Le baiser qui tue (1927)
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Sommaire
Générique principal
Anne-Marie Keradec (Mlle Claude Harold) / Yves Le Goff. (Georges Oltramare)
Contenus
Sujet
Les dangers de la syphilis, les manières de la contracter, les risques encourus par peur de la stigmatisation morale, les possibilités de prise en charge.
Genre dominant
Résumé
"Le cauchemar d’un jeune marin au long cours qui, s’étant contaminé de la syphilis auprès d’une prostituée, imagine en rêve sa déchéance future ainsi que celles de sa femme et de son nouveau-né. Véritable ange tutélaire, le médecin du bord (interprété par le scénariste, le Dr Malachowski) lui prescrit à son réveil un traitement drastique..."
Contexte
La maladie et sa prise en charge
Affection microbienne contagieuse, la syphilis a pour agent le tréponème pâle et se transmet par les rapports sexuels. Son évolution se fait en trois phases successives : le stade primaire au bout de trois semaines avec l’apparition d’un chancre et de ganglions non douloureux, le stade secondaire entre six semaines et trois ans avec des lésions cutanées, le stade tertiaire avec une dégradation générale de l’organisme puis du système nerveux.
Cependant les évolutions médicales pour la soigner sont de plus en plus perfectionnées. L'intervention des pouvoirs publics par la surveillance sanitaire des marins, des soldats et des prostituées, ainsi que l'introduction de nouvelles thérapeutiques comme l'iodure de potassium, et ceux de l'hygiène, font sensiblement reculer toutes les maladies vénériennes entre le milieu du siècle et 1880. Dès 1905, les Allemands Fritz Richard Schaudinn et Paul Erich Hoffmann découvrent l'agent de la syphilis, un spirille nommé "tréponèm pâle". La même année, Wassermann met au point un séro-diagnostic qui permet d'identifier la maladie dès ses premiers stades. Pour le mettre en évidence, ils emploient le le microscope à fond noir mis au point par Siedentopf et Zsigmondy en 1903. En 1909, Jean Comandon mobilise ce même microscope pour réaliser dans l'Hôpital Saint-Louis des prises de vue micro-cinématographiques du même spirille.
En 1910, Paul Ehrlich et Sahachiro Hatta découvrent l'arsphénamine ou '606' (le produit sera commercialisé sous le nom de Salvarsan). Viendront le '914' ou Néo-Salvarsan puis le '910' ou Stovarsol. Les numéros correspondent à ceux des dossiers dans l'ordre des expérimentations animales. En 1921, Ernest Fourneau, met au point un dérivé de l'arsenic à l'institut Pasteur : le Stovarsol. Ce dérivé est plus stable et se prend par voie orale. En 1934 le principe actif du Salvarsan, découvert en 1920 par Carl Voegtlin et Homer Smith, est introduit par le traitement de la syphilis sous le nom de Mapharsen. L'arrivée des traitements par sulfamides puis par antibiotiques a donné l'espoir de pouvoir éradiquer, sinon toutes, du moins les plus graves des MST, et jusque vers 1965, la diminution continue des nouvelles contaminations l'a laissé espérer.
