Docteur B., médecin de campagne (1968)
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Sommaire
Générique principal
Gén. début : Aujourd’hui / Docteur B., médecin de campagne / une production de Claude Goretta et André Gazut / Un reportage de Alain Tanner.
Gén. fin : Images – André Gazut / montage – Françoise Lenoir / réalisation – Alain Tanner.
Contenus
Thèmes médicaux
- Pathologie. Médecine clinique
- Aspects divers de la maladie, du patient et de l'intervention médicale
Sujet
Le quotidien du Docteur Bugnon qui exerce dans une zone rurale en Suisse.
Genre dominant
Résumé
Portrait du médecin Bugnon qui pratique dans une zone rurale de Suisse romande. Ses propos sont associés à des séquences qui le montrent en action. Différentes situations sont montrées : visites, consultations, mais aussi réunions à vocation sociale avec des jeunes, des épouses de pasteurs, des voisins.
Contexte
Éléments structurants du film
- Images de reportage : Oui.
- Images en plateau : Non.
- Images d'archives : Non.
- Séquences d'animation : Non.
- Cartons : Non.
- Animateur : Non.
- Voix off : Non.
- Interview : Oui.
- Musique et bruitages : Non.
- Images communes avec d'autres films : Non.
Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?
Le film paraît justement ne pas diriger le regard du spectateur. Son absence de commentaire, il l'oblige à interpréter les gestes et les propos du médecin, un homme à la personnalité complexe. Avec ses travellings très libres, y compris dans les intérieurs comme la salle d'attente du cabinet, des plans qui paraissent fortuits, le film paraît se construire au fil du tournage. Certaines séquences sont pourtant soigneusement construites, notamment celle qui présente les enfants du médecin, ou bien celle qui montre la multiplicité des tâches dans une même journée au cabinet.
Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?
Il s'agit apparemment d'un portrait classique de médecin de campagne qui montre un homme dévoué pour sa patientèle, disponible et compréhensif envers elle. Pourtant, certains contenus le nuancent : le Docteur B a certes une vocation, c'est aussi un homme qui s'est rebellé contre l'ordre établi, un père original, un homme de convictions qui voudrait influencer les autres. Le portrait est chargé idéologiquement, marqué de cette façon par la période à laquelle il a été réalisé.
Diffusion et réception
Où le film est-il projeté ?
Diffusion télévisuelle (télévision Suisse romande).
Communications et événements associés au film
Public
tout public
Audience
Descriptif libre
Filmé de dos, plan épaule, un homme conduit une voiture. Bruit du moteur. Apparition des éléments du générique.
Visites dans la campagne enneigée
Int. Jour, image sous-exposée qui indique que le film se fait sans lumière additionnelle. Plongée sur une page de journal déployé puis sur une machine à coudre, raccord par la vibration de son moteur. En off : « Monsieur Pach ! » Un homme lève les yeux. Un autre homme bord cadre gauche : nous reconnaissons celui qui conduisait la voiture. « Monsieur Pach, pas trop mal ? », reprend-il. Il s’assoit à côté de lui, l’interroge sur son souffle et son sommeil. Derrière la machine à coudre, une vieille femme qui continue de la faire fonctionner.
