Combat Fatigue Irritability (1945)
Espaces de noms
Plus
- Plus
Actions de la page
Si vous rencontrez un problème d'affichage des sous-titres, veuillez essayer un autre navigateur.
Sommaire
Générique principal
UNITED STATES NAVY TRAINING FILM
RESTRICTED
P. S. L. 1945
COMBAT FATIGUE IRRITABILITY
Contenus
Thèmes médicaux
- Risques professionnels. Santé et hygiène professionnelle
- Traumatismes. Lésions. Blessures
- Aspects divers de la maladie, du patient et de l'intervention médicale
- Séméiologie générale. Symptomatologie. Signes et symptômes. Examens. Diagnostic. Propédeutique
- Psychiatrie. Pathologies psychiatriques. Psychopathologie. Phrénopathies. Psychoses. Anomalies mentales. États psychiques et mentaux morbides. Désordres émotionnels et comportementaux
Sujet
Par un récit qui met en scène un soldat atteint psychologiquement suite à un épisode guerrier dans l'archipel des Philippines, on voit la prise en charge au sein de l'armée des États-Unis du syndrome de stress post-traumatique contracté au combat.
Genre dominant
Résumé
Un sous-marinier, Bob Lucas, se retrouve dans un service de psychiatrie de la Navy suite au naufrage de son sous-marin. Il souffre d'"irritabilité par épuisement au combat" (inclus aujourd'hui dans le syndrome de stress post-traumatique). En l'obligeant à mettre des mots sur les émotions contradictoires (peur, soulagement d'être sorti du sous-marin, culpabilité concernant ses camarades décédés dans l'attaque, etc.) qu'il a ressenties lors de ce naufrage et à les accepter, un groupe de parole animé par un psychiatre lui permettra de se sentir mieux, de faire preuve de moins d'irascibilité et de retrouver des relations sociales satisfaisantes.
Contexte
Dans l'entretien qu'elle a accordé à la United States National Library of Medicine,Reflections On Gene Kelly's 1945 Film Combat Fatigue Irritability le 12 février 2014 et dans la conférence qu'elle a donnée la veille devant les membres du Board of Regents of the US National Library of Medicine et des Friends of the NLM (disponible sur YouTube), la fille de Gene Kelly, Kerry Kelly Novick, a raconté que son père avait voulu s'engager dans l'armée américaine très tôt pendant la Seconde Guerre mondiale parce que son meilleur ami, Dick Dwenger, y avait perdu la vie. Cependant, comme il était sous contrat avec des studios de cinéma, il avait dû se contenter de faire des visites à des soldats blessés dans des hôpitaux, de participer à des spectacles pour les distraire et de participer à des tournées de promotion des war bonds (obligations de guerre). Finalement, au bout de deux ans et demi, il s'engagea dans la Navy et a fut envoyé dans un camp d'entraînement à San Diego. Ensuite, il fut posté au Naval Photographic Science Laboratory de la base navale d'Anacostia à Washington, DC (renommé the US Naval Photographic Center en 1947, ce laboratoire fut la seule unité de production de films de formation de la Navy, films animés compris, pendant la Seconde Guerre mondiale). Gene Kelly y réalisa Combat Fatigue Irritability et participa au tournage d'autres films de formation comme acteur, narrateur et peut-être réalisateur. Deux de ses films auraient pour titre Mission Completed et Battle Stations. D'après sa fille, il a également participé à un film sur le démontage et le remontage d'un film.
Dans le magazine Movie Show de juin 1946, Gene Kelly a expliqué que pour pour préparer Combat Fatigue Irritability et trouver du "matériel authentique" (authentic material), c'est-à-dire connaître la vie des soldats atteints d'épuisement au combat, il a passé quelques semaines au Swarthmore Convalescent Hospital à Philadelphie (dans le New Jersey).
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Non.
- Images en plateau : Non.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Non.
- Animateur : Non.
- Voix off : Oui.
- Interview : Non.
- Musique et bruitages : Oui.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Pour éveiller l'intérêt des spectateurs, le film fait appel à un acteur dont la carrière a commencé à prendre de l'ampleur depuis quelques années : Gene Kelly. En effet, il a débuté à Broadway dans la comédie musicale Leave it to me en 1938 et a été véritablement remarqué dans Pal Joey en 1940. Il a tourné For Me and My Gal avec Judy Garland en 1942, film dont le succès et les critiques positives lui ont valu une certaine notoriété. En 1944, il a tourné Cover Girl avec Rita Hayworth. Le succès en a été retentissant. Son film suivant, Escale à Hollywood avec Frank Sinatra, lui a valu d'être nommé pour l'Oscar du meilleur acteur. On notera qu'avant de jouer dans Combat Fatigue Irritability, Gene Kelly avait déjà tenu des rôles de soldat, par exemple dans Thousands Cheers' (1943), Anchors Aweigh (1945) et The Cross of Lorraine (1945).