L'organisation de l'information et de la prévention publique
Par le décret du 27 janvier 1920, Millerand crée le ministère de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociale, à la suite d'une pétition déposée à la Chambre des députés le 27 février 1919 par les associations de lutte contre les fléaux sociaux et les groupes parlementaires qui les représentent. La création de ce nouveau département résulte de la juxtaposition des services du ministère de l'Intérieur, notamment ceux de l'assistance et de l'hygiène, et de ceux du ministère de la Santé, et les services du ministère du Travail, en particulier ceux de la mutualité et de la prévoyance. Mais le ministère de l'Hygiène est peu doté et le ministère du Travail s'oppose au projet et refuse de débloquer les fonds nécessaires. Lorsque, en 1924, le ministère de l'Assistance, de l'Hygiène et de la Prévoyance sociale disparaît et est absorbé par le ministère du Travail, il n'y a plus de place pour le projet. Justin Godard, radical-socialiste déjà engagé dans la lutte contre les fléaux sociaux et M. Gunn de la Fondation Rockefeller élaborent un projet d'Office destiné à coordonner les activités des services d'hygiène et de santé publique. Le 4 décembre 1924, l'Office national d'Hygiène sociale est créé, sous la direction de Jules Brisac, ancien directeur de l'hygiène au ministère de l'Intérieur. Il marque l'institutionnalisation bureaucratique des fléaux sociaux, sous l'influence américaine, puisque les trois quarts du budget du nouvel Office sont consacrés à la lutte contre les maladies infectieuses. Les trois quarts du budget du nouvel Office sont d'origine américaine suite à l'implication de la Mission Rockfeller. Ce n'est que quatre ans plus tard que le budget français dépasse celui de la fondation philanthropique. L'objectif de l'Office était de "rassembler et mettre à jour la documentation sur la situation sanitaire de la France, " en inventoriant les documents relatifs à l'hygiène, aux maladies sociales et à leur prophylaxie ; d'assurer la coordination des efforts entre les pouvoirs publics et les organismes sociaux " Plusieurs services sont créés : Études techniques, Enquêtes départementales, Documentation et statistiques. Enquêtes, documentation et statistiques départementales. Les principales associations y sont représentées : la CNDT, la Ligue contre le péril vénérien, la Ligue nationale contre l'alcoolisme, le Comité national de l'Enfance, la Ligue contre le cancer... Mais la crise économique et les restrictions ont conduit à la suppression de l'Office le 4 avril 1934.
Syphilis et cinéma
Tout le temps où la syphilis s'est imposée comme fléau social, Le problème des médecins demeure l'ignorance de la population devant la menace qu'elle représente. Les campagnes d'information ne parviennent pas à la sensibiliser de façon déterminante. D'où le recours de plus en plus fréquent au cinéma : ce médium attire les foules et présente un réel potentiel pédagogique en présentant des agencements de vues réelles, de schémas animés et d'images microcinématographiques. Le Dr André Cavaillon, responsable au Ministère de l'Hygiène publique, spécialisé dans la prévention du péril vénérien, en est convaincu. Le film Il était une fois trois amis lui paraît exemplaire à ce titre, par l'efficacité de son exposé et son choix de la fiction pour le présenter : "Ce n'est pas uniquement le genre documentaire qui doit uniquement instruire le public. Il faut faire en sorte que le public soit presque inconscient qu'il est en train d'assister à un film d'instruction. Quoique des films dramatiques de ce type soient difficiles à faire, ils peuvent être faits, comme le prouve l'expérience (ainsi Il était une fois trois amis, œuvre du Dr Devraigne, chef de la maternité Laribosière, et de Benoit-Lévy.)" (Dr André Cavaillon, Le cinéma et les campagnes contre les maladies vénériennes).
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Non.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Oui.
- Animateur : Non.
- Voix off : Non.
- Interview : Non.
- Musique et bruitages : Non.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Le registre de la fiction permet de mettre en scène des personnages aux affects proches de ceux du public (d'autant qu'il s'agit d'un homme et d'une femme à égalité d'importance) et enveloppe le message sanitaire dans un récit édifiant.
La mer est la métaphore essentielle du Baiser qui tue, symbolisant les forces qui tour à tour accompagnent et menacent Le Goff, lui donnent son élan puis l'en détournent. C'est la vitalité qui permet l'initiative et l'exploit, et soumet dans le même temps à la pulsion charnelle.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
La scène où Le Goff consulte un Larousse médical disponible dans le local du fourrier indique que le savoir médical est disponible à bord. Les médecins interviennent tard ans le film étant donné que le réflexe de Le Goff, une fois qu'il se sait malade, est de les éviter pour garder sa réputation intacte. Le premier médecin auquel Le Goff a affaire est un médecin de campagne qui lui adresse un regard réprobateur quand il vient consulter son bébé malade (mais c'est une scène de rêve qui l'amène à imaginer le pire et à s'en prémunir une fois réveillé). Le second médecin est le médecin militaire qu'il finit par aller voir : celui-ci cherche à le déculpabiliser pour qu'il décide de se soigner de manière "assidue" et "contrôlée".
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
circuit des salles d'exploitants
Communications et événements associés au film
Public
tout public
Audience
Descriptif libre
Ouverture sur un fondu enchaîné dans un raccord axial montrant la substitution d'un crâne humain au visage d'une femme fardée. Ce plan inaugural est remontré plus loin dans le film (30:44). C'est le seul qui ne s'insère pas dans la chronologie des événements que le film raconte. Il est emblématique dans le sens où il condense le message général de celui-ci : la tentation sexuelle (visage fardé) expose à une maladie mortelle (crâne humain).
