sous l’angle de la santé spirituelle. Le mouvement de laïcisation amorcé en 1878 amène au départ progressif des religieuses des hôpitaux, où elles n’occupent généralement plus que les postes de surveillance. Sont alors formées de véritables professionnelles laïques pour une prise en charge médicale des malades et pour leur prodiguer les soins nécessaires à leur guérison.
La circulaire du 28 octobre 1902 qui encourage fortement la création d’écoles de formation, précise la définition de l’infirmière : « L’infirmière telle qu’on doit la concevoir est absolument différente de la servante employée aux gros ouvrages de cuisine, de nettoyage, etc. Elle est réservée aux soins directs des malades ; c’est la collaboratrice disciplinée, mais intelligente, du médecin et du chirurgien ; en dehors de sa dignité personnelle qu’il est essentiel de sauvegarder, elle doit éprouver une légitime fierté d’un état que relèvent à la fois son caractère philanthropique et son caractère scientifique. » Des écoles d’infirmières municipales existent déjà avant la parution de cette circulaire : dès 1878, elles forment également des servantes et des aides-soignants. Les règles d’hygiène, les notions en petite pharmacie et l’apprentissage de l’art des pansements leur permettent d’apporter tous les soins nécessaires aux femmes en couches et aux enfants.
En 1907 ouvre l’école d’infirmières de l’Assistance publique dans l’enceinte de l’hôpital Salpêtrière. Le règlement de l’école reprend les propositions données dans la circulaire de 1902 sur l’hébergement des élèves, ainsi que sur les modules de formation et le recrutement. Les postulantes doivent être âgées de 18 à 30 ans, avoir de bonnes capacités intellectuelles ainsi qu’une bonne condition physique. La scolarité, d’une durée de 2 ans, est gratuite : en échange, les élèves s’engagent à servir l’Assistance publique en travaillant dans un de ses hôpitaux pendant un certain nombre d’années. Les élèves suivent un enseignement théorique la 1re année, puis un stage pour la mise en pratique la 2nde année. Le temps de loisirs et de repos est également prévu dans le règlement. Cette école ne remet pas en cause la création des écoles municipales : on parlera ainsi des « bleues » (en référence au manteau bleu des nouvelles élèves) et des « municipales » pour distinguer l’origine des infirmières. Dans les années suivantes, des écoles ouvrent dans les hôpitaux de la Pitié, Lariboisière, Bicêtre ou encore à l’hôpital Franco-Musulman (aujourd’hui Avicenne). Cf. https://archives.aphp.fr
Le Pr. Charles Dubost
Dans ce volet de la série intervient le Pr. Charles Dubost menant une opération dans l'hôpital Broussais. En 1951 , il a opéré pour la première fois un anévrysme de l'aorte abdominale. Ayant fait la connaissance des chirurgiens états-uniens John Gibbon et Walton Lillehei, les deux inventeurs de la circulation extra-corporelle, il a été le premier à importer en Europe cette nouvelle technique chirurgicale (montré dans la première séquence du film). En 1955, il a réalisé la première intervention à coeur ouvert en se servant d'un système de dérivation coeur-poumon. En 1959, il a été le premier à réaliser une désobstruction de l'orifice des artères coronaires.
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Non.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Oui.
- Animateur : Oui.
- Voix off : Oui.
- Interview : Oui.
- Musique et bruitages : Oui.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Le journaliste Frédéric Pottecher joue de nouveau, comme dans les autres volets de la même série, le rôle du candide qui se fait expliquer les contenus filmés par les professionnels qui agissent sur place.
La réalisation consiste essentiellement en une articulation de différents entretiens dont les extraits s'entrelacent, ce qui permet de valoriser leurs différents contenus selon le sujet abordé. Tantôt la personne interrogée est en in, tantôt sa voix intervient avec des scènes d'hôpital pour la couvrir.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
La médecine est présentée comme un corps non homogène. Le Pr. Milliez avoue que les médecins n'ont pas assez pris en compte des difficultés rencontrées par le personnel infirmier sur les plans de la rémunération, de leurs conditions de travail et de l'insuffisance de leurs effectifs.
Le domaine des ressources humaines à l'hôpital constitue l'essentiel de ce volet. Il recoupe beaucoup de contenus exposés dans l'émission "Les infirmières" écrite par Françoise Dumayet, diffusée par la 1ère chaîne en 1964 dans la série "L'avenir est à vous" (L'école du dévouement et La province).