Visages d’enfants en gros plan, ils regardent hors champ. Le médecin leur demande s’ils mangent leur soupe. La conversation continue sur leurs préférences culinaires (des patates) pendant que le patient réapparaît dans le champ, se débarrassant de sa veste comme on le fait d’un pull-over, réajustant son chapeau. On voit que c’est un vieil homme. Il ouvre sa chemise pour que le médecin puisse y passer son stéthoscope. De nouveau des enfants dans le champ : on en dénombre sept. La femme indique que l’un des petits a eu des douleurs à l’oreille. Le médecin se détourne du vieil homme pour examiner l’enfant. (02.43)
Retour sur un parcours
Ext. Jour, campagne enneigée, le médecin remonte dans sa voiture. Dans la bande-son, une fugue de Bach. Autre intérieur, celui d’une chambre, il examine un enfant resté dans son lit. Sa voix en off : « Je suis médecin et je pratique la médecine générale à la campagne. J’ai 44 ans, j’ai fait toute ma jeunesse à La Chaux-de-Fonds, j’ai préparé mon baccalauréat que j’ai raté. » Il ajoute que c’est à cause de ses différends avec certains professeurs. Il mène ensuite études à Neufchâtel et Lausanne. Il présente ses enfants, chacun apparaît à l’écran pour un mini-portrait (les trois plus jeunes, entre dix et douze ans, sont filmés face caméra, fumant une cigarette). Le médecin décrit le début ordinaire de sa journée : arrivée à l’hôpital à 8h pour voir ses malades, à 9 h début de ses consultations jusqu’à midi. (07.02)
Début de journée à l’hôpital
Plongée sur un vieil homme alité. En off, une voix de femme : « Il y a quand même une amélioration… » Léger pano qui rejoint l’infirmière qui se tient au chevet de l’homme, avec le docteur B. en amorce. Il va examiner un autre homme alité sur un lit voisin. « Est-ce que vous vous levez ? » demande-t-il. Plongée sur l’homme. « Tous les jours », lui répond-il. Une expression d’inquiétude et d’attente se lit dans son regard. Il ajoute qu’il n’a plus besoin que l’infirmière lui tienne le bras. Son élocution est difficile. « Vous avez plus de courage ! » lui dit le médecin. « Ma foi, peut-être… ». Au bloc chirurgical, le médecin avec bonnet, masque, se fait mettre un gant en plastique. Gros plan sur son visage, celui du chirurgien qu’il assiste, celui d’une infirmière. Regards dirigés vers le champ opératoire resté hors champ. Dézoom à partir de la lampe qui l’éclaire, le Docteur B. quitte la salle en ôtant son masque. En off, sa voix : « D’emblée j’ai pensé à faire de la médecine générale parce que ça me donnait une plus grande gamme de possibilités de contacts, et aussi pour un certain goût d’aller voir les gens chez eux. » Travelling embarqué dans la voiture du médecin qui conduit sur une route enneigée. Il explique son choix de pratiquer en campagne : « En ville, le médecin est plus anonyme qu’à la campagne où on a une présence plus réelle – avec tous ses inconvénients : on devient le point de mire de toute une population. » Désirant agir pour la société, il a le sentiment de mieux pouvoir le faire à la campagne. « J’ai toujours envie de tirer mes voisins, mes semblables vers le haut, de corriger leurs erreurs d’alimentation, de vie, qui amènent des désordres. » (10.27)
Séance de consultations
Int. Jour, dans une pièce, un homme enlève sa chemise. Le médecin l’ausculte en lui donnant des instructions. Gros plan sur ses mains qui percutent le dos de l’homme. « J’ai l’impression que dans ma façon de me vêtir, de manger, de faire des achats, je peux avoir une influence. » Plan général sur la salle d’attente filmée sous plusieurs angles. Une femme coud, une autre tourne les pages d’un magazine. Gros plan sur les mains d’une personne, l’une caresse l’autre, peut-être par impatience, ou appréhension. Dans la pièce de soins, le médecin avec une femme allongée sur une civière. Gros plan sur le visage de la patiente pendant qu’il lui explique ce qu’il fait : elle paraît très sereine. La civière se redresse pour des prises de vue radiographiques. À la verticale, la femme garde son expression calme, un sourire de confiance sur son visage. Cut. Filmée plan épaule, une jeune fille donne sa date de