Ce film repose beaucoup sur la parole : les interactions au sein du groupe de parole, le long récit de sa permission fait par le héros et les enseignements du médecin. Tous ces discours livrés tels quels pourraient vite devenir très ennuyeux pour le spectateur. Pour éviter cet écueil et soutenir l'attention du spectateur, plusieurs flash-back de longueurs diverses émaillent le film. Le plus long d'entre eux correspond au moment où le héros raconte aux participants du groupe de parole ce qui lui est arrivé pendant sa permission. Cette séquence est bien évidemment beaucoup plus vivante que s'il se trouvait juste assis sur sa chaise en train de parler. Elle permet aux spectateurs de se représenter ce qui est arrivé au héros, de percevoir les émotions de tous les protagonistes et éventuellement de s'identifier à eux ou d'éprouver de l'empathie pour eux et finalement d'intégrer le message du film.
Dans le même ordre d'idées, on remarque que le médecin qui anime le groupe de parole est assez actif physiquement : il se lève, s'assied, fait le tour de son bureau, s'adosse à une fenêtre, va jusqu'au fond de la salle, allume une cigarette, la fume puis l'écrase, etc. Il échappe ainsi à une position statique, ce qui contribue à dynamiser le film.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
Les soignants (auxiliaire sanitaire, psychiatre) sont à la fois fermes et bienveillants. Ils n'hésitent pas à avoir recours au contact physique (généralement une main sur l'épaule ou dans le dos) pour encourager ou réconforter un patient.
Le médecin fait venir le héros dans son bureau pour l'encourager à s'exprimer au sein du groupe de parole car c'est pour lui la clé de son rétablissement. C'est quelqu'un qui n'a pas peur d'affronter et de travailler sur les émotions. En réalité, c'est même l'une des clés de sa thérapeutique : c'est en faisant émerger, par la parole, les émotions ressenties par le patient lors de l'événement traumatique à l'origine de ses symptômes et en l'obligeant à les affronter qu'il entend le soigner. Cette conception relève de la théorie psychanalytique.
Le film révèle une dimension supplémentaire : le bien-être réside dans l'inscription dans un groupe social. Pour le matelot, il s'agit de se sentir uni au reste de l'équipage en comprenant que toutes les tâches, aussi modestes soient-elles, concourent au bien et parfois à la survie du groupe. Pour le civil (au moins pour ce qui est des hommes), il s'agit d'être en relation avec ses pairs et de concourir d'une façon ou d'une autre à l'avancement de sa communauté.
Les différents soldats bénéficient de prises en charge variées (médicaments, entretiens individuels avec le médecin, entretiens informels avec les auxiliaires sanitaires, groupes de parole, ergothérapie, activités sportives, etc.)
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
Locaux militaires.
Communications et événements associés au film
Public
Soldats de l'US Navy
Audience
Descriptif libre
Le titre du film, Combat Fatigue Irritability, se superpose à des cadrans qui étaient probablement reconnaissables pour les destinataires d'origine du film (soldats de l'US Navy). Il s'agit de cadrans qui se trouvaient dans la salle des machines des sous-marins. (On apprendra plus tard que le héros devait garder les yeux rivés sur eux en permanence et que cela lui posait problème.)
Heures de repos dans un service de psychiatrie de l'armée
Int. jour. Dans l'une des salles d'un établissement hospitalier militaire, deux rangées de lits se font face à face. De jeunes hommes couchés sur les lits ou assis entre les lits discutent de façon indistincte. Un auxiliaire sanitaire apporte un médicament à un patient couché en lui expliquant que le médecin a dit que cela le soulagerait. Le patient avale le cachet sans enthousiasme et sans croiser le regard du soignant. Il se recouche, le regard dans le vide. Des photos de son épouse et de ses enfants sont posées sur sa table de nuit.
