Ballet sur un thème paraphrénique (1963)

De Medfilm



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Titre :
Ballet sur un thème paraphrénique
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Conseil scientifique :
Interprétation :
Durée :
33 minutes
Format :
Parlant - Couleur - 16 mm
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Commanditaires :
Archives détentrices :

Générique principal

Sandoz présente

Conseiller médical : Didier-Jacques DUCHÉ Interprétation : Odet ARCAMBOT Chorégraphie : Arthur PLASSCHART Décors : Michel DARMONT, Jean CAILLON, Françoise ARNOULD, Michèle BERTRAND, Michelle LEBRETON Maquillage : Hagop ARAKELIAN Montage : Annie CHOLLET Enregistrement : SIS Images : Pierre FOURNIER Régie : Albert LUZUY Réalisation : Eric DUVIVIER Une production SCIENCEFILM

Contenus

Sujet

Représentation visuelle et sonore des hallucinations d’une femme atteinte de paraphrénie.

Genre dominant

Film de recherche

Résumé

Une femme, internée dans un hôpital psychiatrique, relate à son médecin, muet et de dos, les multiples épisodes psychotiques dont elle a fait l’expérience. Ils sont mis en images à travers une suite de séquences où la jeune patiente évolue, dansante comme dans un ballet, au sein de décors que l’on pourrait qualifier de surréalistes. Dans un mouvement de va-et-vient entre récit-cadre et récit enchâssé, le film présente différentes situations supposées représenter les délires paranoïaques symptomatiques de la paraphrénie.

Contexte

Le film dans l'oeuvre de Duvivier

Ballet sur un thème paraphrénique, réalisé en 1962 par Éric Duvivier, s’inscrit dans une série de collaborations entre sa société de production ScienceFilm et la Cinémathèque Sandoz, alors sous la direction de René Chatain, Maurice Lantiez et Michel Breitman (Lefebvre 2014, 394-395). Il fait partie de la large série de films —une soixantaine— dédiés aux troubles psychiatriques et neurologiques que Duvivier produit entre 1950 et 1970 (Bonah 2019, 144). Comme Le monde du schizophrène (Duvivier, 1961) ou Concerto mécanique pour la folie (Duvivier, 1963), Ballet sur un thème paraphrénique se caractérise par la place importante accordée à l’expérimentation formelle. Se démarquant explicitement du cinéma médical à visée exclusivement pédagogique produit à l’époque, il s’agit ici « d’un film de psychiatrie et de psychopathologie subjective utilisant à la fois les ressources du cinéma traditionnel et des trucages complexes et surréalistes » (Bonah 2019, 142).

La collaboration de Didier-Jacques Duché, psychiatre

Comme nombre des productions de Duvivier, le film est le produit d’une collaboration étroite avec le corps médical, en l’occurrence ici, le professeur Didier-Jacques Duché, psychiatre français spécialisé dans les troubles psychopathologiques de l’enfant et de l’adolescent. Ayant déjà collaboré avec Duvivier sur Le monde du schizophrène, Duché apporte une crédibilise le contenu du film auprès des sociétés pharmaceutiques qui financent les films et du public de professionnels à qui le film est en large partie destiné. En ce sens, Ballet sur un thème paraphrénique est un exemple paradigmatique du système mis en place dans la période de l’après-guerre qui voit trois groupes à priori étrangers les uns aux autres — l’industrie pharmaceutique à la recherche de publicité, des cinéastes expérimentaux à la recherche de financement et des médecins à la recherche de visibilité — unir leurs forces dans un projet commun et profitable à chacun (Bonah 2023, 702).

