Rhumatologie et relation médecin - malade (1976)

De Medfilm



Pour voir ce film dans son intégralité veuillez vous connecter.
Si vous rencontrez un problème d'affichage des sous-titres, veuillez essayer un autre navigateur.

Titre :
Rhumatologie et relation médecin - malade
Série :
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Conseil scientifique :
Durée :
37 minutes
Format :
Parlant - Couleur - 16 mm
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Commanditaires :
Archives détentrices :
Corpus :

Générique principal

Film - débat / Pr agrégé Patrice Quenau (Lyon - Saint-Étienne) et Dr Michel Sapir (Paris) / Réalisation Art et Science

Contenus

Sujet

À travers des récits de patients souffrant de douleurs rhumatologiques, étude des relations d'ordre psychologique entre le médecin et ces différents patients.

Genre dominant

Documentaire

Résumé

Description par les patients de leur apparition de la maladie et des souffrances qu’ils endurent, analyse par les médecins des ressorts psychologiques du comportement des patients qui affrontent un mal somatique. Le film pourrait dater de 1975, les récits de ses différents protagonistes n’évoquant pas de date plus récente que 1974.

Contexte

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Non.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Non.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Non.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Oui.
  • Musique et bruitages : Non.
  • Images communes avec d'autres films : Non.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

Le film se caractérise par un dispositif réflexif. Il articule des prises de vue de consultation avec leur analyse par deux médecins réunis dans une cabine de montage, découvrant les images depuis une table de montage qu’ils peuvent manœuvrer. L’intention du film est de pousser les spectateurs, eux-mêmes médecins, à mettre en perspective les images de cas qu’ils ont vus, ceci en écoutant les commentaires que les mêmes images inspirent aux médecins filmés. Le débat auquel les spectateurs sont supposés se livrer après la projection consiste à poursuivre les échanges entre les deux médecins : ont-ils vu juste ? Ont-ils tout dit ? Ce principe sera repris dans Les pièges de l’urgence, autre film d’Éric Duvivier portant sur les interventions du médecin psychiatre dans le service des urgences de l’Hôtel Dieu à Paris.

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Projections de prestige pour les praticiens mises en place dans les salles d'exploitation.

Communications et événements associés au film

Public

Public professionnel, praticiens spécialisés et généralistes

Audience

Descriptif libre

Fonds Éric Duvivier code 459. Générique début. Carton sur fond bleu, « Cinémathèque Delagrange » et logo de l’entreprise. Ensuite, le champ de l’image se divise en deux. Sur un écran à sa droite, extrait du film à venir, montrant un médecin et un patient échangeant de part et d’autre d’une table, le médecin de dos en amorce, le patient de face. Musique douce, piano et flûte sur laquelle se perçoivent des extraits de leur entretien. Sur un autre écran à sa gauche, défilement du générique : après le titre, un second carton mentionne : « film –débat », indiquant que c’est dans la perspective d’une rencontre publique que le film a été conçu. Le carton suivant indique quels sont les référents médecins impliqués dans sa réalisation : le professeur agrégé Patrice Quenau (Lyon, Saint-Étienne) et le docteur Michel Sapir (Paris). Nous savons que Michel Sapir intervient également dans un autre film d’Éric Duvivier : Sur les traces de Balint, en tant que spécialiste des groupes Balint. Réalisation : Art et science.


Premier cas : un ouvrier que la douleur exclut de sa famille et de son réseau professionnel

