Introduction : l'urgence au cœur de la nuit
Ext. Nuit. Quelque part dans la ville, un homme appelle d’une cabine téléphonique. « Allô, accident dans la rue X… » Un homme se réveille dans sa chambre, se lève sans tarder. Dans une salle de veille, une équipe se prépare. Il s'agit d'un pré - générique. Tous les cartons du générique se posent en transparence sur le plan d'un couloir dans lequel une infirmière avance progressivement. Le film est sans commentaire. Les séquences qui vont suivre s'enchaînent sans cohérence narrative, à ceci près qu'on y retrouve quelques personnages qui vont constituer un discret fil rouge, à la manière de M. Hulot dans un film de Jacques Tati. Ainsi le médecin qu'on a alerté se rend à présent dans une chambre accompagné de son équipe. Dans un laboratoire, préparation avec des éprouvettes. Deux médecins s'approchent d'une fenêtre pour comparer des clichés radiographiques à la lumière du jour. Une cloche sonne. Une plaque indique : « pédiatrie ». La caméra compose avec l'exiguïté des locaux, comme cette pièce où une mère a amené son enfant : c'est par un panoramique tronqué qu'il apparaît, étendu sur un lit. Un plan sur un conseil de médecins se fond avec un autre plan sur un cours dispensé à des enfants par l'un d'eux.
L'intendance, les visites
Préparation des repas en série sur des théories de plateaux.« Alors Pierre, tu ne manges rien? » demande une voix hors champ à un enfant qui s'inquiète de l'opération qu'il va subir. L'infirmière entre dans le champ pour lui promettre la mer à sa convalescence. Une musique symphonique fait brusquement irruption dans la bande-son jusque là uniquement constituée de sons d'ambiance. Une séquence touristique vante les agréments du séjour en sanatorium en montrant des paysages marins, des parcs verdoyants, des terrasses baignées de soleil, des routes de campagne qui promettent les charrettes à foin et les calèches d'autrefois. Retour à la grisaille sans concession de l'hôpital. Escalier, bruits de voix. La maman de tout à l'heure reste au chevet de son enfant. Les cloches reprennent au moment où l'on entre dans la salle des revues. « Mesdames, la visite est terminée », dit une voix hors champ.
Mise en scène de l'hôpital : un point de vue artistique qui joue sur l'architecture et le temps
eux sur les couches de vitres formées par des portes placées dans le même axe, celui d'un couloir rectiligne. L'image se disloque, imitant en caméra subjective le regard d'un patient qui observe sa chambre à travers le cul de son verre à eau. Toutes les occasions de tirer un parti formel des éléments présents dans l'hôpital semblent bonnes à saisir. Mais c'est aussi la transcription, quoique fugitive, de la manière dont un patient peut affronter le temps qui passe. Dans la mise en scène des soins, l'accent est mis sur la délicatesse et la précision des gestes, comme ces infirmières qui bandent un bras. À la préparation d'une opération chirurgicale dans le bloc opératoire succède la stérilisation d'appareils dans un autoclave. Ainsi, les espaces se confondent, le montage est mosaïcal si bien que le spectateur renonce à trouver ses repères. Il comprend qu'il ne s'agit ni d'un récit, ni d'un exposé didactique lesquelles exigeraient du montage un continuum. En revanche, les plans sont parfaitement architecturés, ils saisissent avec précision le déroulement des gestes, situent soigneusement les hommes et les équipements dans chaque espace donné. La priorité que se donne le film est donc de rendre compte d'un foisonnement d'activités de précision étiré sur un flux incessant de temps. Il ne s'agit pas de donner à comprendre les éléments complémentaires d'une chaîne de travail, mais d'évoquer la multiplicité et la complexité des tâches qui coexistent sous le même toit. D'ailleurs quand la cloche sonne à nouveau, cette fois au moment où des laborantins manipulent sur des paillasses, elle n'exprime pas seulement l'écoulement des heures mais l'unité d'espace dans lequel le film évolue, ce qui permet à la mise en scène d'économiser les plans d'ensemble afin de nous engloutir dans l'intérieur de l'hôpital, de nous balancer d'un étage à l'autre, de nous perdre dans ses escaliers et ses couloirs.
Rappel à la réalité : témoignage du directeur
Le directeur de l'hôpital répond à un journaliste : « Nous avons donné la priorité à l'équipement pour faire face aux problèmes de plus en plus exigeants posés par la technique médicale. Nous avons réaménagé nos locaux en attendant de nouvelles constructions. Nous faisons un excellent travail grâce à un équipement moderne. Prenez comme exemple notre service de maternité... »
Une narration en boucle
De nouveau, des travellings lents, fluides parcourent les couloirs de l'étage des chambres. Raccord sur la chaîne des tâches dans une buanderie. Poésie des draps qu'on sèche, plie et repasse tour à tour, amenés sous forme de ballots par des rails. Cette séquence, d'un grand soin formel, rappelle les tentatives de films comme « Toute la mémoire du monde » d'Alain Resnais (sur la BN) ou « Berlin, Symphonie d'une grande ville » de Ruttmann, qui tirent parti de l'architecture d'un lieu pour aboutir à un cinéma musical. Piscine, salle de musculation. C'est le soir. De nouveau l'étage des chambres. Une infirmière s'alarme : le malade de la chambre 10 vient de faire une chute de tension. Elle appelle le médecin de garde. À l'aspect de la chambre où il se réveille, à ses gestes vifs au moment où il se prépare, on comprend que c'est le même médecin que celui du début du film, ou plutôt, que tous les médecins de garde ont cette même réactivité quand on les sollicite, logeant dans des locaux identiques, dans lesquels ils restent à la disposition des usagers de l'hôpital.