Travelling sur l'une des rangées de lits, ce qui permet d'avoir un aperçu de la diversité des patients présents dans la chambrée : deux d'entre eux lisent des magazines, un autre est immobile sur une chaise et garde les yeux baissés, deux soldats bavardent. Nouveau plan sur deux hommes qui jouent aux cartes. Le premier est plongé dans ses réflexions, le second s'impatiente. Un auxiliaire sanitaire vient le chercher car le docteur Bush demande à le voir. Le soldat, Lucas, jure et jette ses cartes sur le lit avant de se lever et de suivre l'auxiliaire. (01:40)
Entretien entre le soldat Lucas et le docteur Bush
Le médecin commence par proposer une cigarette à Lucas, probablement pour le mettre à l'aise. Lucas refuse, le médecin s'en allume une. Il explique qu'il a remarqué que Lucas ne s'exprimait pas pendant les séances de groupe de parole. Lucas est assis les bras croisés. Il regarde le médecin en coin, d'un air maussade et légèrement agressif. Il lui répond de même, mais de façon assez laconique. Le médecin lui fait remarquer que les autres "vident leur sac" (get a few things off their chests) pendant ces séances et qu'il doit bien se rendre compte que cela leur fait du bien. Ensuite, il l'interroge sur le navire sur lequel il se trouvait : le Montandan qui a été coulé par une torpille japonaise dans l'archipel des Philippines. Le médecin demande à Lucas de confirmer qu'il était bien chauffeur sur le Montandan. Vexé, Lucas répond qu'il l'est toujours, ce que le docteur Bush concède d'un air un peu gêné. Lucas explique sur un ton de reproche que son travail est difficile, mais que personne ne le comprend, ce qui l'agace beaucoup. Bush suggère que certains (en réalité, il parle de lui-même) le comprennent. Lucas exprime ses doutes sans détour, les bras toujours croisés d'un air de défi. Flash-back qui permet de se rendre compte visuellement de la situation dans laquelle Lucas travaillait sur le Montandan : équipé d'un gilet de sauvetage, il devait en permanence garder les yeux rivés sur des cadrans et ajuster quelques valves. Il explique en voix off combien la température (plus de 50°C) augmentait la pénibilité de la situation. Son visage luit de transpiration. Il se plaint de ne jamais voir venir le danger, contrairement aux matelots postés sur le pont supérieur qui ont beaucoup plus de liberté de mouvement. Toujours sur un ton agressif, il décrit un grand sentiment d'impuissance qui s'exprime par des brûlures d'estomac et des tremblements des mains. Raccord sur ses mains qui tremblent, ce qui permet de revenir à son entretien avec le docteur Bush. Il se lève en s'exclamant que cela ne lui ressemble pas (this isn't me, Doctor!) Bush l'interroge sur ce qu'il a ressenti quand il s'est retrouvé dans l'eau. Lucas affirme en haussant la voix qu'il s'est senti content d'être sorti de ce trou, comme n'importe qui l'aurait été à sa place. Bush le contredit : tout le monde n'aurait pas forcément eu ce sentiment et il faut que Lucas l'accepte. Il lui fait aussi remarquer que son soulagement n'a probablement pas duré longtemps. Après quelques instants, Lucas se rassied et admet qu'il a eu l'impression d'avoir laissé tomber ses camarades. Dans un enchaînement logique un peu difficile à suivre, le médecin lui explique que tout le monde sur le navire éprouvait de la peur, un sentiment normal au combat, mais que contrairement aux autres, il refusait d'accepter sa peur, tentait de la combattre et a fini par la laisser le contrôler. Selon lui, il faut maintenant que Lucas accepte son sentiment de culpabilité et qu'il réussisse à le vaincre en apprenant à gérer la peur que tout soldat éprouve normalement au combat. C'est le seul moyen de se débarrasser de ses réactions hargneuses, de ses brûlures d'estomac et autres manifestations désagréables. Une alternance de champ/contre-champ montre tour à tour le visage énergique du médecin qui essaie de convaincre son patient par un discours logique et celui de Lucas qui garde les yeux baissés et se montre réfractaire à ces arguments, même s'il répond poliment "Yes, Sir." (06:03)
Renforcement du message du médecin par un autre soignant
L'auxiliaire sanitaire qui était venu chercher Lucas le raccompagne dans son dortoir. Lucas lui rapporte ce que le médecin lui a dit et ce qu'il en pense lui-même : ce n'est pas la peur son problème. L'auxiliaire sanitaire reprend le discours du médecin, mais avec des mots plus simples, des parallèles avec sa situation personnelle et une plus grande proximité physique (il pose une main sur l'épaule de Lucas puis s'assied à califourchon sur une chaise au pied du lit du matelot). Il insiste sur l'importance du rôle de chacun au sein de l'armée, même lorsqu'il s'agit de quelque chose d'aussi banal que "tourner une petite valve", pour pouvoir tous ensemble "rosser l'ennemi" (Together, we're giving the ennemy a hell of a licking). Lucas donne alors une information supplémentaire : lorsqu'il est revenu à terre, il n'allait pas trop mal. C'est la vision du personnel administratif, qu'il appelle des "tire-au-flanc" (shining their pants, goldbricking), qui a déclenché l'état d'agacement et d'agressivité perpétuel dans lequel il se trouve actuellement. (07'40)
Flash-back: l'incident de la file d'attente
Lucas se souvient que seulement deux heures après son arrivée dans une caserne américaine, ses camarades et lui ont été forcés de se disperser alors qu'ils attendaient l'ouverture de la petite épicerie du lieu. Il a voulu protester, mais il s'est trouvé en butte à l'intransigeance du soldat qui leur demandait de partir. De même, il se rappelle d'autres souvenirs qui lui ont donné l'impression d'être mal traité ou de se heurter à des incohérences : un soldat lui a demandé de redresser son béret parce qu'il fallait rester "discipliné à bord" (This is a taut ship), expression imagée qui l'a fait réagir de façon agressive et moqueuse parce qu'ils ne se trouvaient pas réellement sur un bateau à ce moment-là ; une comptable a refusé de lui verser son salaire pour des raisons administratives alors qu'il s'apprêtait à partir en permission. Dans les trois cas, Lucas a ressenti une énorme colère par rapport à ce qu'il a perçu à la fois comme l'inertie du système, la mauvaise volonté de ses interlocuteurs et l'énorme décalage entre leur attitude et la réalité de la guerre.