Scène d'exposition : le port, les amoureux, les pêcheurs, les marins
Carton "Sur la côte bretonne", panoramique vertical puis horizontal pour montrer un bassin portuaire avec des barques arrimées, et des habitations qui s'élèvent derrière. Des villageoises font la lessive, plan moyen sur l'une d'elles, carton : "la plus jolie fille de tout le pays...". Première manifestation de cette tendance du film à expliquer en toutes lettres ce qui devrait être mis en scène (par un dialogue entre villageois à son sujet, par ex.). Gros plan sur son visage souriant, affichant douceur et sérénité. Carton : "Anne-Marie Keradec - Melle Claude Harod". Raccord sur un homme qui grimpe les barreaux de l'échelle pratiquée dans le bloc du quai. Le public comprend que c'est son apparition qui suscite le sourire de Marie (difficile à justifier, l'homme n'étant pas à portée de vue de celle-ci). L'homme s'est hissé sur la jetée, il referme ses deux poings sur son garde-corps en considérant l'horizon. Carton : "Yves Le Goff - Georges Oltramare". Un carton plus loin indique que les pêcheurs comme lui sont cent mille en France et les trois quarts sont bretons. Quelques vues sur des barques à voiles maniées par des pêcheurs depuis la berge. Carton : "C'est à eux que la marine doit ses équipages". Vues sur un défilé de marins dans une cour de caserne, avec ces cartons laudatifs : "troupe admirable" et "l'une des meilleures qui soient au monde". Le Goff étant appelé dans la suite du film à servir dans la marine de combat, celui-ci indique que son parcours est représentatif des évolutions professionnelles qui prédominent dans son milieu. (02:40)
Le Goff corrige son rival
Allongé dans l'herbe, un enfant vêtu en marin, muni d'une longue vue qu'il pointe vers l'horizon. Carton : "le petit Pierre - Fabien Frachat". En contrechamp avec fermeture à l'iris, une barque qui avance. Plan de coupe sur Anne-Marie qui lui sourit pendant qu'elle continue la lessive : elle lui a demandé de guetter l'arrivée de son amoureux. "Il a trois amis : la mer, Yves Le Goff, Anne-Marie...". Encore le choix de mettre en mots ce qui devrait être montré, comme s'il fallait économiser la mise en scène des sentiments. Sur le quai, deux hommes adossés à un mur. Le visage de l'un d'eux affiche une expression hostile. Carton: "Kéméan - Pierre Chanot". Quand Le Goff passe devant lui, il adresse un hochement de tête significatif à son compagnon pour le prendre à témoin. Gros plan sur Le Goff : il pense que ce signe de connivence le met en cause. Il revient sur ses pas, demande des comptes à Kéméan. Cartons : "De qui parles-tu?" "D'une fille qui n'est pas pour toi." "Nomme-la!" Alternance de gros plans de l'un et de l'autre, le visage de Kéméan affichant de plus en plus l'appréhension qui le travaille à mesure que celui de Le Goff apparaît plus résolu dans sa colère. Plans de coupe sur les autres pêcheurs alertés, qui cessent leurs activités pour aller assister à l'embrouille qui s'amorce. Quand ils en viennent aux mains, Pierre pévient Anne-Marie qui emprunte sa longue vue pour suivre son évolution. Succession de plans de coupe (que des faux raccords) pour montrer les pêcheurs qui environnent les combattants, certains assistant à la scène. Une fois que Le Goff a maîtrisé son adversaire, d'un geste élégant il le prend dans ses bras et le jette à l'eau. Humiliation du vaincu qui doit nager jusqu'à la prochaine barque. "Il est au jus" commente Pierre, ravi. Sourire du vainqueur. Anne-Marie exulte. En l'aidant à porter le baquet à lessive, Pierre vante les mérites de Le Goff pour l'inviter à ouvrir son coeur. Le Goff les croise sur le chemin. Un filet de pêche pèse sur son épaule, sa victoire ne l'a pas distrait des tâches qui lui incombent. Il a le sourire modeste quand Pierre lui rappelle son récent exploit. Son expression change, ses traits se contractent, son regard fixe intensément le corsage d'Anne-marie, montré en contrechamp en gros plan. Désir d'elle, frustration d'une vie sans femme, les deux à la fois? Gênée, troublée, elle se reboutonne d'un geste vif et lui demande, avec un air préoccupé : "C'est donc vrai que tu pars demain au service?" "C'est vrai, pour deux ans!" Succession de champ et contrechamp mettant en jeu les visages d'un homme et une femme qui, en silence, s'avouent leur attirance mutuelle et expriment leur désarroi devant l'échéance imminente d'un départ en mer qui va les désunir. (08:20)
