La journée d'un métallo (1968)
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Sommaire
Générique principal
Série animée par Jean-Pierre Escande / Émission de Madeleine Hartmann / Images de Georges Strouve, Jean-Marie Mabire, René Feix / Série animée par Jean-Pierre Escande.
Contenus
Sujet
Dans la série Les hommes dans leur temps, le suivi de la journée de travail d'un ouvrier spécialisé (OS) à Boulogne-Billancourt ainsi que de son temps libre.
Genre dominant
Résumé
Sur le mode du cinéma direct – caméra à l'épaule et sons d'ambiance -, le réalisateur accompagne un ouvrier pendant sa journée de travail à Billancourt ainsi qu'à son retour dans son domicile avant qu'il ne retourne à l'usine au petit matin. Nous prenons ainsi connaissance des différents aspects de son environnement de travail (pointeuse à l'entrée, fouilles à la sortie, atelier, vestiaires, réfectoire) et familial (souper, nuit, petit-déjeuner en compagnie de son épouse et de leur enfant.)
Contexte
Développement du procédé de la chaîne dans la production industrielle, au moment où celle-ci est appelée à s'intensifier dans un contexte de reconstruction nationale et de relance économique mondiale. En contrepartie, développement du militantisme socialiste qui s'empare des nouveaux moyens de communication pour interpeller l'opinion, notamment le cinéma (cinéma ouvrier, premières expériences de réalisations collectives avec les ouvriers). Avec les travaux de Georges Friedmann et Pierre Naville se développe la sociologie du travail qui analyse les évolutions de la condition ouvrière qu’imposent mécanisation et automatisation. Dans Problèmes humains du machinisme industriel paru en 1946, Georges Friedman analyse les "formes complexes de la fatigue, et plus particulièrement de la fatigue nerveuse, de plus en plus fréquentes dans les professions où l'attention est mise en joue par l'alimentation, la surveillance, le réglage des machines." (G. Friedman, Machine et humanisme, t. 2 - Problèmes humains du machinisme industriel, Paris, 1946, p.54). Plus loin, il aborde la notion de "fatigue industrielle" dont l'étude se développe pendant la Première Guerre mondiale "autour des industries d'armement tournant à un rythme accéléré". Friedman insiste sur l'insuffisance des temps de repos pour permettre d'affronter la succession des journées de travail. "La réparation apportée par les repos du jour et de la nuit n'est pas suffisante. L'équilibre n'a pas le temps de se rétablir chez l'ouvrier avant que la prochaine séance de travail vienne à nouveau exercer sur lui son action. Les réserves d'énergie n'étant pas récupérées, il s'ensuit un résidu d'effets généraux du travail, organiques et psychiques : la notion de fatigue résiduelle paraît pratiquement aujourd'hui la plus importante pour l'étude de la mécanisation." Il s'agit d'une "usure lente - organique et nerveuse - de l'homme par son travail." (G. Friedman, Machine et humanisme, p.79.). Cette "fatigue résiduelle" est mise en scène dans la séquence centrale de La journée du métallo, centrée sur le retour de l'ouvrier à son domicile après une journée de travail à l'usine.
Comme Daniel Libaud dans ce film, John Berger, dans son enquête sur les conditions de vie des "travailleurs migrants" insiste la nuisance sonore causé par les machines dans l'atelier de l'usine : "Frappant, battant, pressant, perçant, le cri des outils hydrauliques, le choc de la matière heurtant la matière, et une matière grinçant contre une autre. Il lui faut du temps pour s'accoutumer au bruit. Le bruit lui-même heurte et rape d'autres matières. Dans les résonances, il y a des rythmes si insistants que chaque écho est interrompu avant d'être terminé ; rien ne s'étouffe et rien ne commence. Si le bruit diminue ou si lui quitte l'atelier, cette interruption n'apporte pas la tranquillité parce que les mêmes rythmes insistants et brisés sont encore présents dans sa tête et puisqu'il les sent et ne peut rien entendre, c'est comme s'il devenait sourd. Ici, le silence est surdité. " - John Berger et John Mohr, Le septième homme - un livre d'images et de textes sur les travailleurs immigrés en Europe, Paris, 1976.