Toujours dans ce flash-back, Lucas raconte à un camarade combien il se réjouit de pouvoir bientôt partir en permission. Il exprime l'espoir d'être réaffecté sur un navire après cela. (09'32)
Groupe de parole
Plan poitrine sur Lucas qui se plaint de nouveau des "tire-au-flanc". On distingue un soldat à côté de lui, un autre dans le fond, ainsi qu'une chaise vide. La caméra dézoome. Une douzaine de soldats en tout sont assis sur trois rangées de chaises dans une pièce qui ressemble à une salle de classe. On reconnaît deux des patients du début du film. Le docteur Bush est assis au bureau, comme un maître d'école. La plupart des soldats ont les yeux baissés. Seul Lucas dirige occasionnellement son regard vers la personne qui parle. Tous ceux qui interviennent expriment une forte hostilité contre les civils qui "ne les comprennent pas" et se font "porter pâle si souvent".
Plan poitrine sur le médecin qui leur fait remarquer combien ils sont de mauvaise humeur (irritable) ce matin. Il explique que cela leur fait perdre le contact avec autrui, mais surtout que leur haine des civils et des marins à terre est un symptôme de leur maladie. Ce faisant, il se lève et s'assied sur un coin du bureau, réduisant ainsi la distance physique avec les patients. Pour lui, il faut que chacun trouve la cause de ses symptômes, en lien avec une peur normale, nécessaire, mais mal gérée et toujours présente en eux. L'un des patients demande pourquoi ils ne peuvent quitter l'hôpital, ce qui leur permettrait d'oublier la vie militaire. Pour répondre à cette question, le médecin demande à Lucas de raconter comment s'est passée sa fameuse permission de 30 jours. Lucas explique que sa permission était nulle (lousy) et que sans elle, il ne serait pas retrouvé coincé dans cet hôpital. (11'45)
Flash-back : la permission de Lucas
Dans cette séquence, le spectateur apprend le prénom de Lucas : Bob. Lucas arrive chez lui en train. Ses parents et sa fiancée, Sue, l'attendent sur le quai de la gare. Retrouvailles joyeuses et émues. Ils ne s'étaient pas revus depuis plus de deux ans. Pendant le dîner, en tout point conforme à ce dont Lucas avait rêvé depuis tout ce temps, les parents se réjouissent que tout soit redevenu "comme au bon vieux temps" (just like old times, just like it used to be). Lucas se fige alors un court instant. Manifestement, cette réflexion le trouble. Mais il se lève de table vivement comme pour évacuer cette émotion et remercie sa mère sur un ton humoristique : "Excellent frichti, Maman. Presque aussi bon que celui de la Navy" (That sure was some chow, Mum. Almost as good as Navy chow). Toute la famille passe au salon. Les parents parlent du rationnement, notamment en essence, qui les oblige à limiter leurs déplacements et leur complique la vie. Il semble que le responsable du comité de rationnement ait refusé un passe-droit à M. Lucas père en raison d'une vieille rancœur (c'est du moins l'explication qu'en donne M. Lucas). Gros plan sur le visage de Lucas qui essaie de maîtriser son trouble et de faire preuve d'empathie. Il commence probablement à éprouver le sentiment d'hostilité envers les civils dont il est question dans le groupe de parole (voir plus haut). Ce sentiment naît à la fois de l'impression de décalage qu'éprouve Lucas par rapport à sa famille et de son incapacité à exprimer ce qu'il a vécu et ressenti lors de l'attaque de son sous-marin. Les soucis des civils lui paraissent ridicules et anodins. (13'40)