Insomnie et houle marine : le désir qui lie les amants
Le Goff continuant son chemin vers son logis, une maison au toit de chaume qui surplombe la mer, les cartons révèlent que c'est son ambition sociale qui l'a déterminé pour le grand départ : il veut entrer dans la marine militaire pour s'élever. "Mais ce soir là...", le visage d'Anne-Marie apparaît en surimpression de l'onde marine sur laquelle il s'apprête à voguer pendant son long voyage. Cette image mentale témoigne du dilemme qui le saisit. Pierre passant près de la maison, il lui demande d'aller de sa part dire à Anne Marie : "Rien!.." Avec un sourire entendu, Pierre lui répond qu'il va "faire votre commission". Anne-Marie dans la maison de sa famille, dîne avec sa mère - carton : "La mère d'Anne-Marie - Mme Thérèse Reigner". Elle lui dit que le père de Kéméan lui a appris que celui-ci voulait épouser sa fille, elle-même le considère comme un beau parti, deux inserts montrant tour à tour un navire à voiles et un logis à la couverture neuve. Sourire caustique d'Anne-marie : elle ne veut pas de lui. La mère réagit par une expression de désarroi. Pierre survenant pour rapporter à Anne-Marie le message personnel de Le Goff, il l'amène à lui confier l'amour qu'elle-même éprouve pour le pêcheur. Pierre, ici, joue le rôle habituellement dévolu aux servantes dans les pièces du XVIIe siècle : en plus d'être entremetteur, il joue le rôle du sage qui pousse les amants à assumer leurs mutuelle attirance. La séquence qui suit met en scène la passion charnelle qui les unit. C'est la nuit, Anne-Marie, en proie à son désir, se tourne et se retourne sans son lit. En montage parallèle, des plans de la houle marine qui symbolise l'onde érotique qui la traverse. Cette séquence annonce celle qui met en scène, dans L'Atalante que Jean Vigo réalise en 1934, Dita Parlo dans le rôle de la jeune Juliette, jeune femme séparée de son mari marinier. Renonçant à dormir, obéissant à sa pulsion, refusant de se résigner à la fatalité de la séparation, elle se lève pour rejoindre Le Goff que l'on voit apparaître en montage parallèle, préparant son sac. Gros plan sur le genou d'Anne-Marie qu'elle gaine d'un bas noir. Elle s'extrait discrètement de sa maison, chemine dans la nuit jusqu'à la porte de Le Goff. Quand elle lui apparaît, joli montage en staccato de Le Goff exalté, montré alternativement en plan moyen et gros plan. Il s'approche d'Anne-marie, ils s'embrassent dans une commune étreinte. Par ce passage explicite, Le baiser qui tue montre comment l'amour charnel saisit les corps et détermine les parcours. L'aube venue, la mère d'Anne-Marie tombe en pleurs devant le lit vide, aux draps froissés de sa fille. Elle survient et lui lance avec un air résolu : "Je me suis promise à Yves Le Goff, il m'épousera à son retour de service. Réaction de colère et d'impuissance de sa mère. (16:43)
Le Goff, marin exemplaire
Les débuts de Le Goff dans la marine militaire sont brillants. Affecté comme canonnier à Toulon sur le cuirassé La Provence, son zèle, son talent et son courage (il a sauvé son navire et son équipage en évacuant un obus mal amorcé) lui valent d'être promu quartier-maître directement par l'Amiral et le Ministre de la Marine. Anne-marie apprend la nouvelle de cette distinction par la presse, grâce à Pierre qui a découvert l'article qui la communiquait. Deux mains se posent sur ses épaules : ce sont celles de Le Goff qui, ayant bénéficié par-dessus le marché d'une permission, est allé la rejoindre. Leurs rendez-vous se multiplient pendant son séjour, toujours au bord de l'eau, en tête-à-tête. le retour à bord de Le Goff est l'occasion d'une série de plans vantant la puissance et la vélocité de La Provence, qu'un carton qualifie de "chef-d'oeuvre de surhumaine puissance", avec des panoramiques et des contreplongées sur le double canon dignes du Cuirassé Potemkine qu'Eisenstein a réalisé deux ans plus tôt. Le Goff avance dans la carrière marine avec, "toujours sous ses pieds, la houle comme un grand coeur indompté". La mer reste le site métaphorique du film, symbolisant les forces qui tour à tour accompagnent et menacent Le Goff, lui donnent son élan puis l'en détournent. C'est la vitalité qui permet l'initiative et l'exploit, et soumet dans le même temps à la pulsion charnelle. Carton indiquant la fin de la troisième partie (28:58)