Cut et raccord dans l’axe à la fin du générique, le champ étant à présent entièrement occupé par l’entretien médecin-patient que nous voyions auparavant sur le petit écran de droite pendant le générique. La caméra resserre sur le patient filmé plan épaule. C’est un homme d’une soixantaine d’années, dont la voix est marquée par un accent étranger (nous saurons qu’il est d’origine polonaise). Il ne s’agit pas d’un acteur. Il raconte : « J’ai été blessé en 1964 en faisant un effort. Depuis j’ai eu trois arrêts de travail jusqu’en 1966. En 1967, le professeur qui me soignait a confirmé qu’il me fallait une intervention chirurgicale ». Cut. Nous voyons deux hommes assis dans une cabine, devant une table de montage. Des étagères sont disposées derrière eux, garnies de bobines de film. Nous sommes là dans le local de travail d’Éric Duvivier, que le réalisateur a mis à leur disposition pour les filmer entrain d’analyser les rushes qu’il a lui-même tournés pendant les séances de consultation. Sur l’écran de contrôle de la table de montage, la séquence précédente continue de défiler. Un des deux hommes enclenche la pause. Nous reconnaissons Michel Sapir, le médecin-référent dans Sur les traces de Balint, autre « film-débat », postérieur, où il commente à intervalles réguliers des séquences reconstituant des réunions de médecins. L’autre protagoniste est le médecin que nous avons vu en jeu dans la séquence précédente. Le générique nous laisse supposer qu’il s’agit du Pr Patrice Quenau. La composition du champ est à peu près fixe d’une séquence l’autre dans la cabine : sur une vue d’ensemble qui rassemble les deux hommes, montrant la table de montage en amorce sur le bord-cadre droit, le Dr Sapir est au premier plan, de profil quand il consulte la visionneuse ou de dos quand il s’adresse au Pr Quenau, le Pr Quenau au second plan, de profil quand il consulte la visionneuse ou de face quand il s’adresse à Sapir. Nous observons qu’un bloc-notes est posé à côté du Pr Quenau, qu’il regarde régulièrement au moment d’intervenir.
« Jusqu’ici, il m’a paru artificiel, votre patient, analyse Sapir. Et maintenant, l’angoisse émerge…» Retour au patient qui explique que l’intervention chirurgicale qu’il a subie n’a pas eu d’effet déterminant. Retour à la cabine de montage : Patrice Quenau arrête à son tour le film et prend la parole : « À travers l’échec de l’escalade des traitements médicamenteux puis chirurgicaux, c’est bien l’échec du pouvoir médical et de l’institution qui transparaît. » Hochements de tête approbateurs de Michel Sapir : « Je vous suis entièrement, parce que je crois qu’il nous énumère toute notre impuissance médicale. »Retour au patient. Son visage est à présent filmé en très gros plan, comme ce sera le cas sur le reste du film quand il est en in. Il est visible que l’intention est de scruter toutes les nuances des expressions de son visage. Depuis 1966, explique-t-il, il n’a pas été en mesure de reprendre le travail. Assigné à des tâches où il fallait se baisser, marcher à quatre pattes, il a constaté qu’il ne pouvait les remplir.

Retour à la cabine. Sapir : « Il a refait une crise comme s’il ne supportait pas d’être diminué dans son travail. Sa devise semble être : debout, ou couché ». Quenau : « Vous mettez l’accent sur l’impossibilité de supporter le handicap, surtout chez des sujets qui ont surinvesti leur appareil locomoteur, soit pour des raisons de travail ou dans la vie émotionnelle ou de loisir. Je pense en effet qu’ils ont beaucoup de difficultés à vivre avec un handicap plombeur.
Retour au patient qui explique qu’un neurologue a identifié que son nerf sciatique « était pris dans la racine S1. » Malgré une opération à cet endroit, les douleurs subsistent. En 1971, continue le patient, il va s’adresser au Pr Quenau à « l’hôpital de Charpin », lequel « a tout tenté ». Quenau lui demande quelles sont ses activités dans la journée. « Quand j’en ai le courage et quand j’en ai le goût, répond le patient, je fais un peu de vannerie à la maison et des tapis en soie. » Il ne peut plus aller à la pêche seul. « Avant, déplore-t-il, j’avais une vie tout à fait normale. Je travaillais… » (04.58.)

Retour cabine, le Pr Quenau arrête le film. Quenau : - On a l’impression fréquente que quand il n’y a plus d’activités, et même d’hyperactivités, c’est la chute dans la dépression. Sapir : - Ils ne peuvent pas vivre sans rien faire. Et pourtant la vie qu’il décrit paraît fort agréable. Mais il ne la supporte pas. »Retour au patient qui explique qu’il ne tolère supporte plus les contrariétés comme le bruit que font les enfants dans le HLM où il habite. « J’ai trois petits fils, je les supporte, précise-t-il avec le sourire. Mais le bruit des autres, je ne supporte pas. » (06.08).