naissance et indique le prénom de son père. Pano sur l’assistante du médecin qui apparaît dans l’encadrement de la porte : il doit venir. Le médecin quitte la pièce. Contre-pano pour revenir sur la jeune fille qui restée seule, attendant son retour, jette quelques regards vagues autour d’elle. Pano en sens inverse pour montrer l’intérieur de la pièce d’en face par les deux portes ouvertes dans l’axe : on retrouve la femme qui se fait radiographier. Retour à la jeune fille assise, qui continue d’attendre. Son regard vers le haut indique que le médecin est de retour. La sonnerie du téléphone qui retentit couvre leur conversation.Autre patient dans la pièce de son bureau, un jeune homme. Le Docteur B. l’interroge à propos d’un médecin consulté pour un « recrutement » qui, l’ayant radiographié, a trouvé une tache sur son poumon. « Quand tu travailles, tu fais attention ? » Le jeune homme affirme que oui. « Certains jours, je suis vite fatigué. » Le docteur B. lui assure qu’il écrira une lettre adressée au médecin qui le prend en charge sur son lieu de travail. (15.55)
Un besoin de retour sur soi
Gros plan sur une scie circulaire qui fend un plâtre. Gros plan sur le visage d’un garçon qui fronce les sourcils en regardant sa lame entamer le plâtre. Le plan desserre pour montrer une femme présente, sans doute la mère. Elle sourit. Le médecin en off : « Certainement que la vie que je suis tenu de vivre est trop chargée. C’est pas moi qui le cherche, ce sont les malades qui m’appellent. J’ai essayé d’échapper à cette contrainte pour pouvoir lire. J’ai une certaine chance par rapport à mes confrères de la ville. Quand je roule pour aller d’un village à l’autre, j’ai l’occasion de réfléchir à toutes sortes de problèmes. » De nouveau un travelling embarqué dans la voiture du docteur B. qui traverse un paysage enneigé. Gros plan sur son profil concentré. « Depuis fort longtemps, je me pose des questions sur la Défense nationale… » Face caméra : « Si on veut trouver de nouvelles idées, il ne faut pas rester au schéma qu’on nous a inculqué. Actuellement, la solidarité entre les hommes est extraordinaire... » Un repas en famille. En off, le Docteur B insiste sur l’importance des vacances qui, par les voyages qu’elles occasionnent, permet aux membres de la famille de mieux se connaître, de ne plus se côtoyer passivement, et de découvrir les modes de vies d’habitants d’autres pays. Gros plan sur un livre ouvert. En off, voix de jeune fille qui lit un passage des Évangiles. La caméra desserre sur l’ensemble de la famille qui écoute. « Nous faisons un culte familial, très court. » Nous devinons que c’est au moment de l’après-repas. Le médecin précise qu’il doit ensuite repartir pour continuer sa journée qui se termine vers 22h. (20.10)
Nouvelles consultations, nouvelles visites
Le médecin n’a pas fini sa phrase en off que le film change de lieu. La réalisation emploie couramment ce procédé qui dynamise le récit, faisant faire à la bande-son des enjambements entre les séquences. Retour au cabinet. Un homme d’âge mûr s’étend sur une civière. Le médecin se tient à côté de lui, il a revêtu la blouse blanche. Il lui demande s’il a surveillé son alimentation. Contrechamp sur une femme au visage attentif. Le film montre régulièrement le tiers de la relation patient-soignant : le conjoint, le parent, silencieux et observateur. « Vous avez bonne mine ! » La même femme aide l’homme à enfiler sa veste. Elle tend ensuite au médecin « la feuille d’assurance-maladie ». Le médecin en vient à l’activité de la main du patient. « Vous aviez l’habitude de dessiner avec cette main, je me souviens. » L’homme hausse des épaules, puis lève le bras, agite les doigts de la main, passe l’autre main sur son avant-bras. Il bougonne : « Je me repose, je recommence… » Boutade pour évacuer le sujet sensible. Une mère avec son enfant, une petite fille. Celle-ci se met à pleurer quand le médecin lui demande de se positionner à plat ventre. Un garçon de dix ans auquel il administre une piqûre. « J’ai oublié la feuille d’assurance ! » dit-il avec le sourire, heureux de ne pas avoir manifesté sa douleur.