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
télévision, 1ère chaîne, 23/01/1968
Communications et événements associés au film
Public
tout public
Audience
Descriptif libre
Drones inquiétants en musique de fond. Carton avec mots en blanc sur fond noir : "Les hôpitaux" ; puis, en clignotement autour de "les hôpitaux", les noms de "Brabant" et "Pottecher" ; puis les mots "aujourd'hui" et "les soignants".
"Passer 150 instruments quand il le faut, sans jamais se tromper..." : compétences techniques des infirmières
Une femme en blouse blanche ajuste des capteurs sur l'oeil d'un homme assis en face d'une machine, elle lui dit "ne bougez pas". Au plan suivant, elle manie des commandes sur un tableau. Le commentaire explique que nous voyons dans un service d'ophtalmologie de Marseille une infirmière mesurer la capacité rétinienne d'un malade. Il insiste sur la compétence technique que requiert sa tâche : lire et interpréter une courbe graphique donnée par l'instrument de mesure. Pour un médecin interrogé, la médecine devenant "de plus en plus complexe", les infirmières sont responsabilisées sur des tâches qui leur demandent une formation, comme la distribution des médicaments ou la surveillance des malades. Elle peut être appelée à participer au "dépistage des complications". Retour du drone du générique pour accompagner la vue en pongée d'une opération chirurgicale : ballets de mains munies de pinces et d'écarteurs dont les gestes se recoupent au-dessus du champ opératoire. Le commentaire précise qu'il s'agit d'une opération à coeur ouvert menée à l'hôpital Broussais. "Qui dirige, et qui assiste?" demande-t-il. Une voix de femme répond en off, nous comprendrons plus tard qu'il s'agit d'une infirmière. Elle désigne chaque participant : deux professeurs, deux internes - le Pr. Dubost (Charles Dubost, le premier à avoir opéré à coeur ouvert, opération effectuée en 1955 au même hôpital Broussais). Par un contrechamp vertical, nous voyons l'infirmière interrogée en compagnie de Frédéric Pottecher. Le journaliste joue de nouveau, comme dans les autres volets de la même série, le rôle du candide qui se fait expliquer les contenus filmés par les professionnels qui agissent sur place. Ainsi, il demande à l'infirmière en quoi consiste le geste que le professeur effectue en ce moment à l'image. Celle-ci répond qu'elle ne voit pas bien, mais que, selon elle, "il doit attaquer une valve". Son intervention témoigne de sa capacité à décrypter le déroulement de l'opération et à identifier chacun de ses acteurs. Elle parle doucement, économisant ses mots comme si elle veillait à ne pas troubler la marche de l'opération alors qu'elle en est séparée par la paroi de verre à travers laquelle elle l'observe, comme si la gravité de la situation lui imposait une attitude retenue.
Le commentaire précise que la durée de ce type d'opérations est de 3 à 5 heures et qu'elle requiert la participation de 4 chirurgiens. "... Et s'ajoutent encore : un médecin anesthésiste, un médecin pompiste (chargé de surveiller la circulation extra-corporelle), un médecin électronicien, tous assistés d'infirmières diplômées". Il explique ensuite que l'infirmière qui assiste le chirurgien pompiste - tous les deux sont alors montrés à l'image - a "assuré le nettoyage et l'entretien du coeur artificiel". Sur un gros plan en plongée du visage de l'infirmière, le commentaire ajoute : "si l'appareil tombe en panne, elle en assurera le fonctionnement manuel". Dans cette éventualité, le malade ne vivant que "par le coeur artificiel", c'est à elle qu'il devrait son maintien en vie. L'infirmière, continuant sa description, évoque un médecin situé à l'extérieur de la salle d'opération, qui surveille la pression sanguine sur "le scope" (moniteur montré à l'image). La séquence se poursuivant dans la salle d'opération, elle montre l'infirmière panseuse qui "fait l'instrumentation", tâche qui consiste à passer aux chirurgiens les instruments que les chirurgiens sont amenés à lui demander. Le commentaire souligne : "Passer 150 instruments quand il le faut, sans jamais se tromper..." Tout le but de la séquence est de mettre en évidence le degré de compétence du personnel infirmier impliqué dans une opération aussi ambitieuse que celle-ci. (06:36)
"Je crois que certains médecins manquent de considération vis-à-vis de l'infirmière."