Retour à la cabine. Sapir : - Le secret se dévoile. Jusqu’ici, c’était le trouble somatique en premier. Puis il décrit une vie pas très désagréable mais qu’il ne supporte pas. Et maintenant apparaissent les troubles psychologiques. Quenau : - Vous disiez tout à l’heure ‘vie agréable ‘ mais en marginalité par rapport à toute activité d’homme, par rapport à tout sentiment de responsabilité ou d’utilité. Sapir : - C’est en comparaison avec les autres qu’il ne la supporte pas. Quenau – Il ne le dit pas d’ailleurs, mais il est méprisé par sa femme, ridiculisé par ses enfants, rejeté par ses amis qu’il va rencontrer quelquefois à la sortie de l’usine : eux ont travaillé, lui est allé à la pêche… Il n’est pas l’égal d’un ouvrier qui a sa vie d’homme responsable sur le, plan social, sur le plan professionnel, sur le plan familial. Sapir : - Il y a le consensus social dont, il n’est pas responsable. Il ya aussi sa manière de ne pas supporter l’infériorité. Quenau : - Oui, ça pose d’ailleurs le problème d’une revendication contre une oppression préalable pendant toute sa période d’activité, oppression par la société, oppression même ancestrale, puisque c’est un fils de mineur polonais qui avait été transplanté. En définitive, consciemment ou non, peut-être prend-il sa revanche. Sapir : - On comprend mieux maintenant… (07.53).

Retour au patient qui explique qu’il a « laissé tomber » ses relations antérieures parce qu’il se sent « inférieur à un autre homme. » En revanche, il a trouvé trois nouveaux « copains intimes » : des « invalides » comme lui. Le professeur l’interrogeant sur ses relations avec sa femme, il répond qu’il a de moins en moins de relations avec elle. Le professeur l’interrogeant sur son sommeil, il répond qu’il doit prendre des médicaments sinon il passe des nuits blanches. Il ajoute qu’il va mieux quand il est en convalescence à Vence que quand il revient vivre à Monceau. « Peut-être est-ce à cause du climat. » Il est également plus actif pendant les périodes de rééducation, fréquentant les ateliers ménagés à cet effet : il y a notamment appris à tisser. À la maison, les douleurs le reprennent « au moindre effort » ou quand on l’énerve. « Je suis mal dedans ma peau », conclut-il avec un sourire douloureux (11.03).

Retour cabine, Quenau : - ‘Je suis mal dans ma peau’, c’est-à-dire : ‘je suis mal’. Sapir : - … autant à son intériorité qu’à son dos. Quenau : - Tout à fait. Retour au patient : « Je me sens délaissé. Je me sens seul. Il me manque quelque chose. À la fois, c’est l’environnement relationnel et c’est le climat. » Le très gros plan met en évidence les émotions qui traversent son regard : à la fois, lucidité, maîtrise de soi, et désespérance, voire détresse. Il paraît apprécier la situation de colloque dans laquelle il se trouve, réconforté de pouvoir parler en profondeur, prenant le temps qui lui convient.

Retour cabine, Sapir : - ‘Il me manque quelque chose’, ce qui prouve qu’il n’est pas loin de la prise de conscience. Et on peut se demander, après tant d’années, s’il ne faut pas favoriser la fuite, le laisser vivre avec ses invalides à Vence, loin de Monceau, ou au contraire instaurer une thérapeutique qui lui permette de sortir de son agressivité. Quenau : - Rappelons-nous que nous avons vu ce malade pour la première fois après l’escalade thérapeutique et avec un statut d’invalide dont on sait qu’il est plus lucratif qu’un travail peu spécialisé. Je pense que c’est d’ailleurs là un problème. Sapir : - Je le pense aussi. Mais je crois qu’il y a de l’espoir si on tient pas trop compte des institutions. Quenau : - Il a d’ailleurs exprimé le désir, peut-être sous la forme de velléité, de retravailler dans l’optique de retrouver sa condition d’homme. Sapir : - Espérons… (13.00).