Imprégné par l’approche psychologisante et l’attention particulière portée aux récits des patients eux-mêmes qui caractérise le film médical dans la décennie précédente (Berton 2023 ; Bonah 2023, 692), Ballet sur un thème paraphrénique est marqué par une volonté évidente d’exprimer formellement l’expérience intérieure d'une patiente souffrant de paraphrénie. Comme l’explique Lea Petříková, « cette proximité étroite avec les sujets représentés, malgré leur maladie » semble en effet « typique du travail de Duvivier et du thème psychologique des films de Sandoz en général» (2019, 176-177). Partant de l’idée que « c’est par les formes que s’exprime la folie et [que] c’est dans les formes […] qu’il est possible de la lire » (Pic 2020, 83), Duvivier tire avantage des développements esthétiques proposés par les avant-gardes artistiques des décennies précédentes afin d’offrir au public l’expérience imaginée et imagée de la paraphrénie. En ce sens, il participe d’un mouvement cinématographique dont le but serait « l’objectivation d’une subjectivité, mais encore, plus précisément, la transmutation filmique des représentations données dans le film lui-même comme internes » (Château 2019, 77), par une série de transvisualisations des hallucinations relatées par la patiente à son thérapeute. Qui plus est, même s’il montre un intérêt évident pour l’expérience individuelle de la patiente, Ballet sur un thème paraphrénique atteste aussi d’une ambition artistique plus grande : dépasser le domaine du film médical traditionnel et se rapprocher du champ plus directement cinéphilique du film d’art et d’essai. À ce titre, il est intéressant de noter le nom de la compagnie de production créée par Duvivier avant ScienceFilm — Films Arts et Science — qui déjà supposait le désir du réalisateur de mêler cinéphilie et médecine.

Le marché des psychotropes

Cette ambition artistique de Duvivier se développe en parallèle et en collaboration avec celle de Sandoz qui, à cette même époque, entre dans une période d’ouverture du marché psychopharmacologique aux drogues dites psychotropiques. Le résultat de ce nouvel intérêt pour les médicaments psychotropes dont l’effet principal est de « stimuler l’inventivité formelle à une époque où la science est devenue attentive aux phénomènes de la perception » (Pic 2020, 65) peut être observé tant dans le graphisme de la revue Panorama/Sandorama, éditée par Sandoz, que dans ses productions cinématographiques. On peut notamment penser à Images d’un monde visionnaire (1963), directement inspiré « des écrits et dessins mescaliens et haschichiens du poète Henri Michaux » (Lefebvre 2014, 398), ou encore Concerto mécanique pour la folie (ou folle métamorphose), créé en collaboration avec le musicien Jacques Higelin.

Mettant directement en scène ce qu’Arnold M. Ludwig propose d’intituler en 1966 les « états modifiés de conscience » (« altered state(s) of consciousness » en anglais) (Ludwig 1966, 225), ces productions Sandoz, dont Ballet sur un thème paraphrénique fait intégralement partie, s’offrent comme des tentatives tant scientifiques que cinématographiques de ce que Dominique Château appelle « la représentation d’un monde mental » (2019, 77). Représentatif de la confluence entre renouveau scientifico-commercial du milieu psychiatrique (Pic, 2020, 65) et ambitions artistiques marquées, Ballet sur un thème paraphrénique illustre à merveille le caractère unique de la période que Thierry Lefebvre désigne comme « l’âge d’or du film médical », âge qui prendra fin « au début des années 1980, avec la montée en puissance du marketing et de la publicité qui finiront par absorber les services des relations publiques » (Lefebvre, 2011, 141).

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Non.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Non.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Non.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Non.
  • Musique et bruitages : Oui.
  • Images communes avec d'autres films : Non.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

Le film est structuré sur la base d’une alternance entre un récit cadre — la patiente alitée narrant ses expériences à son médecin — et la mise en images de ces dernières. Le décor de la situation enchassante est minimaliste. Tourné en studio, il se veut relativement réaliste. Les différents récits enchâssés, en revanche, mobilisent une iconographie plus clairement surréaliste et psychédélique qui marque sa différence tant au niveau du décor que de la mise en cadre (à travers l’utilisation, notamment, de techniques de surimpression, de caches et de fondus enchaînés) et de la mise en scène (jeu d’acteur exagéré, effets spéciaux pratiques, etc.). Le film est organisé selon une structure en deux temps : le récit est d’abord énoncé en voix in par la patiente, puis transvisualisé, cette fois sans paroles et avec l’ajout de musiques extradiégétiques tirées de compositions préexistantes (comme le générique nous l’informe, aucune musique n’a été produite spécifiquement pour le film). Par l’absence d'explications scientifiques supplémentaires, et par sa double structure (narrative, puis visuelle), le film invite son audience à s’identifier à la patiente et à partager de manière indirecte son expérience de la paraphrénie.

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

La représentation du corps et du milieu médical est limitée au récit-cadre. Ainsi la chambre dans laquelle la patiente narre ses différentes expériences ressemble à une chambre d’hôpital psychiatrique d’époque (lit monoplace blanc en métal, murs austères et barreaux à la fenêtre). Le médecin ne parle jamais. Son rôle est donc limité à celui d’auditeur et fait ainsi écho à celui de l’audience du film, dans ce récit-cadre du moins, puisque le public a par la suite accès aux visualisations dont le médecin n’est évidemment pas témoin.