L'infirmière reprend en expliquant que beaucoup de médecins viennent voir le Pr. Dubost opérer dans le cadre de stages en chirurgie cardio-vasculaire qui peuvent durer de six mois à un an. Commentaire : "soigner et enseigner, tâche essentielle de la médecine moderne, mais au prix d'énormes efforts techniques et financiers". Entretien avec le Pr. Dubost filmé en gros plan. Il explique que le fonctionnement du service, pour des opérations "plus compliquées et plus longues", suppose "une très haute spécialisation" du personnel, et exige l'augmentation de ses effectifs. Le Pr. Paul Milliez enchaîne en déplorant le manque de personnel infirmier "technique de valeur" : "nos normes sont basées sur ce qu'était la médecine de 1920, c'est-à-dire à une époque où il n'y avait pratiquement ni piqûres, ni examens." Un troisième médecin évoque une étude prospective établit que le service dont il s'occupe nécessite 23 infirmiers-infirmières ; lui-même n'en demande que 18 ; il ne lui en sera "accordé" que 11. Or, à compter avec les absences qui surviennent parmi elles, il ne doit compter que sur 8 à 9 d'entre elles. Le plan où ce médecin intervient le montre au premier plan bord cadre droit et dans la profondeur de champ, au centre du champ, deux infirmières qui l'écoutent en profondeur de champ. Retour sur Milliez pour lequel le corps médical est en partie responsable de la carence actuelle en personnel : "nous n'étions pas solidaires de notre personnel, nous ne comprenions pas leurs conditions de vie". Une infirmière filmée en gros plan approuve le professeur : "je crois que certains médecins manquent de considération vis-à-vis de l'infirmière." Comme Pottecher, auquel elle s'adresse, demande à quel propos, elle sourit et regarde vers le sol, avouant qu'elle hésite à continuer. Pottecher insiste, si bien qu'elle évoque un chirurgien qui considère une infirmière comme une "femme de chambre évoluée".
Une autre infirmière, également filmée en gros plan, décrit la journée normale des personnes exerçant sa profession : début à 06h45, fin vers 16h, avec une demie heure pour déjeuner "qu'elle ne prend pratiquement jamais". Dans une chambre collective, Pottecher interroge une autre infirmière qui explique que le service doit s'occuper de 33 malades alors qu'il ne dispose que de 2 infirmières, sans possibilité de remplacement aux jours de maladie ou de repos. Une des infirmières filmées en compagnie du médecin interrogé dans la séquence précédente explique qu'elle soit se lever deux heures avant le début normal de sa journée pour arriver à faire son travail. Une autre infirmière se plaint de faire trop de "nursing", mot qu'elle doit expliquer à Pottecher qui le lui demande, parce que le "personnel d'aides soignants employées n'est pas suffisant". Vue sur une infirmière en train de changer une literie pour seconder trois aides soignantes qui rangent une chambre. Une aide soignante interrogée, alors qu'elle en train de plier du linge, explique qu'elle finit ses journées "crevée". Elle ajoute : "j'ai donné toute ma jeunesse à l'hôpital, arrive un moment où on n'en peut plus". Le commentaire de Pottecher appuie : "trop de temps pour des tâches ménagères, trop de compétences et de fatigue gaspillées". (14:59)
Horaires et heures supplémentaires
Il est ensuite question des heures supplémentaires, souvent non rémunérées, nécessaires pour assurer le soin : "si le travail n'a pas été terminé, évidemment, je ne peux pas partir du service", explique une infirmière interrogée dans un couloir. Elle exerce ce métier depuis trois ans, elle continue d'aimer son métier. Paul Milliez abonde clairement les doléances des infirmières : "certaines infirmières qui sont au rein artificiel travaillent jusqu'à une heure du matin certains jours alors qu'elles devraient être parties depuis 5h. Personne ne leur en sait gré en dehors des malades..." - sourire pour exprimer sa réticence - "...et peut-être des médecins". Pottecher lui demandant si on leur paie les heures supplémentaires qu'elles sont amenées à effectuer : " Dans un certain nombre de cas, elles font ça sans que personne ne soit au courant. D'ailleurs quand nos infirmières partent d'ici à sept heures le soir au lieu de partir à cinq heures, ce qui est très fréquent, personne ne le sait, personne ne leur donne un salaire supplémentaire pour autant. Elles ne récupèrent pas leurs heures les jours suivants, et elles doivent être quand même là le lendemain à sept heures et demi." L'infirmière en chef interrogée rappelle que la fin d'une journée d'infirmière est à 4h (Milliez parlant de 5h), que la quart suivant est de 4h jusqu'à 11h, assuré par une infirmière de garde qui est arrivée à l'hôpital à 3h. (16:38)