Second cas : une femme veuve, en retrait de la société

Nouveau cas. Gros plan sur un bras de femme enveloppé dans une manche en dentelle, que la main de l’autre bras tient. Dézoom, plan taille sur une femme d’une soixantaine d’années assise devant une civière. « Mon rhumatisme a commencé en 1959 par un doigt enflé. Je me suis demandé si c’était une foulure ». Le médecin lui a appris que c’est une polyarthrite évolutive. Regard en biais de la patiente au souvenir de cette annonce. Elle explique qu’elle a vécu l’alternance de périodes où elle ne souffrait pas avec des périodes où elle ne pouvait plus « bouger les bras, les mains ». Elle précise que ses douleurs s’apaisaient quand elle allait faire « un petit stage dans le midi » alors qu’elles la reprenaient quand elle était de retour à Lyon. Elle a continué à travailler jusqu’au jour où elle a senti qu’elle avait mal « partout : non seulement dans les mains, mais dans les jambes, dans les pieds… » Zoom sur son visage quand elle ajoute qu’elle se trouvait dans « l’impossibilité de faire quoi que ce soit. » Elle est restée alitée trois mois, avec des difficultés pour le moindre geste : «  C’était infernal. » Cette situation l’a contraint à quitter son emploi « que j’aimais beaucoup, du reste : ça a été un gros handicap dans ma vie. Par la suite, ça m’a créé de gros soucis. J’avais une fille encore très jeune qu’il fallait que j’élève. » (15.02).

Retour cabine. Changement d’axe de la prise de vue : plan épaule de Sapir de dos côté gauche, bord-cadre droit occupé par Quenau en amorce. Encore une fois, c’est lui dont on voit mieux le visage. Sapir arrête la bande : - Cette femme est donc veuve. Quenau : - Elle a en effet perdu son mari quelques mois avant le début de sa polyarthrite. Sapir : - On peut se demander le rapport entre le deuil et le déclenchement de la maladie. Quenau hoche de la tête : - Bien sûr. Retour à la patiente. Son fils, pas encore marié, était disponible pour l’assister. Elle a repris l’activité : couture, confection… de façon à continuer de mobiliser ses mains et à ne pas avoir l’impression d’être une handicapée. La main droite a néanmoins continué de se déformer. « J’ai perdu beaucoup. Dans un bureau, on travaille en groupe, on voit des amis, des gens nouveaux, on fait un travail qui nous plaît. C’est tout de même ennuyeux de devoir le laisser. La sécurité sociale m’a obligé à me mettre à l’invalidité. » Elle affirme que son entourage familial l’a beaucoup aidé au moment où la perte de son travail et celle de son mari, survenues alors que leur fille n’avait que trois semaines, l’ont entraîné dans la dépression. Sa fille, qui a vingt ans à présent, l’a prise à sa charge. « C’est peut-être un tort », observe-t-elle parce qu’elle reste seule à la maison et qu’elle serait moins fatiguée si elle sortait davantage. Là aussi, presque toute la séquence sur le patient consiste en des gros plans sur le visage pour montrer la grande expressivité de son regard qui accompagne tous ses propos. (19.55).

Retour à la cabine. Nouveau changement d’axe : Sapir et Quenau vus de trois quarts depuis l’angle droit. Quenau : - Nous parlons de la douleur, un symptôme subjectif qui ne sera jamais mesurable. Sans minimiser du tout les mérites de cette femme porteuse d’une polyarthrite rhumatoïde importante, elle a l’avantage, par rapport au cas précédent, d’avoir le statut de malade reconnu par les médecins et la sécurité sociale. Sapir : - Ce que l’on sent chez cette petite dame, c’est une envie de vivre, de s’insérer socialement, de voir du monde, de lutter contre ce statut de malade et d’invalide. Quenau : - Oui, paradoxalement, je pense qu’elle peut d’autant plus lutter contre ce statut d’invalide et de malade qu’on le…Sapir : - … qu’on le lui a donné. Phrases qui se complètent, regards complices. Depuis le début du film, Saphir et Quenau sont sur une même longueur d’onde. (21.00).