Mme Lucas exprime de nouveau son bonheur de revoir son fils assis près de Sue. Cette fois-ci, Lucas lui répond de façon assez vive que c'est la dixième fois qu'elle le dit. Mme Lucas et Sue le regardent d'un air surpris et baissent les yeux. Sue veut changer de conversation et annonce que Burt Haskins, manifestement un de leurs amis, vient de rentrer. Lucas demande s'il est en permission. Sue répond qu'il est rentré d'Allemagne puis baisse les yeux, gênée. Il y a manifestement quelque chose qu'elle ne dit pas. Lucas s'en rend compte, mais l'interprète mal. Il accuse sa famille de le traiter comme un étranger. Sa mère est choquée, mais son père admet qu'il leur ait un peu étranger (Maybe you're right. You are a bit of a stranger) parce qu'il a beaucoup voyagé et qu'il a vu "des tas de choses qui [leur] sont inconnues". Cette phrase accentue le décalage entre les deux hommes parce qu'ils ne lui attribuent pas le même sens. M. Lucas père n'est probablement pas loin de se représenter la vie de son fils comme celle d'un touriste qui a la chance de découvrir toutes sortes d'endroits exotiques. Pour Lucas lui-même, ces "choses inconnues" sont plutôt les difficultés et les horreurs de la guerre, ainsi que le naufrage qu'il a vécu même si, à ce stade du film, le spectateur n'a encore que très peu d'informations à ce sujet.
Après quelques instants où les parents se vantent des changements que la ville est en train de connaître et de la présence d'une grande usine de production de tanks à proximité (la guerre semble avoir un impact positif sur leur communauté et lui amener une certaine prospérité), ils interrogent Lucas sur ce qu'il a vécu pendant ses 18 mois en mer et sur le naufrage. Il commence par leur répondre sur un ton calme, mais la naïveté de leurs questions et son impossibilité à parler de cette expérience passée le mettent en colère. En hurlant, il leur ordonne de se taire et quitte la maison. La honte l'envahit, ses mains tremblent, son estomac est en feu. En voice over, il explique qu'il n'a pas compris pourquoi il avait ces manifestations désagréables sur le moment, mais que maintenant il le sait. Le docteur Bush lui demande des précisions. "Ça m'a fait repenser à ces satanées valves. Je me suis retrouvé tendu comme un arc. (...) la terreur m'aveuglait." Le médecin précise que cette terreur est un élément important (That being scared is certainly part of it.)
Lucas marche dans la neige pendant longtemps sans arriver à mettre de l'ordre dans ses émotions. Il ne se comprend plus lui-même, il ne comprend plus sa famille et il est persuadé que c'est réciproque. Il ne voit plus qu'une issue à la situation : se saouler. Comme il est le dernier client du bar ce jour-là, le barman a envie de bavarder et lui pose de nombreuses questions. Cette séquence permet au spectateur d'avoir la confirmation que Lucas a effectivement beaucoup voyagé : "zone continentale", Afrique, Pacifique. Cependant, la conversation tourne court parce que Lucas pense que le barman se moque de lui. Il l'agresse physiquement, mais le barman a le dessus et le jette dehors, dans la neige, en lui recommandant d'aller se réconcilier avec sa famille ou sa bonne amie. Cette séquence contient l'un des messages importants du film à l'adresse des soldats : "si vous vous sentez mal et en décalage avec votre entourage, l'alcool ne résoudra rien."