Fatale tentation
La conjonction "cependant" par laquelle commence la phrase du nouveau carton indique une bascule dans le récit. Autre élément qui annonce la tragédie en cours : Anne-Marie ayant consulté une voyante lui annonce qu'elle va affronter "un drame". Comme Anne-Marie lui en demande la nature, pensant à un naufrage, la voyante lui décoche un coup d'oeil égrillard. Sur les cartes qu'elle a tirées chemine une mouche, signe de saleté et de putréfaction. Anne-Marie devine le danger auquel elle est explosée : son visage inquiet alterne avec ceux de prostituées montrées en surimpression de vues sur des villes portuaires. Le dernier plan, consistant en un fondu entre un gros plan sur un visage de femme et une crâne humain, figure au tout début du film comme le descriptif l'a précisé. Succession stroboscopique entre le plan du crâne et le visage angoissé d'Anne-Marie. Carton qui résume sa situation d'impuissance : "Et désormais, Anne-Marie ne vécut plus que par les lettres de l'absent et dans l'espoir de son retour". La tragédie prend aussitôt forme. Le Goff, assis dans un estaminet portuaire, entreprend d'écrire à sa fiancée. Au dehors, le racolage de la prostitution est montré par des allers et venues de jambes gaînées de soie, bientôt rattrapées par des jambes de pantalon blanc de marin. Dans l'établissement, une femme s'installe derrière une table et allume un cigare. Carton : "La fille - Mme Jeanne Lusardi". Son regard croise celui de Le Goff, elle lui adresse un sourire enjôleur et un hochement de tête significatif. Excédé de désir, irrité de l'être, Le Goff va auprès d'elle et lui arrache son cigare d'un geste violent. Une fois qu'il est revenu à sa table, la "fille" va le voir, s'assoit à ses côtés pour lui caresser la tête. Il se laisse faire avec un sourire gêné de petit garçon, fondu au noir enchaînée avec des vues de voiliers à quai pour signifier une ellipse. Au plan suivant, ils s'embrassent, au plan d'après, Le Goff, ivre, lâche un billet sur la table alors que la serveuse et la "fille" échangent des regards complices. (36:46)
Frustration et mélancolie : la vie à bord
La séquence qui suit, montrant l'équipage à nouveau réuni sur le pont, plongé dans l'écoute de l'accordéon que joue l'un de ses membres, est celle des regrets et des remords. Regrets pour les autres hommes qui pensent aux plaisirs auxquels ils ont été arrachés. Gros plans sur leurs visages à l'expression mélancolique, alternant avec des vues sur la mer fendue par le navire. Cartons d'une poésie torride empruntée à "L'étal" d'Emile Verhaeren (Les villes tentaculaires, Paris, 1920, p.168) : "La vague éveille en eux des images qui brûlent", "les baisers mous du vent sur leur torse circulent..." Encore cette métaphore marine du désir qui harasse la conscience. Le Goff, lui, est en proie au remords en repensant au plaisir dans lequel il s'est jeté malgré la ligne de conduite qu'il s'était édictée. Comme il lui est demandé de jouer autre chose, le marin à l'accordéon se lance dans une chanson égrillarde sur une "fille à marins". Le refrain "sa jar'tière n'tenait pas" fait l'objet d'un travail graphique sur les cartons qui entrecoupent une séquence montrant une jeune femme dansant avec frénésie. Un autre marin se joint à lui avec une batterie. Comme ils jouent ensemble avec entrain, des scènes montrant des danseuses de cabaret se superposent à des vues des flots marins fendus par le navire. La séquence interjette des plans montrant un auditoire composé de jeunes hommes que la frustration et le mal du pays ont rendu mélancoliques, le front fiévreux et l'expression pensive. Ils se répètent de loin en loin dans la séquence qui se conclut par la reprise des deux cartons de citation de Verhaeren. Par sa durée (plus de quatre minutes - 37:24 > 41:41), et sa composition esthétique soignée, ce passage insiste sur l'épreuve que la vie en mer leur fait endurer.