Retour sur la patiente. Elle regrette de ne pas avoir conservé son activité professionnelle. Elle avoue que ça lui permettrait de moins penser « à ce mal ».Retour cabine. Sapir : - Je suis frappé par la mobilité de cette patiente. Elle change d’âge, elle change d’expression. Elle change d’humeur d’un moment à l’autre. Quenau : - Elle vit avec son rhumatisme. Elle le dit elle-même. Sapir : - Elle vit avec son rhumatisme mais d’une manière très différente que dans le cas précédent. Dans le cas précédent, ou bien il éclate, il produit une rupture, ou bien, économiquement il se réfugie dans le symptôme. Ici au contraire, la maladie est avérée, elle lutte contre l’ankylose, elle veut l’insertion sociale. C’est la sécurité sociale qui la déclare malade, et elle, elle lutte contre ce qui la menace. Je crois que c’est tout à fait opposé au cas précédent. Quenau (isolé dans le champ) : - Oui, très certainement. Nous allons avoir un cas contrasté avec celui du malade suivant.


Troisième cas. Derrière la douleur rhumatismale, les épreuves de la guerre.

Quenau en amorce devant son bureau, de l’autre côté, une femme assise, soixantaine d’années. Comme les deux autres patients, elle fait l’historique de son mal. Les douleurs ont commencé en 1969, déclenchées après qu’elle a contracté une « grippe asiatique ». Après ces trois mois de maladie, elle a ressenti une douleur à la colonne vertébrale, diagnostiquée comme une ostéoporose. « À partir d’un kilo, je ne peux plus porter rien, j’ai l’impression que mes bras et ma colonne vertébrale se disloquent. J’ai l’impression que je vais tomber et que je ne vais pas pouvoir me relever. » Le médecin demande si les médicaments font de l’effet, elle répond aucun (23.09).

Retour cabine. Sapir, de profil, arrête la bande : - D’emblée, on voit une discordance entre la pathologie et ses réactions. Son corps se disloque, se morcelle, et sa mimique est tout à fait expressive. Quenau : - Elle est très certainement très délirante, et très fragile. Retour sur la patiente. Elle explique qu’elle s’administre elle-même ses piqûres, mais que ça n’apaise pas les douleurs qu’elle éprouve dans la tête, la colonne vertébrale, « ça me prend tout ce qui est osseux. »

Retour cabine, Quenau et Sapir en plan épaule, Quenau se tourne vers Sapir : - En somme un véritable délire du corps.
Retour sur la patiente, elle précise qu’il y a des périodes où, au contraire, elle n’éprouve aucune douleur. Le professeur Quenau lui rappelle qu’elle avait fait une opération en 1940. « Oui, mais ce n’était pas pour les mêmes douleurs. C’était pour une paralysie. Je suis tombée d’un seul coup par terre, je n’ai pas pu le relever. » (23. 50).

Retour cabine. Sapir : - En 1940, mais c’est le début de la guerre. Y avait-il chez elle un problème particulier qui l’a sensibilisé plus qu’une autre à la guerre ? Quenau approuve d’un hochement de tête. Quenau : - Bien sûr, en réalité, cette femme s’est mariée très jeune à quinze ans et demi avec un juif. Il a été déporté, elle aussi. Il est mort en déportation, un de ses fils aussi, le second est mort d’un accident de motocyclette un an plus tard. Retour à la patiente qui évoque les suites de sa déportation. « À partir de là, ça a plus allé. » Elle évoque une intervention efficace jusqu’en 1969, d’autres interventions ensuite, sans effet. Cette fois, elle est filmée en très gros plan, comme les deux patients précédents. Retour cabine, Quenau en plan poitrine, de face, arrête la bande. Quenau : - En réalité, je voudrais insister sur un point. Cette femme, qui est indiscutablement influencée par la présence du caméraman, modifie un peu son récit. Un certain nombre d’étapes apparaissent assez floues, et principalement depuis 1974 qui lui a permis de divorcer d’un deuxième mariage catastrophique – elle s’était mariée par correspondance – elle a réussi à se distancier de sa douleur, de son ostéoporose. Elle en parlait de moins en moins, elle prenait peu ou pas de médicaments. Finalement, il me semble qu’il y a comme un phénomène un peu régressif en présence de la caméra qui fait qu’elle adhère à nouveau à une expression de type somatique (27.09).