Lucas rentre chez lui en titubant et va se coucher. Ses parents sont déjà au lit mais encore réveillés. L'incompréhension et l'inquiétude se lisent sur leur visage. Sur leur lit, un quilt en patchwork à blocs Nine-Patch et Lemoyne Star contribue à suggérer une atmosphère douillette et des valeurs familiales traditionnelles. Gros plan de six secondes sur le visage troublé de Lucas. (19'45)
Dans les jours suivants, la moindre contrariété fait réagir Lucas avec violence. Il manque notamment de patience avec les petits frères de Sue. Il ne se sent bien qu'avec ses copains revenus de la guerre. Le mystère qui entourait Burt Haskins est éclairci. Ce dernier a perdu un bras en Allemagne, mais la famille de Lucas n'a pas voulu le lui dire pour le "ménager" (They thought they'd spare my feelings). Dans un bar, Lucas discute avec trois copains de lycée (dont Burt) revenus de la guerre ou en permission. Ils prévoient de louer un local pour créer une sorte de club (d'anciens combattants) où ils pourraient "discuter, avoir un bar, organiser des fêtes" (shooting the breeze, have a bar, throw parties) lorsqu'ils seront plus nombreux à être rentrés. Cette séquence peut être rapprochée de l'une de celles du film Assignment Home (09'37) où le médecin propose à Henry de prendre part au club qu'il anime tous les mercredis pour discuter de ce qui pourrait être fait pour faire progresser leur communauté (Henry, we’ve got a little local club around here that meets every Wednesday night. A bunch of the fellows get together and discuss plans to improve the community. Like to have you come over.) L'objectif de ce genre d'initiatives est de reprendre des relations sociales et de se conduire en membre actif de sa communauté. (20:45)
Dans une église, Lucas, ses parents et Sue assistent à un service religieux ou à un concert. En voix off, Lucas explique que "ça ne collait plus" entre Sue et lui (We couldn't hit it off anymore), sauf quand ils n'avaient pas besoin de parler. Effectivement, tant qu'ils sont dans l'incapacité de discuter à l'église, ils échangent des regards complices et se tiennent la main. Les parents de Lucas le remarquent et se regardent d'un air attendri et heureux. Le choix du poème chanté par les deux solistes, The Glories of Our Blood and State, extrait de la pièce de théâtre The Contention of Ajax and Ulysses de James Shirley (1596-1666), surprend dans un film militaire et paraît assez subversif, dans la mesure où il dénonce la vacuité des exploits guerriers et les souffrances liées à la guerre. La fin de la deuxième strophe en particulier (elle n'est pas chantée dans le film) résonne d'une façon particulière par rapport au thème de l'épuisement au combat : their strong nerves at last must yield ("Finalement, leurs nerfs solides doivent céder.").
En revanche, lorsque Lucas et Sue se retrouvent en promenade à l'extérieur, ils ont du mal à se comprendre. Sue se remémore des souvenirs de lycée, notamment la demande en mariage de Lucas. Il lui reproche d'avoir mis du temps à accepter. Sue explique qu'ils étaient trop jeunes à ce moment-là, mais il regrette le temps perdu : ils pourraient être déjà mariés. Sue pense que la guerre ne durera plus très longtemps et que tout redeviendra comme avant. Ce n'est pas l'avis de Lucas qui lui rappelle avec un peu d'agressivité que leur ami Burt ne pourra plus venir nager avec leur bande comme avant la guerre. Les deux jeunes gens se disputent. Sue a besoin de s'accrocher à son point de vue pour garder espoir alors que Bob est douloureusement conscient du fait que lui-même ou l'un de leurs camarades pourrait ne pas revenir de la guerre. Sue lui demande de se reprendre (You've got to get hold of yourself) et lui fait remarquer que depuis son retour, il n'a pas arrêté d'être brusque avec elle (eversince you've been home, you've been snapping at me). Effectivement, il lui répond d'un ton désagréable qu'elle a changé puis la laisse plantée là en lui disant qu'il veut rester seul. Dans un commentaire en voix off issu du récit qu'il fait aux autres membres de son groupe de parole, il explique qu'il ne s'est jamais senti aussi mal de toute sa vie, mais qu'il ne savait pas quoi y faire. (23:48)
Dans les jours qui suivent, Lucas tourne en rond chez lui. Son père lui propose d'aller chasser pour lui changer les idées. Au début, la sortie se passe très bien. Il y a toujours beaucoup de neige. Bob se remémore de bons souvenirs, il est content du fusil qu'il possède et il apprécie de se promener dans la nature avec son père. Il se sent revigoré. Lorsqu'ils arrivent dans la forêt, M. Lucas dit à Bob de rester dans cette zone pendant qu'il tâchera de rabattre du gibier. Bob rit à une plaisanterie de son père puis fait quelques pas. Musique guillerette sur ce passage. M. Lucas rabat un lapin vers son fils. Ce dernier l'aperçoit et tente de mettre l'animal en joue, mais il se met à trembler et se retrouve incapable de tirer. Il jette son arme à terre, reproche à son père de l'avoir emmené chasser et quitte les lieux en jurant. Plan large sur le paysage enneigé qui a perdu son caractère idyllique et paraît presque hostile.
M. Lucas emmène son fils chez le médecin. Celui-ci "dit quelque chose à propos de ses nerfs" (he said something about my nerves) et contacte la Croix-Rouge qui à son tour contacte la Navy. (26:05)
Un effondrement salutaire
Retour au groupe de parole : Lucas a fini de raconter sa permission et les événements qui ont mené à son hospitalisation dans un service de psychiatrie de la Navy. Il interpelle le soldat qui avait dit au médecin qu'ils iraient tous bien mieux si on les laissait rentrer chez eux en lui recommandant de ne pas essayer de rentrer tant que son état ne se sera pas amélioré.