Il n’est nulle part indiqué que le film se base sur un authentique témoignage, comme c’est le cas avec Autoportrait d'un schizophrène (1978) par exemple, ou s’il s’agit plutôt d’une libre interprétation de la pathologie thématisée. Néanmoins, le film s’appuie sur certains archétypes associés aux recherches psychiatriques et psychanalytiques. On y retrouve ainsi la toile d’araignée, symbole onirique chez Karl Abraham (1922), la figure du double ou Doppelgänger chère à Otto Rank (1914), l'énucléation présente chez Freud, ou la notion de « bon sein » développée par Melanie Klein dans son ouvrage La psychanalyse des enfants (1932). Aussi, on peut légitimement penser que les situations mises en scène sont de l’ordre de l’invention. De plus, l’apparence de la patiente, comme son expression, répond elle aussi à un certain nombre de codes esthétiques tirés d’une part de la représentation traditionnelle de la folie féminine au cinéma (Berton, 2016; 2023) et d’autre part de l’iconographie chrétienne, notamment dans la gestuelle extatique de la patiente qui n’est pas sans rappeler celle de L'extase de Sainte Thérèse du Bernin.

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Séances promotionnelles organisés par l’industrie pharmaceutique à destination du corps médical ; séances sponsorisées par les laboratoires, mais organisés par Duvivier lui-même ; circuits indépendants traditionnellement réservés au cinéma expérimental ou d’art et essai (Bonah 2023, 689-690).

Les conditions exactes de diffusion du Ballet sur un thème paraphrénique restent malheureusement en grande partie incertaines. Une mention dans le journal espagnol Arbor en 1964 indique que le film semble avoir été projeté à l’Aula de Cine de la Escuela Oficial de Cinematografia (Cours de cinéma de l'École officielle de cinématographie) en compagnie d’un autre film de Duvivier, Le monde du schizophrène. Il est aussi fait mention du film dans les revues Journal of Psychosocial Nursing and Mental Health Services (jan. 1965) ainsi que dans le journal Mental Hospitals(juil. 1965), deux publications états-uniennes.

Le film a été récemment diffusé en 2021 au Ji.hlava film festival dans le cadre d’une programmation intitulée Pharm'n'Films: Psychedelic Sandoz qui regroupe deux films de Duvivier — Ballet sur un thème paraphrénique et Images du monde visionnaire — ainsi que The Burning Ear (1970) du réalisateur états-unien Edd Dundas.

Communications et événements associés au film

Public

Corps médical, mais aussi public cinéphile.

Audience

Descriptif libre

Introduction

Le film est structuré par un va-et-vient entre  : un récit-cadre prenant place dans un unique espace ressemblant à une chambre d’hôpital dans laquelle une jeune femme (la patiente) narre un rêve, une vision ou un souvenir à un homme (le médecin) ; une série de récits enchassés ou « tableaux » qui matérialisent ou traduisent visuellement et acoustiquement le contenu de cette narration. Tantôt la patiente est en interaction avec le médecin, tantôt elle livre une narration quasi somatique de ses expériences.

Récit-cadre

Le film s’ouvre sur une séquence présentant une femme habillée d’une blouse blanche de patiente et alitée dans une chambre sombre au carrelage noir et blanc qui évoque un damier d’échec et comprenant une seule fenêtre barrée. À son chevet, un homme, de dos et habillé d’une blouse blanche, est assis sur une chaise prenant des notes. La jeune femme, les yeux vers le plafond dans une position pensive, commence à narrer une séquence d’événements: « Je me souviens très bien du jour où cela m’arriva. Je dansais. Je dansais… C’est alors qu’un sentiment bizarre se fit jour en moi. Je dansais devant des portes vides qui s’ouvraient sur nulle part. Des portes béantes, des trous qui devenaient sphères, cubes, ballons. Des portes qu’on ne pouvait pas ouvrir parce qu’elles se fragmentaient dès qu’on voulait les traverser. » Zoom sur la patiente et mise en hors-champ progressive du médecin. Elle continue, de plus en plus animée : « Et je dansais toujours, cherchant quelque chose ou quelqu’un auquel je pourrais m’accrocher. Et c’est alors que je rencontrais la toile à laquelle je m’agrippais pour ne pas tomber dans la cage qui tournait… tournait… tournait. » Sur les derniers mots, le film opère une coupe et un recadrage dans l’axe sur la jeune femme qui se lève et s’approche de la caméra, créant un volet qui amorce le passage vers la première mise en images du récit de la patiente. (02:36)