Sapir – Régressif peut-être, parce qu’elle ne veut pas revivre, à travers son discours, un passé extrêmement douloureux. Quenau : - Très certainement. Retour à la patiente qui localise ses douleurs de façon minutieuse, tenant compte des positions où elle peut se trouver. « Ça me fait une chaleur intense à l’intérieur, ça me monte au cerveau, ça me donne des maux de tête… » - pendant qu’elle en vient à cet inventaire de sensations, plan de coupe sur Sapir et Quenau qui l’écoutent – « C’est tellement violent que je prends n’importe quel médicament pour que ça passe. » (28.13).

Retour à la cabine, Quenau arrête la bande. Quenau : - Il ne faut pas s’étonner de l’inefficacité des médicaments antalgiques devant une symptomatologie de ce genre qui, en fait, traduit un embrasement corporel pulsionnel très singulier. Sapir : - Je crois comme vous qu’il y a un embrasement pulsionnel extraordinaire et qu’elle en parle fort bien. C’est peut-être cet embrasement qui lui a permis de tenir le coup à travers les épreuves de la mort, des camps de concentration, la rupture avec le milieu. Retour à la patiente. Quenau lui demande si ses douleurs sont aussi intenses quand elle conduit à mobylette. Au début, non, maintenant, oui, à cause de la succession des secousses pendant les trajets. Retour à la cabine, Sapir de profil : - La mobylette, symbole de sa liberté, lui donne mal à la tête…(30.25).

Retour sur la patiente qui revient sur son parcours biographique. Elle rappelle qu’elle s’est mariée très jeune, à quinze ans. Elle venait de perdre sa grand-mère après avoir perdu ses parents, elle se trouvait en manque d’affection. Pour fêter l’obtention de son bac à moins de dix-sept ans, son mari lui a offert un voyage en Norvège. Elle a beaucoup apprécié la beauté de ses paysages et l’amabilité de ses habitants. À présent, elle rêve d’y retourner. Elle a pensé faire une partie du voyage en mobylette, le reste en chemin de fer. Retour en cabine, Sapir arrête la bande. Sapir : - N’êtes-vous pas allé en Norvège récemment ? Quenau : - Oui, c’est un fait. Mais je pense que derrière ce voyage en Norvège, il y a un besoin de vivre par un projet permanent que malheureusement elle ne réalise pas. Sapir : - N’y a-t-il pas aussi tout un système fantasmatique transposé sur vous et qui lui permet de vivre sans rien réaliser ? Quenau : - oui, vous parlez d’un transfert favorable… Sapir, avec un sourire satisfait : - … comme on dit dans notre langage. 32.35. Retour à la patiente qui insiste sur sa volonté de retourner en Norvège, « en pèlerinage pour ce moment heureux de ma vie », même si son mal l’empêche d’accomplir sa première partie en mobylette. Le médecin lui demande jusqu’à quelle période elle a travaillé. Elle explique qu’elle a fait des études d’infirmière après guerre et qu’elle a travaillé dans une clinique sans jamais souffrir. Par la suite, les premières douleurs sont venues, sans que la décalcification n’ait été diagnostiquée. Elle se sentait mal, fatiguée… Retour à la cabine, Quenau : - Remarquez l’habileté du niveau d’expression, tantôt psychologique – je me sentais mal – et l’instant d’après : ‘j’ai mal à la colonne vertébrale’. Retour à la patiente qui explique que les douleurs ont poussé l’hôpital à ne plus travailler. Pourtant, elle a continué de le faire auprès de malades non hospitalisés. Mais elle a fini par y renoncer après un trajet en car qui l’a laissée paralysée. Elle a apprécié de travailler auprès d’un handicapé, de constater qu’elle pouvait rencontrer plus malade qu’elle et qu’elle pouvait lui être utile. Retour à la cabine, Quenau de face, il lit ses notes : - Voilà donc trois malades représentatifs des consultations rhumatologiques, tous porteurs de douleurs de rebelles. Si j’ai donc choisi de venir consulter en milieu somatique, c’est pour qu’on réponde à ce niveau, tout au moins, en y englobant le vécu corporel de cette douleur dans le cadre d’une relation thérapeutique certes parfois lourde, mais nécessaire et supposant une adaptation constante de la distance entre le médecin et le malade. Sapir : - Oui, trois malades qui viennent avec une plainte et une demande : « Soulagez-moi ! » Mais le premier fuit, se sentant inférieur, la deuxième se sent ankylosée par sa maladie, et la troisième préfère vivre dans son fantasme que d’exister pour de bon. Comme quoi la demande et le désir ne sont pas toujours concordants. Et combien le médecin, effectivement, doit chercher à varier ses distances. Mais qu’est-ce que c’est que ‘varier la distance’ ?