Le travail de nuit : "on a les malades à nous"
Une intervention de nuit : une ambulance achemine un blessé au service des urgences. Celui-ci, allongé sur une civière, garde les yeux ouverts. Un arpège de piano installe une ambiance tendue. Commentaire : "la nuit tout est plus inquiétant. On se sent souvent seul en face des responsabilités". Suite de l'interview avec l'infirmière interrogée dans le couloir. Elle explique que le nombre ordinaire de malades dont elle doit s'occuper la nuit est de 64. Si deux urgences se déclarent au même moment, elle va "au plus pressé". Vues qui montrent le personnel infirmier transportant des malades sur une civière dans les couloirs du service, mettant en jeu pour la première fois des infirmiers et pas uniquement des infirmières. Dans la bande son, un administrateur explique que l'état de ces malades demanderait un suivi minute par minute pendant 48 heures, mais qu'il faut composer avec le personnel à disposition. Il rappelle que le personnel infirmier doit agir en l'absence de médecins, accompagné uniquement par un réanimateur. Une infirmière témoigne : "Certaines ne tiennent pas le coup. Vous savez, la veille, faut pouvoir. C'est une vie pas comme les autres : il faut dormir le jour, ça va pas à tout le monde". L'infirmière interrogée dans le couloir s'affaire avec une pile de classeurs. Elle explique qu'elle s'occupe des fiches de traitement que les infirmières de jour, trop occupées par leur service, n'ont pas eu le temps de rédiger. Elle profite du calme "relatif" de cette nuit pour combler le retard que ses collègues ont prise. Un panoramique montre que sur le siège d'à côté est posé un volume des Confessions de Rousseau en édition de poche. Ce discret plan de coupe témoigne de la manière dont une infirmière peut chercher à nourrir son esprit en même temps qu'elle doit assurer son service, et peut-être de la volonté de cette infirmière de mettre à profit la possibilité qu'offre la pensée du philosophe d'imprimer un recul vis-à-vis des contingences de l'existence. Un débat entre plusieurs infirmières : préfèrent-elles travailler la nuit ou le jour? L'une d'elles apprécie le travail de nuit : "on est tranquilles, on a les malades à nous, et puis on s'entend très bien". A Pottecher qui l'interroge sur ce sujet, elle répond que le travail de nuit est davantage rémunéré : "6000 francs par mois". Elle ajoute qu'il lui permet aussi de garder ses enfants le jour. Pendant la nuit, c'est la tâche du mari. Son ton est différent de celui qu'elle employait pendant le débat avec ses collègues : moins animé, moins incarné, comme si elle concédait en leur absence une explication factuelle qu'elle ne voulait pas avancer auprès d'elles. Un infirmier explique à sa suite qu'il est aussi étudiant en médecine ; il travaille de nuit parce que "c'est le seul moment qui m'arrange" étant donné qu'il doit suivre des stages et des séances de travaux pratiques qui commencent le matin. Il explique que travailler comme infirmier la nuit, à raison de 10 nuits par mois rémunérées 400 francs, lui permet de financer les études qu'il mène - de jour. (23:00)
"Le cadeau dont on nous rabat les oreilles, c'est sur notre dos" : les évolutions de l'organisation du temps de travail
Une jeune infirmière interrogée par Pottecher dans une salle commune :
- En somme, vous ne regrettez pas de l'avoir fait, ce métier?
- Absolument pas, non!
- Est-ce que vous voudriez en changer?
- Non
- Malgré tout?
- Malgré tout! Ah, c'est un métier que j'aime! Je ne me vois pas faire autre chose!
- C'est gentil...
- (rires). Je dis ce que je pense, c'est tout!"