Tableau

Plus directement stylisé et évoquant les tableaux surréalistes de Giorgio de Chirico, le nouvel espace est délimité par une série de murs entrecoupés de plusieurs arches donnant sur une trame de fond peinte, elle-même composée d’arcades. S’éloignant de la caméra dans un léger pas de danse, la jeune fille, vêtue de la même robe/blouse maintenant verte, semble évoluer avec curiosité au sein de ce nouvel espace. En fond sonore, une composition bruitiste mélange des sons de cloches, d’horloges et d’alarmes, bientôt accompagnés d’une marche militaire jouée au tambour. La patiente pénètre dans une des arches. Lorsqu’elle en ressort, la musique change pour adopter une tonalité plus traditionnellement symphonique. Comme apeurée, la jeune femme se met à danser de manière plus agitée avant de pénétrer dans une des arches et se retrouver dans un troisième espace entièrement noir où flottent une série de formes, rappelant directement les « sphères, cubes, ballons » qu’elle évoquait précédemment. Après une courte danse au milieu de ces formes flottantes, une troisième coupe positionne la caméra en plongée sur la jeune femme. Une toile d’araignée apparait progressivement entre la caméra et la patiente qui s’y accroche avant que la toile ne commence à l’encercler puis (à travers une nouvelle coupe) se transforme en grillage circulaire emprisonnant la jeune femme comme dans une roue dont elle ne peut s’échapper. (05:29)


Récit-cadre

Retour dans la chambre de la patiente. Elle tient dans ses mains un morceau de grillage qui disparaît progressivement. Elle poursuit sa narration : « Et j’ai été précipitée dans l’église, dans l’église de ma première communion. Les petites filles passaient sans me voir. Elles passaient comme des fantômes. J’étais la statue, le vitrail, la plante et l’ombre m’a saisi, entraîné dans la grotte… la grotte, refuge qui m’attirait et me repoussait. » Tout en continuant son récit, la patiente se lève et s’avance vers la fenêtre. « Des nains en défendaient les parages. Des nains qui riaient et jouaient sans m’apercevoir. Au creux de la grotte, je trouvais l’enfant. Un lourd petit enfant sans yeux. Je lui faisais manger des nourritures douces et visqueuses. Alors, j’ai fouillé ses orbites vides, énucléant avec précision ses globes oculaires ronds comme des billes d’agate, rondes et glauques. Et je les ai fait tomber au fond du bocal où nageaient translucides d’autres yeux que j’avais arrachés autrefois. » S’éloignant de la fenêtre, elle s’arrête, un bras nonchalamment levé devant elle, l’autre tombant derrière, et se met sur la pointe des pieds. (07:22)


Tableau

Par une coupe franche, le film nous emmène dans un nouvel espace très sombre et constitué d’une arche d’église et de trois vitraux, le tout posé devant un fond entièrement noir. Debout au milieu de l’arche, la jeune femme est figée dans la même position qui avait clos le plan précédent. Sa robe/blouse est cette fois tachée de rouge et de brun. Du hors-champ droit s’avance une procession de religieuses portant chacune un cierge. Un orgue joue une musique relativement enjouée en contrepoint avec l’ambiance visuelle plus sinistre. Les religieuses se positionnent en cortège et la jeune femme s’avance au sein de l’allée formée par les religieuses avant de s’arrêter vers l’une des figures encapuchonnées. Elle la touche et lorsque celle-ci se retourne, apparait sous le capuchon la patiente elle-même. Apeurée, la jeune femme se retourne et voit son reflet figé au sein d’un vitrail placé derrière elle. Composé de formes géométriques, le vitrail commence progressivement à se déstructurer, entraînant la décomposition de l’image du visage de la patiente qui se mêle au verre coloré ; contrechamp sur le visage de la jeune femme éclairé par des lumières colorées mouvantes, puis dédoublé verticalement et horizontalement, flouté, et enfin reflété dans un miroir brisé, le tout avec un fond sonore de musique concrète. Après un crescendo angoissant, la composition retrouve une certaine régularité tonale tandis que commencent à défiler plusieurs plans de la patiente reflétée dans une série de miroirs brisés qui fragmentent, une fois encore, son visage à la manière d’un tableau cubiste. Les deux plans suivants montrent le regard de la patiente directement face caméra, le reste de son visage d’abord occulté par un cache circulaire, puis par une couronne de feuilles d’arbres ne laissant apparaitre que son œil.