Le voisin de droite de Lucas ne comprend pas pourquoi ce dernier s'est mis dans un état pareil pour un lapin, étant donné qu'il n'a jamais participé au moindre combat et n'a donc jamais eu besoin de tirer. Le médecin interroge Lucas à ce sujet, mais le matelot se trouve dans l'incapacité de fournir une explication. Le docteur Bush lui demande de raconter encore une fois le torpillage de son sous-marin. Cette demande surprend Lucas qui se met à trembler. Lorsque le médecin lui demande comment il s'est senti une fois dans l'eau, il s'énerve car il l'a déjà dit cent fois. D'une voix forte et en serrant les mâchoires, il explique qu'il s'est senti soulagé d'être sorti de ce bateau. Le docteur Bush insiste. Selon lui, Lucas a dû ressentir encore autre chose. Finalement, Lucas fond en larmes. En effet, peu de temps après avoir compris qu'il était sain et sauf, il s'est aperçu que nombre de ses camarades étaient en train de mourir autour de lui. Les autres soldats détournent le regard. Lucas s'effondre sur sa petite table. Le médecin s'avance vers lui et pose ses mains sur l'une de ses épaules et sur son dos. Il prononce des paroles de réconfort et fait remarquer qu'il faut beaucoup de courage pour affronter des souvenirs pénibles. Il emmène Lucas dans une pièce de consultation attenante. Il le fait s'allonger sur le lit d'examen, lui explique qu'on ne peut pas faire ressortir des émotions compliquées et profondément ancrées sans douleur (you can't dislodge deep-seated, sensitive feelings without hurting) et lui fait prendre un calmant en lui disant que tout va être plus facile pour lui à partir de ce moment. Il lui enjoint de se reposer, lui promet qu'ils reparleront de cette séance quand il se sentira mieux et tire le store pour que Lucas puisse dormir. (28:41)
Il faudra en passer par là pour guérir
Le médecin retourne dans la salle où est réuni le groupe de parole. Ses explications occupent toute la fin de ce film. Il commence par une mise au point : Lucas vient de faire preuve de beaucoup d'énergie et de courage et cette crise va lui faire du bien. Certains patients relèvent brièvement la tête, mais la plupart gardent les yeux baissés. Manifestement, le fait que Lucas se soit retrouvé dans une situation de vulnérabilité les a mis mal à l'aise.
Une petite musique de fond démarre doucement et va s'amplifier jusqu'à la fin du film.
Pour le docteur Bush (filmé en pied au début de cette séquence), la recette est simple : quels que soient ses symptômes, quel que soit l'endroit où il s'est battu, chaque patient doit avoir une prise de conscience similaire à celle Lucas, faire remonter ses souvenirs pénibles à la surface et les affronter. Plan-poitrine sur le médecin. Son regard va d'un soldat à l'autre. Il interpelle Clemens et lui demande s'il comprend à présent la réaction de Lucas devant le lapin. Clemens ne lève pas les yeux et répond de façon laconique et d'une voix faible. Le docteur Bush explique le mécanisme du flash-back lié à un traumatisme : l'image du lapin s'est effacée et Lucas a revu ses camarades en train de mourir dans l'eau autour de lui. L'un des patients a une soudaine prise de conscience : il a ressenti la même chose lorsque son copain est mort. Le médecin confirme. Manifestement, ce patient vient de faire un pas vers la guérison.
Le docteur Bush revient sur le cas particulier de Lucas en se déplaçant dans la salle. Il s'agissait d'un jeune homme enjoué, apprécié dans sa petite ville, quelqu'un qui pourrait tenir un commerce florissant (en un mot, un Américain ordinaire). Flash-back montrant Lucas dans la salle des machines du sous-marin, l'air excédé, agité et inquiet. Le médecin explique que les 18 mois que Lucas a passés en mer n'avaient rien d'exceptionnel. Le problème, c'est qu'il ne s'est jamais senti uni aux autres membres d'équipage. Il s'est toujours considéré comme un peu à part, avec des velléités un peu floues de réaliser un acte héroïque au lieu de simplement accomplir les tâches qui lui ont été confiées et qui contribuaient à la bonne marche de l'ensemble du sous-marin. Il a alors ressenti deux d'émotions fortes : la frustration de ne pas pouvoir accomplir un coup d'éclat et la peur. Ce passage est à rapprocher d'une séquence du film [[1]] (17:39-19:24) où le quartier-maître Kelly explique qu'au lieu de faire diligemment ses corvées de nettoyage, il lui arrive souvent de rêver qu'il est un espion qui s'introduit subrepticement dans le palais de l'empereur du Japon pour l'assassiner. Dans cet exemple aussi, l'exploit individuel nuit à l'ensemble de l'équipage (en l’occurrence à son bien-être sanitaire) puisque le nettoyage des sols est négligé.