Une surveillante générale explique que les infirmières qui se lancent dans le métier viennent pour la plupart avec "cet amour du malade". Elles doivent ensuite affronter un environnement de travail "où il y a la misère, où il faut toujours courir". Elle insiste sur le fait qu'elles éprouvent un frustration de ne pouvoir faire remonter au médecin ce qu'elles savent des patients dont elles ont la charge - les difficultés qu'ils ont rencontré et qui pèsent sur leur état mental - à cause du temps qui manque et du manque de personnel. Cette course dans laquelle elles sont engagées les amène parfois à un comportement bourru. Paul Milliez ajoute que les aides soignantes sont souvent requises pour suppléer le travail des infirmières : "elles sont pleines de dévouement, mais non compétentes." Une aide soignante interrogée par Pottecher devant une chambre commune, explique que si une aide soignante doit assister l'infirmière, il lui arrive personnellement de "faire toute seule la salle" quand celle-ci est de repos. Une autre aide-soignante affirme qu'elle doit faire les perfusions et prises de sang qui sont de la responsabilité de l'infirmière. Une jeune femme interrogée dans la rue revient sur son expérience de patiente à l'hôpital : "les soins étaient excellents, il se trouve que j'ai pu apprécier de près la gentillesse de l'infirmière mais je crois qu'elles sont débordées, elles auraient besoin d'être plus nombreuses et mieux secondées : par exemple, ce sont souvent des filles de salle qui font le ménage le matin et les soins l'après-midi, et pour quelqu'un qui n'est pas prévenu, c'est un peu choquant". La surveillante générale interrogée plus tôt convient que l'hôpital nécessite du personnel supplémentaire et qualifié. Elle ajoute avec un sourire : "on a beau apporter beaucoup d'amour au malade, dans certains cas il ne suffit pas" étant donné que "les techniques se spécialisent de plus en plus". Le directeur de l'hôpital ajoute que "les malades ont la fâcheuse habitude d'être malades 24 h/ 24 et 365 jours par an." Plusieurs surveillantes générale reviennent sur ce qu'elles concèdent être un progrès de l'administration : un dimanche sur trois est accordé en temps libre aux infirmières alors qu'auparavant c'était un dimanche sur sept. Or, auparavant dans le film, nous avons écouté une aide soignante expliquer que sa fatigue au travail était telle qu'elle passe le dimanche qu'elle a de libre à dormir. Paul Milliez prend l'exemple de la surveillante de son service pour expliquer que les contraintes de l'organisation de son temps de travail rejaillissent sur son temps de travail : "nous voyons tout le temps des familles qui se trouvent désunies par la situation faite au personnel infirmier." Deux surveillantes, interrogées devant une affiche de la CFDT, expliquent que les 45 heures de repos accordées l'ont été sans augmentation de personnel : "le cadeau dont on nous rabat les oreilles, c'est sur notre dos". Pour une autre infirmière, une femme mariée qui exerce cette profession "ne peut pas mener une vie normale", ses conditions horaires ne lui permettant pas de voir suffisamment son mari et ses enfants : "ça gâche toute une vie, moi je trouve", commente-t-elle.(28:20)
"Plutôt que de construire des palais..." : les choix politiques
Une autre infirmière donne les raisons pour lesquelles beaucoup d'infirmières abandonnent leur métier : insuffisance de rémunération, pas d'indemnisation pour le travail effectué les jours fériés ou le dimanche, la difficulté de combiner la parentalité avec la pratique. Le commentaire ajoute que les infirmières appartenant à une catégorie de la fonction publique, les rémunérer davantage impliquerait de faire pareil pour "tous les traitements de cette fonction publique". Selon un médecin, il faut alors leur accorder des primes en tant que "techniciennes spécialisées". Pour deux administrateurs interrogés, le problème de l'insuffisance des rémunérations concerne tous les emplois hospitaliers : selon eux, elle explique le manque de personnel technique sur les plans des infra structures (comme le chauffage) et de la restauration. Plus loin dans le film, Milliez abonde : "nous n'avons plus de cuisiniers, ils ne sont pas assez payés!" Un cuisinier explique que dans le privé, son métier est rémunéré à 120-140 000 francs (anciens) par mois. Selon l'infirmière syndicaliste CFDT, les personnes qui exercent cette profession vers l'âge de 20 ans doivent atteindre 50 ans "pour avoir un salaire correct". Une infirmière interrogée dit toucher 103 000 F (anciens) en ayant exercé pendant 22 ans. Le directeur financier de l'AP estime que la question exige de prendre en compte la globalité du personnel de même catégorie et invoque des travaux en cours "sur lesquels il n'est pas encore possible de se faire une idée précise". Après toutes ces précautions oratoires, il avoue que des "renforts d'effectifs" sont nécessaires. Mais ceci est soumis "à un certain nombre de décisions qui sont prises dans le cadre des tutelles administratives". Il adresse à son interlocuteur un clignement des yeux pour affirmer qu'il ne souhaite pas en dire davantage. Pottecher commente : "en somme, la parole est au ministère des finances". Selon Milliez, pour bien administrer l'hôpital, "il faudrait que l'Etat change de conception." Il invoque la nécessité de former davantage, de recruter, de donner des bonnes conditions de travail au personnel. "Plutôt que de construire des palais qui ne sont plutôt que des prototypes, il vaudrait mieux humaniser les hôpitaux en améliorant les locaux actuels, mais en fournissant du personnel qui serait normalement rétribué et qui aurait une vie possible."
Musique énigmatique sur le photogramme d'un plan montrant une infirmière en action, sons abstraits qui expriment l'expectative à laquelle invite l'évolution du dossier. Interventions infographiques : "prochaine émission - l'usine à soins". Défilement du générique.
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Joël Danet