Dehors, le médecin accroupi devant la roue avant de sa voiture pour lui poser des chaînes. « Dans le travail, il y a un autre problème qui est celui d’éduquer les patients à appeler le médecin tant qu’il est temps. Si je fais une tournée de 40 kms, que les patients téléphonent aux quatre azimuts quand je reviens et que je dois refaire une tournée, la vie n’est pas viable. Il faut économiser les forces des médecins qui ne sont pas inépuisables ». Retour du violoncelle de Bach sur un plan qui montre la silhouette du Docteur B. marchant avec peine sur une route couverte d’une neige épaisse. Nouvelle visite dans une vieille maison isolée. Intérieur vétuste, lambeaux de tapisserie sur les murs, un torchon pend, un calendrier 1967 est accroché. Dans la pièce voisine, une chambre, un couple âgé. La femme, assise sur le lit répète la syllabe « pa », la voix de plus en plus haute. « Ne t’énerve pas ! » dit l’homme en peignant ses cheveux plantés dru sur son crâne. Prise de tension, regard inquiet de la femme. « Elle dort bien ? », « Elle dort extra ! » répond le mari. Le visage de la femme se détend, elle sourit, répète à nouveau la syllabe « pa » mais d’une voix gaie, en réponse au médecin qui lui a dit : « Votre mari vous soigne bien, hein ? Depuis un an, il vous fait faire votre gymnastique, vous aide à vous habiller, tout… » « Sans aller à l’hôpital, et sans aide sociale », précise le mari. « Cinq mois, couché sur le matelas, au pied de son lit… »
Entre médecins
Conversation avec des collègues autour d’une fondue. L’un d’eux souhaite un regroupement des médecins pour faire face à l’évolution des pratiques. Le docteur B. pose la question économique de l’installation dans les zones rurales : « Si les communes campagnardes ont envie d’avoir des médecins, il faut qu’elles connaissent ce problème de mises de fonds au moment où ils sortent de leurs études. La caution des communes me paraît être une chose souhaitable. » Le troisième médecin affirme que les paysans sont également familiers de ces problèmes. « Ils doivent travailler tout seuls avec des appareils de plus en plus chers, et ils se mettent à former des communautés d’exploitants. »
L’enjeu de la notabilité : avoir une voix influente
Bûcherons au travail dans les bois enneigés. Gros plan sur un flacon incliné, son contenu versé sur une main qui saigne, désinfection expéditive qu’accompagnent des grognements de douleurs et des rires. Le docteur B. en off à propos de sa patientèle : « Ce sont des braves gens mais ils sont timides et empruntés pour exprimer leurs idées et leurs sensations. Ils ont une timidité foncière qu’il faut toujours vaincre. » Des enfants jouent dehors avec la neige. L’un d’eux se tient à une rambarde, se laisse tomber dans la couche épaisse de neige qui, dessous, recouvre le sol. Plan caractéristique du film, dont le contenu ne paraît pas avoir de lien direct avec le propos tenu, mais qui témoigne du contexte social et du site où évolue le Docteur B. L’enfant chute juste avant la coupe du plan : petit trait noir qui tombe parmi les autres traits noirs qui restent d’aplomb ; scène furtive que le spectateur remarque sans être sûr de l’avoir vu. Face caméra, le Docteur B. continue : « Il faut sortir ce petit coin de la Suisse romande de sa réserve terrible, de son mutisme. Je m’occupe de la jeunesse, je suis chef-éclaireur, j’essaie de faire parler les jeunes. » En plan moyen, des adolescents et le Docteur B. réunis dans une pièce. Il les encourage à témoigner auprès « des gens du pays » du bon accueil qu’ils ont reçu pendant leur voyage en Turquie. Dans un bar, le Docteur B. s’adresse à des hommes assis à des tables. Il leur propose de faire pression sur le Conseil communal pour la construction d’un HLM sur son territoire afin de revitaliser la population qui ne cesse de décroître. L’existence de ce HLM faciliterait l’implantation d’une usine. Contrechamp sur les hommes qui écoutent, gros plan sur leurs visages attentifs. (36.05)
La femme du Docteur B. témoigne
Ext. Jour, plan d’ensemble d’une voiture se garant aux côtés d’une maison. À l’angle, un paquet de neige monte jusqu’à la fenêtre. Une femme sort de la voiture, l’épouse du Docteur B. Entrée dans une boutique, elle y fait des achats. En off, sa voix qui affirme qu’elle est infirmière et laborantine. Elle se plaint de l’isolement où elle se trouve ; elle n’a plus le temps de voir les amis qu’elle avait avant son installation ici. La ville lui manque où elle pourrait « simplement vagabonder ». En plan parallèle, une visite par le Docteur B auprès d’une femme âgée : peut-être le montage suggère que c’est de la carrière de son mari que dépend son choix de résidence. Plan sur des enfants qui sortent de l’école et rejoignent la voiture où attend la femme du Docteur B. En off, elle explique les avantages de la campagne : les enfants s’y plaisent, et elle-même a trouvé le cadre agréable. Mais les enfants devenus grands, le problème des transports se pose. Plans dans l’habitacle du véhicule : d’abord les enfants massés sur les places arrières, puis la femme du Docteur B., songeuse.