Retour sur le docteur Bush dont le regard continue à passer d'un patient à l'autre. Lucas croyait qu'il pourrait se libérer de sa peur en accomplissant une action héroïque, sans comprendre qu'un acte individuel risquait de mettre tout l'équipage en danger.
Nouvelle reprise d'un flash-back : Lucas dans l'eau après le naufrage, le visage serein, soulagé d'être sorti de la salle des machines. Mais le flash-back continue. Lucas s'aperçoit tout à coup de l'état de détresse de ses camarades. Il se met à pleurer et plonge la tête dans l'eau pour échapper à cette vision probablement cauchemardesque. La musique devient plus sombre. (On notera que le spectateur ne voit pas les matelots en détresse. Ce sont les expressions faciales de Lucas et le commentaire du docteur Bush qui lui font comprendre la situation.)
Retour sur le médecin avec un plan plus large. Il est adossé à une fenêtre. Il explique que Lucas s'est senti coupable d'avoir voulu quitter le sous-marin, comme si ce souhait avait causé le torpillage et donc le décès des autres matelots. Le docteur Bush répète alors un principe qu'il a déjà énoncé plusieurs fois : la solution réside dans le fait d'accepter ces différentes émotions, de les comprendre et de les contrôler (What he should do is to accept these feelings, understand them and discipline them.). L’irascibilité perpétuelle de Lucas vient de son incapacité à gérer ses émotions de la sorte. Au début, cette stratégie lui a réussi : il est resté calme en surface. Puis il a commencé à devenir agressif : flash-back sur l'incident avec le matelot qui lui a demandé de redresser son béret, sur celui de la comptable, sur son agressivité par rapport aux membres de sa famille. Or l'effondrement de Lucas pendant le groupe de parole l'a transformé. Il a commencé à comprendre que son mauvais caractère reposait sur des sentiments de culpabilité et d'indignité qu'il a retournés en imaginant que tout le monde lui en voulait. Le cadre se resserre autour du médecin. À présent que Lucas et les autres patients ont compris ces mécanismes, ils vont pouvoir appliquer leurs nouvelles connaissances à des activités constructives : ergothérapie (Lucas et d'autres travaillent dans un atelier de menuiserie, ce qui va leur permettre de gagner un peu d'argent et de se concentrer sur un travail concret tout en résolvant leurs problèmes mentalement) et exercice physique (chahut à la piscine). Debout au fond de la salle, le docteur Bush s'avance et passe devant le bureau. Il se tourne pour se placer face caméra. Plan resserré sur son visage et ses épaules. Ses yeux sont grand ouverts, attentifs et bienveillants. Son ton est calme et ferme. Désormais, ce n'est plus aux patients de son groupe de parole qu'il s'adresse, mais aux soldats de la Navy à qui est projeté le film. Il reprend le message essentiel du film : tous ces symptômes signalent quelque chose de plus profond qu'il faut découvrir et résoudre pour s'en libérer.
Musique forte et triomphale sur le carton de fin.
Notes complémentaires
Sur le site Medical Movies on the Web, Combat Fatigue Irritabillity est analysé par Michael Sappol de l'History of medecine Division de la National Library of Medicine. Titre de l'article: Gene Kelly's unknown wartime star turn. https://www.nlm.nih.gov/hmd/collections/films/medicalmoviesontheweb/combatfatigueessay.html (consulté le 9 juillet 2018).
On notera les similitudes entre ce film et https://medfilm-prod.app.unistra.fr/w/index.php/The_N.P._Patient : les dortoirs des soldats sont identiques (avec notamment les "palmiers" derrière les vitres) et on retrouve un certain nombre d'acteurs (Lauren Gilbert dans le rôle du médecin, l'auxiliaire sanitaire et deux patients : Clemens et celui qui a une discussion avec l'un de ses camarades sur le paludisme au début du film).
Dans l'interview qu'elle a donnée à la National Library of Medecine le 12 février 2014, Kerry Kelly Novick dit quelques mots sur Combat Fatigue Irritability (transcription de cette interview disponible sur la fiche Medfilm).
Références et documents externes
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Élisabeth Fuchs, Ivan Melnik
- Transcription Anglais : Nicolas Guechi
- Sous-titres Français : Élisabeth Fuchs, Nicolas Guechi