La géographie des visites
La vue de la route depuis l'intérieur d'une voiture. Au caducée qui apparaît sous le rétroviseur, nous devinons que c’est celle d’un médecin. Par les vitres latérales, nous voyons les dernières rues d'un bourg, puis les haies d'arbres qui bordent une route de campagne. La voiture s'arrête aux abords d'une ferme. C'est une 2 CV : voiture de famille et économique. Un homme en descend, accueilli par deux femmes âgées dès la haie qui enclot la cour. Un signe de reconnaissance : en les saluant, il leur pose sa main au haut de la poitrine. La consultation se déroule dans la cuisine. La conversation est familière, sans façon. L'ordonnance est rédigée sur un coin de table, à laquelle succèdent un billet et quelques pièces posées par les femmes. Avant de remonter dans son modeste véhicule, le médecin demande des nouvelles « du petit dernier » et les deux femmes l'engagent à venir voir les derniers nés de la basse-cour. La 2CV repart, cut, elle va se garer dans la cour d'une cité. Le médecin souffle au moment de gravir les dernières marches de l'escalier qui mènent à de petits appartements. Cut. Le médecin sonne au portail d'une belle demeure en meulière. Nous constatons ainsi la diversité sociale de sa clientèle. Pour sa part, conduire une 2 CV indique la modestie de son rang et son désir de ne pas ajouter de l'ostentation à sa présence. La bonne de la maison vient ouvrir, le médecin se rend au chevet d'un petit garçon au sourire timide. ITW. Il fume le cigare, assis à une table sur laquelle repose le nécessaire à pastaga. Il est replet, des rouflaquettes s'élargissent sur ses joues rebondies. « « Les visites, je les fais le matin. Dans une petite ville de province, on va chez tout le monde, à la ville, à la campagne, chez l'ouvrier, chez le bourgeois. De toute façon, le prix est le même pour tout le monde. » Allusion à la mise en place récente de la Sécurité sociale. Il en fera d'autres tout au long du film.
Consultations, accueil des visiteurs médicaux, travail d’équipe
Le médecin se rend dans son bureau qui jouxte les locaux d'un centre de transfusion sanguine qu'il dirige. En compagnie de sa secrétaire, lecture du courrier et séance de parapheur. « Le métier est extrêmement dur. Quand je rentre, il est tard. Je n'ai pas le courage de lire les revues médicales. » Il compense ce manque d'information en accueillant des groupes de visiteurs médicaux, hommes en noir, tous munis d'une mallette, avec lesquels les échanges sont cordiaux. À noter que dans la plupart du film, les paroles sont très difficilement intelligibles, d'une part parce que la technique du son synchrone est récente, d'autre part parce que le courant du cinéma direct dans lequel le film s'inscrit donne priorité à la captation des comportements dans leur spontanéité sur le contenu des conversations. Le médecin insiste sur les conditions difficiles du métier. La restructuration de la santé doit alléger la charge de travail du généraliste afin de lui permettre de mieux assumer les responsabilités qui lui sont associées, notamment le suivi de ses patients. ITW : « Le progrès moderne, c'est l'association. Ça permet de ne pas être tout le temps au bout du fil. » Scène de consultation. Nous retrouvons le médecin bonhomme, qui met à profit la longue durée de ses relations avec ses patients pour instaurer un climat de confiance et d'intimité lors des séances. Ici, un couple âgé d'une soixantaine d'années. L'épouse a apporté des fleurs. De même, c'est elle qui parle, alors que c'est le mari qui est malade. Elle décrit les symptômes, rappelle ses antécédents de santé. Le mari hoche de la tête, marmonne son approbation en lançant un regard interrogatif (GP) au médecin hors champ.
Partenaire de l’hôpital
« Quelquefois, on a un beau malade. C'est alors qu'on appelle le spécialiste. Mais il faut garder en main le malade, ne pas l'abandonner à l'hôpital. Notre rôle est en quelque sorte celui d'un chef de gare. » Une belle séquence au chevet d'un malade sous perfusion, soigné à domicile. La fiole apparaît en premier plan, dans la perspective d'une image de la Vierge accrochée au-dessus de la tête de lit. Le médecin insiste sur les contraintes du métier et sa nécessité dans le dispositif global de prise en charge : « Le téléphone est une sujétion désagréable, mais nécessaire. Partout. Au restaurant, chez soi... Mais les vraies urgences sont rares. Nous sommes moins savants que nos collègues hospitaliers. Mais nous gardons un contact suivi avec le malade, nous connaissons mieux son histoire. » Ces propos renvoient aux contenus du Doctor B (Ben Park, MoMa) et de Un médecin de campagne (André Canténys, CNDP, 16 mm).