"Tempête sous un crâne"
Le Goff en gros plan, regard caméra : il se rappelle tour à tour comment il a contraint Anne-Marie à une étreinte forcée et sa nuit avec la femme prostituée. Plus loin dans la séquence revient l'association entre la mort et la relation sexuelle sans précaution : la jeune femme qui se penche sur lui pour l'embrasser devient, par un fondu enchaîné, un squelette ironiquement revêtu de la robe qu'elle portait (46:29). Une spectaculaire alternance de plongée et contreplongée montre tour à tour Le Goff gisant sur le trottoir quand il se réveille au petit matin et les pans de toits sur lesquels ses yeux se sont ouverts. Retourné à bord, alors que l'escale se prolonge, il se contraint à ne plus quitter le bateau en se portant volontaire pour aider le fourrier (l'intendant) à tenir son registre. Celui-ci, étonné, lui demande s'il "y a quelque chose". Dénégations de Le Goff. Mais le commentaire relaie l'interrogation du fourrier : "il y avait quelque chose!..". Pour désigner la syphilis, le commentaire emploie une périphrase : "la plus effroyable des maladies - et pourtant, combien guérissable!". Par cette formule, le film tient ensemble deux registres préventifs distincts : faire peur (pour dissuader de s'exposer à des relations propices à la contagion) et rassurer (pour inciter à se faire prendre en charge si la maladie est contractée). Consultant le Larousse médical rédigé par Galtier-Boissière (publié pour la première fois en 1917), rangé à propos dans les rayonnages du fourrier, Le Goff se rend à l'évidence. Pour métaphoriser l'évolution physique qui le menace, enchaînement d'un plan de navire en fonctionnement avec celui d'une épave. Suit une séquence pédagogique avec intervention de schémas animés et de plans montrant des malades de la syphilis ou leurs progénitures hérédo-syphilitiques (plans empruntés au film Une maladie sociale, la syphilis : comment peut-elle disparaître?, réalisé en 1926 pour les établissements Gaumont, avec le concours du Dr. Leredde). (51:36)
"C'est un cauchemar!"
Ici commence une longue séquence décrivant le rêve que fait Le Goff suite à sa lecture édifiante. Il imagine qu'il refuse les soins médicaux, et les conséquences funestes de son geste. Un collègue avec lequel il s'entretient dans un bar lui recommande de ne pas consulter de médecin afin d'être certain que la nouvelle de sa maladie ne s'ébruite pas parmi le voisinage d'Anne-Marie, et de s'en remettre à un charlatan auquel il a eu lui-même recours. Il lui fournit les coordonnées du soignant occulte. Revenu chez lui, Le Goff se marie avec Anne-Marie et s'engage dans un thonier, renonçant ainsi à la carrière militaire. Ses visites au bistrot se font de plus en plus fréquentes alors que son épouse, devenue enceinte, se plaint de fièvre et de maux de gorge. Le regard mélancolique, elle commence à déboutonner son corsage pour lui montrer les marques qu'elle a découvert sur sa poitrine. Le Goff prétexte alors l'obligation de "retourner à bord" pour la quitter aussitôt. Mais dans l'établissement, ses visions se substituent au spectacle qu'il a cherché à fuir de son épouse atteinte par la maladie qu'il lui a communiqué. Les pièces de monnaie qu'il aligne sur la table où il s'est installé deviennent les lésions d'une peau syphilitique, un poulpe s'agite sous le plateau où il a posé son verre. Quittant l'estaminet où il s'est conduit comme un ivrogne, il erre le long de la mer pour ne pas rentrer chez lui. Carton : "Il prit son foyer, il prit son travail, et lui-même en haine". La conduite inconséquente de Le Goff l'amène à détruire les valeurs qu'il s'était données : droiture, fidélité, dignité, responsabilité, ascencion par le travail. Nouvelle scène pathétique d'enivrement forcené dans l'estaminet. Un carton explique qu'il a choisi l'alcool comme refuge contre "les affres du remords et l'angoisse de l'avenir". Irruption de la mère d'Anne-Marie, elle s'adresse