Le plan suivant montre la jeune femme allongée sur un sol entièrement recouvert de feuilles d’arbres à l’exception d’un rocher en plastique et d’une petite plante. Elle se lève et l’on découvre à ce moment qu’elle était allongée sur une autre danseuse entièrement vêtue de noir qui, toujours allongée sur le sol, imite ses mouvements comme une ombre. Ayant rattrapé la patiente, son ombre se lève soudainement et saisit la jeune femme par le bras pour la tirer hors du champ. Une coupe et un changement d’angle de vue font apparaitre un arrière-plan dans lequel des nains gardent l’entrée d’une grotte. On entend des exclamations masculines en anglais. La figure vêtue de noir danse avec la jeune femme puis la chasse dans la grotte où cette dernière découvre le corps allongé d’une petite fille en tutu rose. Elle s’en approche, lui ouvre la bouche et y glisse plusieurs fils blancs et noirs. D’un geste naturel et sans violence, elle extrait ensuite les deux yeux de la petite fille avant de les mettre dans un vase contenant un liquide transparent.

En trois plans successifs de plus en plus éloignés allant de son œil à son visage et finissant par un plan poitrine, le film révèle un nouvel espace dans lequel la jeune femme est transformée en aiguille d’un métronome géant sur une plage de sable vide. Un homme habillé en costume et chapeau haut de forme entre dans le champ en poursuivant un ballon jaune. Ce même homme, tenant son ballon dans les mains, passe devant la jeune femme-métronome sur un fond de musique inquiétante. Suivant le mouvement métronomique du visage de la patiente qui oscille de gauche à droite, le plan suivant la montre dans son lit, reproduisant le mouvement de balancier avec sa tête, toujours accompagnée du battement du métronome. Le film passe soudainement à un plan zénithal donnant à voir une immense spirale peinte sur le sol en rouge, noir et blanc sur laquelle danse la jeune femme au son d’une musique symphonique enjouée. Tournant de plus en plus vite, elle finit par s’écrouler par terre, puis se réveille dans son lit d’hôpital.


Récit-cadre

Regardant ses mains, la jeune femme continue sa narration : « Je me regarde dans les glaces et c’est l’autre qui me sourit et qui m’embrasse. Ma peau s’effrite, se gaufre et je l’arrache par lambeaux. » La patiente sombre à nouveau. Par un fondu au noir, le film retourne au récit enchâssé. (17:44)


Tableau

Le nouveau décor rappelle la chambre d’hôpital tant par son carrelage en damier, que par l’angle du cadrage. Cependant, la chambre est maintenant peinte en rouge et noir et contient deux grands miroirs, un vertical, l’autre horizontal. Le lit et la fenêtre ont disparu. Regardant son reflet dans la glace, la patiente danse sur fond de musique jazz. La caméra se rapproche du miroir qui ne reflète rien. Soudain, glissant depuis la gauche, apparait la patiente allongée, avant qu’elle ne disparaisse, tout aussi soudainement, quand la jeune femme debout essaie de la toucher. Retour au plan large dans lequel la jeune femme fait quelques pas de côté pour aller vers le miroir vertical qui la reflète cette fois bel et bien. Un plan plus rapproché nous la montre dédoublée avant que le reflet traverse le miroir pour attraper la patiente par les épaules. Après une courte pause, la jeune femme s’éloigne du miroir et le reflet disparaît. Elle s’approche alors d’un plus petit miroir arrondi dans lequel apparait son visage. De dos, en plan taille, elle se tient devant le miroir qui n’a plus de glace et a été remplacé par un fond rouge. Du bord gauche du cadre entre un double de la patiente qui semble léviter au-dessus de la jeune femme de dos. Le double se penche et embrasse la jeune femme sur la bouche.