Médecin comme pasteur
Dans une salle de réunion, des femmes assises derrière des tables où reposent des tasses de café. Beaucoup d’entre elles tricotent. Gros plan sur leurs doigts qui manient les aiguilles et les brins avec expertise. Devant elles, le Docteur B. parle. Son discours fait comprendre que ce sont des épouses de pasteurs. Sa femme, comme elles, doit attendre chaque soir le retour de son mari. Le médecin se dévoue à ses patients comme le pasteur se dévoue à ses paroissiens. Les écouter prend un temps considérable. Il développe à propos des immigrés espagnols, italiens et tunisiens qui souffrent psychologiquement de la pression du racisme. Il évoque un homme qui, dans sa colère, lui affirme qu’il faudrait « tous les tuer ». « L’homme a besoin d’amour et de vie intérieure. » Il est difficile de savoir si la parole du Docteur B. est ici vraiment entendue. On pourrait interpréter le silence qui accueille ses propos comme l’expression d’une réticence. Finalement, de quelle autorité se pare le médecin pour les appeler à l’amour et la vie intérieure, sinon celle qui est justement attribuée au pasteur ? Et n’agit-il pas ainsi en militant qui met à profit son statut pour diffuser ses idées ? Pour illustrer son souci de faire lien avec les immigrés, la séquence suivante le montre en visite chez une famille italienne. Visage en gros plan d’un enfant malade, avec des voix d’homme et femme, restés hors champ, qui parlent en italien. Le plan suivant montre le Docteur B. poursuivre avec aisance une conversation en italien avec les parents de l’enfant.
Visite à des hommes seuls
Nouvelle séquence, une visite à un homme âgé, alité, que le médecin examine. À noter que depuis le début du film, il garde sur lui la veste doublée de laine pendant ses différentes visites. Il fait tousser le malade. « Hier, j’avais du souci pour vous. Vous aviez une congestion. Et puis on a arrangé ça. » Plongée, depuis le point de vue du médecin, sur le vieil homme. L’ombre dans la pièce souligne la maigreur de son visage et l’intensité de son regard. Il a gardé son gilet de laine. Il n’y a pas de drap qui recouvre le matelas sur lequel il est allongé. Cette fois, pas de conjoint, pas de parent, personne ne se tient auprès de lui. Le médecin l’interroge sur son appétit, il répond qu’il n’en a pas beaucoup et ajoute quelques mots affectueux à son adresse. « Moi aussi, je vous aime bien », répond le Docteur B. Dernier plan de la séquence sur le vieil homme devenu immobile, regardant vers la caméra. (45.56)
Dehors, vent qui souffle et fait virevolter les flocons de neige, l’image est un monochrome blanc traversé de rares formes noires ou grises : la silhouette d’un piquet, d’un pylône, d’une voiture. Paysages de solitude qu’il faut sans cesse arpenter pour se rendre d’une visite l’autre. En off, le médecin parle de sa vision de la médecine. Une science et un art. il a recours aux avancées techniques mais il puise aussi dans son expérience personnelle pour approcher les malades. « Il y a une anxiété latente, une anxiété profonde » dans la population qu’il côtoie. Il met la société en cause, « et toutes ces choses qui font que les gens présentent des maladies psychosomatiques ». Pour bien connaître les patients, ajoute-t-il, il est utile de connaître aussi leur famille. Nouvelle visite à un homme âgé. En plus de faire son diagnostic, le médecin l’interroge sur ses parents, fait travailler sa mémoire. Le vieil homme dit qu’il n’a pas peur de la mort mais de souffrir. « Vous êtes comme tout le monde », lui répond le médecin. Le vieil homme rit, la musique de Bach reprend. Le médecin le quitte mais la caméra, comme dans la séquence précédente, reste sur le vieil homme qui paraît perdu. C’est un « plan de compassion » pour reprendre les termes d’Alain Bergala, qui contrarie le mouvement normal d’une séquence déterminée par le déplacement du médecin : quand le celui-ci quitte la pièce, le film devrait l’avoir fait lui aussi. Ce plan résiduel qui se fait sans son personnage