à lui en levant les yeux au ciel. Le Goff l'écoute avec irritation. Elle lui apprend que l'enfant est né. "Est-ce qu'il vit?" "- Bien sûr qu'il vit, imbécile!" Il quitte sa table avec réticence et sort avec une démarche d'ivrogne. Anne-Marie, alitée, est très faible. Elle lui tend les bras quand il vient auprès d'elle, mais il reste à distance. "Yves! Mon petit Yves!", sourire de madone et regard sans lumière alors qu'il s'est enfin agenouillé à son chevet. Il va prendre le nouveau-né dans le berceau où celui-ci était installé et l'apporte à sa mère pour sanctionner l'union retrouvée. Un carton prévient : "Courte joie, quelques temps plus tard..." Le Goff, Anne-Marie, et un homme qu'on devine être un médecin, penchés tous les trois sur le landau. Leurs visages sont préoccupés. Gros plan sur le bébé dont les jambes sont parcourues de lésions. Anne-Marie prend une attitude éplorée, Le Goff reste prostré, le médecin lève sur lui un regard soupçonneux. La séquence se conclut par une crise de démence dont Le Goff est la proie. Elle commence par l'évocation d'un tour en mer qu'il a fait pendant la journée : est-ce pour signifier qu'il est allé boire au café? En tous cas, il revient à la maison passablement saoul, et prenant la hache qui sert à débiter le bois pour se chauffer, il frappe les assiettes et verres disposés sur la table, perd l'équilibre, renverse la table et tombe dessus à califourchon. Les gros plans sur son visage au regard fou, la bouche grande ouverte, sont impressionnants. La gestuelle désarticulée, au point d'en devenir effrayante, et l'insistance de la mise en scène à la détailler rappellent la longue scène qui conclut Les victimes de l'alcoolisme, film Pathé que Ferdinand Zecca avait réalisé en 1902. Anne-Marie, effrayée, sort de la maison avec l'enfant dans ses bras et appelle au secours. Le Goff est maîtrisé, emprisonné dans un filet de pêche. Carton qui dresse le bilan : "le père, l'enfant aveugle, la mère malade et désespérée." (01:06:50)
Résolutions
Nouveau carton qui révèle que le dernier développement de l'histoire n'était que le fruit de l'imagination angoissée de Le Goff : "Quel dénouement imaginer à ce cauchemar? Il n'y en a pas, c'est un cauchemar!" La formulation joue sur le double sens de cauchemar, en tant que situation réelle ou vision onirique, toutes les deux à mêmes de susciter l'épouvante. Le cauchemar comme rêve, par l'intensité de ses représentations et par l'enchaînement logique de ses successions, devient le moyen de persuader celui qui en est l'objet à faire en sorte qu'il ne devienne pas réel. Le Goff, heureux et soulagé de s'être réveillé, se rend auprès du médecin militaire qui répond à ses confidences que "la syphilis n'est pas une "maladie honteuse". Il décide de raconter à Anne-marie sa passade et ses tragiques conséquences avant de se rengager. Cet aveu n'est pas sans conséquence sur l'état d'esprit d'Anne-marie. Il s'ensuit une très étrange séquence, onirique elle aussi, où elle affronte une amazone sous les traits de la femme dont le visage, dans la séquence sur les prostituées de Toulon, s'était mué en tête de mort. Le Goff est sauvé par son souci de respecter son serment. Son "ardent désir de guérir", affirme un nouveau carton, est cette fois satisfait par des "soins assidus et contrôlés". Le film ne se termine pas par une fin heureuse mais par la rencontre avec son ancien camarade qui lui avait conseillé de recourir à un guréisseur. Le voilà à présent affreusement défiguré, marchant sur des béquilles. La forme dont il se vantait devait ensuite se dégrader terriblement. Le Goff, ébranlé par cette rencontre, embarque sur un voilier dont il a la commande. Le bateau démarre, "suivi des yeux par le groupe sacré : la mère avec l'enfant". la silhouette d'Anne-Marie, vue de dos puis de face, leur enfant dans ses bras, se détache sur le bleu du ciel.
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Joël Danet