Une coupe renvoie vers un espace entièrement noir où la jeune femme, filmée en plain pied, danse en arrachant progressivement de larges lambeaux de sa peau. Un plan plus serré la montre enlevant la peau de son cou. Une fois encore, les effets visuels — limités ici à de simples carrés de fausse peau sous lesquels le corps de la patiente est peint de manière rudimentaire pour imiter la chair — marquent clairement l’intention poétique et surréaliste des séquences enchâssées. En plan poitrine, la jeune femme commence à se caresser les bras et le cou de manière extatique, avant que la scène ne soit interrompue par un fondu au noir. (20:06)

Récit-cadre

La jeune femme est assise à genoux sur son lit. Le cadrage suggère un changement dans la disposition de la chambre. Elle continue sa narration : « Et je me suis couchée ». Elle se couche. « Et les draps sont devenus des vagues blanches qui m’ont enseveli dans un bouillonnement qui déferlait sur un lit d’or. Comme je le lui demandais, la morte est venue doucement, lentement. Elle a d’abord pris mon ventre qui s’est mis à grouiller, puis mes yeux. Et les noirs sont venus qui buvaient et dansaient autour de l’écrin de glace dans lequel ils m’avaient placée. Des noirs qui dansaient autour de la mort qui voulait leur parler et ne pouvait pas le faire parce qu’elle avait commencé à pourrir doucement. Ils l’ont jetée dans la mare où elle s’est mise à flotter très lentement sur l’onde calme et noire. Les nénuphars froissés soupirent autour d’elle. Sur le sable mouillé, sa chevelure dénouée dessine des serpents. » Dans la chambre à présent filmée en plongée, le médecin a disparu et la jeune femme est allongée dans son lit. Zoom sur la patiente qui s’agite. Un drap blanc lui tombe dessus, faisant office de transition vers le récit enchassé. (21:56)


Tableau

Un zoom arrière révèle la jeune fille, allongée cette fois dans un lit paré de dorures dans une chambre dont l’architecture reprend celle de la chambre d’hôpital, fenêtre à barreau incluse. Cependant, les murs du nouveau décor sont recouverts d’un papier peint au motif floral, blanc et rouge. Un second plan recentre le cadre vers de la fenêtre barrée tout en faisant apparaitre la patiente de l’autre côté des barreaux. Un fondu transforme ensuite la fenêtre en petit miroir orné au milieu duquel apparait toujours le visage de la patiente. La caméra s’approche révélant les larmes qui coulent le long des joues de la jeune femme alors qu’une marche funèbre débute en arrière-fond. Par un panoramique vertical descendant, le plan suivant passe du mur au lit où repose la jeune femme qui porte maintenant un maquillage bleuté indiquant qu’elle est « morte », comme annoncé dans le récit-cadre. Un autre mouvement panoramique, horizontal cette fois, s’éloigne du lit et la dévoile allongée dans un cercueil ouvert, orné de draperies noires. Dans cet Athénée « surréaliste » entrent quatre hommes habillés de collants blancs, de frocs rouges et de chapeaux noirs. Leurs visages sont grimés en noir à la manière d’un Minstrel Show. Les hommes passent devant le cercueil en buvant, discutant et riant. Après avoir posé leurs verres, ils soulèvent le cercueil et l’emportent hors champ.

Le plan suivant relocalise l’action en extérieur (décor naturel), dans une forêt de nuit, où le cortège funèbre, maintenant équipé de torches, s’avance en direction de la caméra, puis la dépasse. La série de plans suivante montre la procession longeant un lac, se dirigeant vers un ponton et plongeant le corps de la morte dans l’eau. Remplaçant la marche funèbre par une mélodie bucolique, le plan suivant montre la jeune femme, flottant paisiblement dans la mare, son corps entouré de nénuphars. La lumière intense de la lune éclaire la scène à l’iconographie ophélienne.

Récit-cadre

La jeune femme est à nouveau allongée sur son lit d’hôpital. Elle continue sa narration : « Elle veut revivre, ressusciter, naître à nouveau. Elle cherche le sein, le bon sein qu’elle dévore pour prendre sa tiédeur qui la remplit. Mais le bon sein s’est transformé et le Pierrot funambulesque qui l’a pris à deux mains la menace. Elle voudrait s’en saisir pour le mordre et l’avaler. J’ai couru, dansé, couru après le Pierrot qui m’entraîne. Et je cours dans la boue fécale qui m’avale, m’aspire, m’absorbe. Et j’ai marché, dansé, marché, retrouvé le bon sein." Tout en parlant, elle se lève et quitte le champ. La scène continue dans le plan suivant où, devant la fenêtre, elle s’accroche aux barreaux et se laisse glisser vers le sol, puis remonte et quitte une fois encore le cadre. (27:58)