Cette évocation résonne intimement avec la séquence de La journée du métallo où l'ouvrier rentre chez lui au terme de sa journée de travail. Après avoir subi le bruit continu de l'atelier, il devient mutique quand il est chez lui, ne répondant qu'à peine aux interpellations de son épouse et de son fils.
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Non.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Non.
- Animateur : Non.
- Voix off : Non.
- Interview : Non.
- Musique et bruitages : Non.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
En prenant le parti de ne pas ajouter de commentaires ni de musique, en faisant l'économie de reconstitutions ou de scènes de plateaux, le film reprend la démarche du « cinéma direct » (cf. les réalisations contemporaines des frères Maysles et de Pennebaker aux États-Unis, de Jean Rouch en France). Ce courant documentaire, émergeant à la fin des années cinquante, consiste à tourner en immersion dans un milieu, responsabiliser le spectateur sur ce qu'il voit, à l'inciter à interpréter les différentes séquences prises sur le vif.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
Elles ne le sont pas.
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
Télévision scolaire
Communications et événements associés au film
Bulletin de la radiotélévision scolaire (RTS)
Public
Secondaire, classes de transition
Audience
Descriptif libre
En ouverture : grèves et manifestation
Pano plongée en PG sur les usines de Billancourt. Les bâtiments sont pris en écharpe par les fumées grises. Dans un local syndical, un meneur harangue les ouvriers. La foule des ouvriers défile sur le pavé des rues au chant de l'Internationale, sous une banderole intersyndicale. Cette séquence militante vaudra à ce film la censure de l'ORTF, le réalisateur ayant refusé de l'ôter. Dans le hall d'entrée, des hommes viennent pointer avant de rejoindre les vestiaires. Nous suivons les pas d'un ouvrier en particulier : un jeune homme mince, marchant droit, aux traits fins, les cheveux coiffés en arrière et gominés comme un teddy boy discret.
L’atelier : vacarme et gestes répétés
Scène de montage. Brouhaha des machines, suspendues à des rails, les pièces à monter circulent d'un atelier à l'autre. Un long travelling latéral nous montre la succession des sites de montage, au-dessus desquels pendent d'immenses horloges montées sur des panneaux sur lesquels sont inscrites des consignes préventives : « il est toujours l'heure de la sécurité. » Sortie d'usine, les sacs sont inspectés. C'est la nuit, le métallo salue les collègues avant de monter dans la voiture de l'un d'entre eux. Sur le périphérique, ils échangent à propos de la lutte syndicale en cours. Ce sont des paroles brèves et indistinctes. C'est ainsi dans la globalité du film : l'intérêt n'est pas de comprendre les différents propos, mais d'en saisir, par un mot ou l'autre, la teneur, et surtout, le ton avec lequel ils sont énoncés, ton morne, rigolard, las. La conversation enchaîne avec les modes de transport pour se rendre à l'usine. « Je n'ai jamais pu faire un trajet en métro de Billancourt à Nation sans dormir. » Cette phrase témoigne incidemment de la fatigue au travail, thème essentiel du film, quoique non affiché. L'ouvrier entre dans un immeuble de rapport haussmannien.