axial exprime à chaque fois cette minute de détresse que connaît le patient qui retourne à la solitude après le répit de la visite du médecin. Le Docteur B. en off pendant qu’il revient à sa voiture. Il se dit touché par la confiance que les personnes âgées accordent à leur médecin. Quand il va partir en vacances, elles le quittent en lui disant qu’elles espèrent le retrouver à la rentrée, ne pas être mortes entre-temps. « Là aussi le médecin général a une grande importance sociale, il peut faire en sorte que les gens meurent de leur belle mort, comme on le disait dans le temps. Ce droit à la mort, c’est une chose difficile de faire dans un cadre de technique pur. » Il souligne l’importance de pouvoir mourir à domicile, dans le cadre habituel de vie. « Si les gens meurent bien, une part d’anxiété du monde disparaît ». Tintement de cloche, panoramique sur la plaine blanche. Raccord son cloche, contreplongée sur une façade d’église, avec une procession qui se déroule devant. Long plan fixe, défilement d’hommes vêtus de noir filmés plan épaule, visages fermés. (54.46)
Parler de sexualité aux jeunes garçons
Succession de gros plans sur des visages d’adolescents, que des garçons, attentifs. En off, la voix du médecin qui s’adresse à eux. Il s’agit d’un cours d’éducation sexuelle. « Les hommes sont vite satisfaits, ils ne sont pas assez poètes, ils sont grossiers, ils sautent sur la femme, ils ont leur plaisir et après ils sont tranquilles, ils s’en fichent, ils se retournent et se mettent à ronfler. Et il y a un tas de femmes qui sont malheureuses ». Champ-contre champ, visage animé du Docteur B., expression concentrée de chaque membre de son auditoire, isolé dans le champ. « Toutes les femmes du monde sont beaucoup plus sensibles à cette ambiance d’amour qu’il y a autour. Et si on fait la première fois l’amour avec une putain dans un bordel, il y a toutes les chances que cette fausse image dure toute la vie. » Le médecin insiste sur l’importance des caresses « qui trouvent leur accomplissement dans l’acte ». Derrière lui, un tableau noir où sont dessinés l’appareil sexuel féminin et l’anatomie de la femme enceinte. « J’arrive à 45 ans, et j’ai toujours autant de plaisir à faire l’amour avec ma femme. Le changement n’apporte rien de plus. L’acte sexuel est toujours le même, c’est ce qu’il y a autour qui lui donne son prix. » Il ajoute que le plaisir se trouve à n’importe quel âge, y compris dans la vieillesse.
Dernière séquence, en montage parallèle. Dans sa maison, la famille fête les 10 ans d’une de ses filles ; dans son cabinet avec un jeune homme auquel il coupe les fils de sa cicatrice d’opération ; dans la nuit en voiture. Quand il était jeune, il voulait être médecin de brousse. Puis il s’est rendu compte « qu’il y avait de la brousse ici aussi. » La voiture continue d’avancer dans les pâleurs de l’aube. « Il faut un peu de folie, un peu d’imagination pour pouvoir voir clair dans l’avenir. » Le violoncelle de Bach reprend une dernière fois. Panneau : « Ce film a été réalisé en janvier 1968. »
Notes complémentaires
Sur le site dédié à Alain Tanner (http://www.alaintanner.ch) : "Pour cette émission, Tanner avait choisi un authentique médecin de campagne, le docteur Bugnon, père de cinq enfants, harassé de travail. Occupé 18 heures sur 24, le docteur B. ne dormait plus, ne pensait plus, ne voyait plus d'amis. Après l'émission, il prit conscience du vide de sa vie, se mit à prendre des loisirs, sombra dans une dépression profonde, puis se reposa trois mois au bout desquels il se recycla. Cette histoire vraie est à l'origine de "Charles mort ou vif" ; par transposition, l'aventure du docteur B. est devenue celle de Charles Dée, petit P.D.G. suisse qui, face à la télévision, prend conscience de la vacuité de son existence passée et s'en évade pour une tentative de vie libertaire."
Sources : "Alain Tanner-John Berger", Tome 23, Coll. Théâtres au Cinéma, Bobigny 2011
Références et documents externes
Contributeurs
- Auteurs de la fiche : Joël Danet