Tableau

"Take Five" de Dave Brubeck dans la bande son. La jeune femme, en gros plan, s’avance vers un mur violet. Un plan plus large la montre habillée en combinaison de couleur chair, dansant aux pieds d’une femme, vêtue d’une jupe et d’un chemisier, assise devant un berceau en bois. Alors que la patiente s’avance à genoux vers la femme, un plan rapproché dévoile le sein de cette dernière qu’elle offre à la jeune femme. Un court insert montre alors un nourrisson tétant le sein en gros plan avant qu’une nouvelle coupe affiche le visage de la jeune femme couvert de lait. Après un retour sur l’insert du bébé, le plan suivant nous montre la jeune femme poursuivant un biberon géant tenu par un homme habillé en Pierrot. Ce dernier l’entraîne dans une danse jazz énergique au sein d’un décor à nouveau composé de murs rouges et d’arches rappelant le premier tableau. La jeune femme parvient à s’échapper hors champ. Toujours vêtue de sa combinaison couleur chair, elle court dans un champ fraîchement labouré. La musique symphonique évoque une scène de chasse ou une course-poursuite et met l’emphase sur les difficultés de la jeune femme qui tombe puis rampe dans la boue, tentant en vain d’avancer en direction de la caméra.

Récit-cadre

Filmée en gros plan et à l’envers, la jeune femme, transpirante et essoufflée, continue sa narration  depuis son lit d’hôpital: « Je cours et je me retrouve écartelée, ouverte… ouverte à tous sur la route qui… encore. Encore. Pour que je me dissolve dans l’infini de la nuit. » Elle se calme, respire. (31:02)

Tableau

De retour devant l’entrée de la grotte, filmée en plan large, le décor est chaotique : une statue de cheval traine au milieu de déchets et un des nains est en train de vomir dans un sceau, pendant que deux autres dorment à ses côtés. La musique, plus entraînante et effrayante, renforce l’impression de chaos dramatique. Couchée sur une plateforme surélevée faite d’une roue de calèche et d’un tronc d’arbre, la jeune femme à la blouse tachée est étendue, immobile et amorphe. Du bord gauche supérieur entre alors la patiente dans un nouveau jeu de dédoublement. Elle longe le décor et s’arrête lorsqu’elle aperçoit son propre corps sur la roue qui se met à tourner sur elle-même. Le dernier plan zoome en plongée sur le corps de la jeune femme en mouvement avant qu’un fondu enchaîné ne la fasse disparaître, laissant sur la roue uniquement la blouse tachée de sang et de boue. La roue tourne de plus en plus vite et entraîne dans sa course le carton final qui apparait dans un fondu enchaîné : « FIN ».

Notes complémentaires

Référence catalogue : n°173

Références et documents externes

ABRAHAM, Karl, « L’araignée symbole onirique (1922) » , dans Karl ABRAHAM et al., Œuvres complètes/II, 1913-1925, Paris, Payot, 1965, pp. 146-150.

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BERTON, Mireille, « Filmer le trouble (neuro)psychiatrique au XXe siècle : du corps à la parole du sujet ? » Cinéma et psychiatrie en Suisse et en Europe (Hypothèse.org), disponible sur : https://waldau.hypotheses.org/7220 (consulté le 30 octobre 2023).

BONAH, Christian, « “Réservé strictement au corps médical” : les sociétés de production audiovisuelle d’Éric Duvivier, l’industrie pharmaceutique et leurs stratégies de co-production de films médicaux industriels, 1950-1980 », Cahiers d’histoire du Cnam, vol. 12, 2019, pp.133-158.

BONAH Christian, « Business and Art: Pharmaceutical Industries, Film Production and Circulation, and the French Film Production Company ScienceFilm, 1960-1980 », dans V. Hediger, F. Hoof, Y. Zimmermann & A. Scott (dir.), Films That Work Harder. The Global Circulations of Industrial Cinema, Amsterdam, AUP, 2023, pp. 679-706.

CHATEAU, Dominique, La subjectivité au cinéma : Représentations filmiques du subjectif, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012.

FREUD, Sigmund, L’interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010 [1899].

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Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Matthieu Dorner, Timothée Zurbuchen