À la maison, mutisme et fatigue
Chez lui, la soupe est déjà prête. Un baiser rapide sur les lèvres de l'épouse, une tape gentille sur la joue du garçon de huit ans : « Tu as été sage à l'école ? » L'enfant lui demande à son tour si sa journée s'est bien passée. L'ouvrier marmonne ses réponses. Un sentiment de mélancolie nous saisit alors, auparavant assourdi par le vacarme de l’atelier, la vitesse du travail, le va-et-vient des pièces à usiner. Chez lui, le repas, le coucher s’accompagnent d’une conversation rare. Les comportements sont affectueux, mais déprimés par une lassitude liée à la difficulté de laisser derrière soi les tensions causées par l’environnement mécanique et son rythme trépidant. Cette séquence résonne avec les observations du Dr Moulin, dans « La chaîne », sur les « troubles nerveux » auxquels le travailleur à la chaîne peut être sujet : « Les travailleurs soumis à une cadence très rapide présentent un état de fatigue physique et psychique, avec une sensation de lassitude profonde, d'anéantissement, de tête vide, s'accompagnant de troubles de la tension, de la mémoire, de difficultés à suivre une conversation. Ces signes ne cèdent guère au bref repos, et le congé hebdomadaire reste à peu près sans effet. » Par son absence de commentaire et de musique, « La journée d'un métallo » nous rend attentifs à la nuisance particulière que causent les bruits. La bande-son laisse s’épanouir la rumeur continue de l’atelier auquel l'ouvrier est soumis quand il est à la tâche. Le soir venu, dans son domicile, le silence qui règne laisse penser qu'il a intériorisé les sons subis pendant journée, au point de vouloir en ajouter le moins possible. C’est un des aspects de la « fatigue industrielle » étudiée par Georges Friedmann : « L’ouvrier abruti travaille comme un automate, il a perdu conscience de toute activité cérébrale et le bruit annihilant l’être humain, le livrant tout entier au milieu mécanique, fait de lui, dans le vacarme de l’atelier, une chose parmi les choses. » La séquence tournée au chevet du lit de l'ouvrier et de son épouse, au moment où ils s'endorment, est traversée de plans d'ateliers en pleine activité. C'est une façon de nous rappeler que l'usine tourne continuellement, nuit et jour. Cette insertion vise également à nous suggérer que l'ouvrier en rêve la nuit, qu'il ne peut jouir d'un vrai repos puisqu'il rejoint mentalement le lieu de travail et se replonge dans son ambiance pénible.
Retour à l’atelier, chaîne sans fin
Dans « Les travailleurs » (film CNDP), Pierre Naville, ayant rappelé que le principe de la chaîne, mis au point par l’ingénieur Taylor, consiste à obtenir le rendement maximum par l’élimination des temps morts et des mouvements inutiles, ajoute que ce principe omet de tenir compte de la personnalité de l’ouvrier et de son rythme biologique. L'ouvrier de « La journée d’un métallo », dont le corps est agi par les machines, ou livré à une inertie mélancolique, semble porter les stigmates de cette négligence. De retour dans l'atelier, dans la mêlée des pièces suspendues, tournoyant autour des hommes. L'ouvrier explique en voix off en quoi consistent les différentes tâches dont il doit s'acquitter chaque jour. Il parle de moteur, de vilebrequin, de balance et de mesure. On ne comprend rien. Il est évident que la priorité du film est de dépeindre les conditions de la chaîne, bien plus que de nous expliquer techniquement l'une de ses étapes - celle dont l'ouvrier est responsable. Séquence de réfectoire, un moment de sociabilité ouvrière. Les rapports sont cordiaux, mais brefs. De retour à l'atelier, les hommes semblent avoir renoncé à parler. Les bruits s'ajoutent aux bruits.
Notes complémentaires
Jean-Pierre Escande : Jean-Pierre Escande a passé l'essentiel de sa vie professionnelle à animer le CNDP (Centre national de documentation pédagogique), où il a produit nombre de séries éducatives. Ancien élève de l'Idhec, ce passionné de cinéma avait aussi écrit trois romans remarqués, tous publiés chez Arléa : Roi étranger visitant l'Exposition universelle (1989) Mémoires de l'enfant B. (1990) et Rue Marie-Rose (1991). (cf. Libération du 14 juillet 1997)
Madeleine Hartmann-Causset : réalisatrice de fictions engagées. Notamment « Les dunes » en 1973, avec l'assistance technique de Nestor Almendros : « Les vacances déshumanisantes et mécanisées de quelques bourgeois français » (fiche BIFI) ; « Je parle d'amour » (1979) avec Marie Dubois, « Du côté des tennis » (1983) avec Marie-Christine Barrault.
Références et documents externes
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Joël Danet