Reprise progressive de la musique piano - flûte pendant la dernière minute. Elle s’impose à la dernière seconde sur un plan montrant le même dispositif que le générique du début : deux écrans, à droite, le dernier photogramme du film, à gauche le mot fin avec le logo du laboratoire. L’intention du film est de pousser les spectateurs, eux-mêmes médecins, à mettre en perspective les images de cas qu’ils ont vu, ceci en écoutant les commentaires que les mêmes images inspirent aux médecins filmés. Le débat auquel les spectateurs sont supposés se livrer après la projection consiste à poursuivre les échanges entre les deux médecins : ont-ils vu juste ? Ont-ils tout dit ? Ce principe sera repris dans Les pièges de l’urgence, autre film d’Éric Duvivier portant sur les interventions du médecin psychiatre dans le service des urgences de l’Hôtel Dieu à Paris. Les pièges de l’urgence impliquent le Dr Grivois qui, prenant l’exemple sur de récentes initiatives aux États-Unis, souhaite promouvoir la place d’un psychiatre dans un service d’urgences. Dans Rhumatologie…, les patients en entretien filmé sont ceux du Dr Quenau, lequel analyse les images avec le Dr Sapir. Celui-ci, formé à la psychanalyse, a travaillé sur les effets psychosomatiques au travail. Nous voyons un médecin qui fait part de cas qu’il a rencontrés et des relations thérapeutiques qu’ils ont engagées, à un autre médecin expert des relations patients-soignants. Leurs échanges sont-ils spontanés ? Nous pouvons observer à plusieurs reprises que le Pr Quenau consulte du regard des feuilles de papier disposées sur la table de montage, comme s’il s’agissait de notes à même de guider son discours. Par ailleurs, un passage paraît mis en scène : à 23.50, la réaction du Dr Sapir à la date donnée par la patiente pour situer sa première crise : l’année 1940. L’interrogation de Sapir : « Y avait-il chez elle un problème particulier qui l’a sensibilisé plus qu’une autre à la guerre ? » touche juste, comme nous le vérifierons par la réponse du Pr Quenau. Elle touche trop juste, semble-t-il, pour estimer qu’il s’agisse d’une simple intuition de sa part, pour ne pas faire l’hypothèse qu’il a auparavant eu connaissance du récit de la vie de la patiente pendant la Seconde Guerre mondiale, déterminant pour comprendre son comportement présent. De façon générale, il est difficile de penser que les différentes séquences dans la cabine, remarquablement rythmées, complémentaires l’une de l’autre à mesure que le film se déroule, n’ont pas été élaborées à l’avance. D’autant que les deux protagonistes demeurent dans une parfaite entente, un acquiescement mutuel qui rend les échanges fluides et intègres, comme un commentaire à deux voix. D’autre part, comme nous l’avons vu, les réactions du Dr Sapir mettent en lumière des pans inconnus du cas examiné, que le Pr Quenau va révéler : la figure de la conversation permet d’articuler deux approches complémentaires du même propos, l’une apportée par le praticien, l’autre par l’expert. Nous pouvons supposer que les nécessités de réalisation ont préétabli la mise en forme des séquences tournées dans la cabine : il s’agirait d’une reconstitution d’analyses à chaud, que le réalisateur devait dégrossir et ordonner pour pouvoir les constituer en contenus filmiques transmissibles, ce qui serait impossible si le film s’était limité à l’enregistrement d’une séance de travail saisie dans ses tâtonnements et ses contradictions.

Notes complémentaires

Références et documents externes

Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Joël Danet