Le foyer de la colère (1974)

De Medfilm



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Titre :
Le foyer de la colère
Année de production :
Pays de production :
Réalisation :
Durée :
40 minutes
Format :
Parlant - Couleur - 16 mm
Langues d'origine :
Sous-titrage et transcription :
Sociétés de production :
Commanditaires :
Corpus :

Générique principal

Le générique est absent du film : la copie présente a dû être réalisée à un stade antérieur de post-synchronisation. Sur la plaquette du programme des films de l'édition 1974 des Entretiens de Bichat, Le foyer de la colère est indiqué avec la mention : "Travail de l'équipe du foyer du cerisier - Secteur psychiatrique de Villeurbanne (Lyon) : André Beetschen, Dominique Boisson, Nicole Bonamy, Monique Chopard, Jean Devaux, Jacques Dill, Claude Fischer, Roland Iatonni-Gagne, Claude Laritan, Eva Michel, Françoise Ronzon, Marcel Sassolas. Réalisation Eric Duvivier et Albert Luzuy. Cinémathèque sandoz.

Contenus

Sujet

Expérience de cohabitation de patients psychotiques logés dans une ancienne maison de particulier dans Villeurbanne.

Genre dominant

Documentaire

Résumé

Sur le mode du cinéma direct, avec de longues séquences immersives, une succession d'instants communautaires dans un foyer de psychotiques. En alternance, des entretiens avec des voisins qui expriment leur réprobation devant cette initiative qui les contraint de cohabiter avec une population violente et imprévisible.

Contexte

La psychiatrie de secteur

Le dispositif du secteur, reposant sur un continuum « dedans – dehors », implique des acteurs appartenant à une même équipe pluridisciplinaire, garantissant notamment la continuité des soins. La circulaire du 15 mars 1960 qui a fondé la sectorisation psychiatrique est conçue par une responsable d'administration, Marie-Rose Mamelet, avec les psychiatres Le Guillant, Mignot, Bonnafé, Bailly-Salin et d'autres. Cette circulaire, particulièrement novatrice n'a trouvé aucune application autre que celle opérée par des psychiatres déjà adeptes d’une psychiatrie communautaire et souhaitant rompre avec la majorité de leurs confrères, restés des médecins aliénistes.

À partir de 1972, la sectorisation prend son essor et s'accompagne de la création de structures extrahospitalières : les dispensaires d’hygiène mentale, les hôpitaux de jour. Le développement des « visites à domicile » permet de maintenir dans la cité la personne atteinte d’une affection mentale. Certes, le développement de ces pratiques reste disparate et le découpage en secteurs psychiatriques correspond encore trop souvent inopérant, puisque les pratiques thérapeutiques hors les murs ne sont pas encore mises en oeuvre.

Le financement : selon quelles orientations, avec quels acteurs

La tentative de rénovation par la mise en place du secteur a pâti d'un contexte économique défavorable qui a empêché l'élaboration d'un mécanisme de financement souple et efficace. Encore dans les années soixante, les actions extrahospitalières étaient financées sur des dépenses obligatoires de groupes destinées à lutter contre les "fléaux sociaux" (tuberculose, maladies vénériennes, alcoolisme, toxicomanies…) et développer des actions de prévention (vaccinations, protection maternelle et infantile …). Dans les années 70, les dépenses extrahospitalières d’hygiène mentale ont progressé selon des taux très élevés par rapport aux décennies suivantes. Rappelons qu’à l’époque, l’extrahospitalier (à l’exception des hôpitaux de jour) relevait de la seule responsabilité des psychiatres, chefs de secteur et non des directeurs des établissements hospitaliers de rattachement. À la suite des divers chocs pétroliers et de la crise économique qui s’ensuivit, les années 80 furent marquées par une volonté de maîtrise rigoureuse des dépenses, qu’il s’agisse des crédits de l’État, comme de ceux de l’assurance maladie. La loi du 22 juillet 1983 relative aux transferts des compétences entre l’État et les collectivités territoriales a mis fin au système de financements croisés des dépenses d’hygiène mentale, et confié à l’État seul le soin de financer sur ces crédits les actions extrahospitalières en psychiatrie.

Éléments structurants du film

  • Images de reportage : Oui.
  • Images en plateau : Non.
  • Images d'archives : Non.
  • Séquences d'animation : Non.
  • Cartons : Non.
  • Animateur : Non.
  • Voix off : Oui.
  • Interview : Oui.
  • Musique et bruitages : Non.
  • Images communes avec d'autres films : Non.

Comment le film dirige-t-il le regard du spectateur ?

Le film décrit au jour le jour les débuts de la nouvelle collectivité formée au Foyer des cerisiers par les patients et les soignants qui les prennent en charge. Des passages font allusion au film entrain de se faire. De cette façon, Duvivier cherche à grouper dans le même récit les premiers temps du foyer et le film qui se construit au même moment pour en témoigner. Il met film et fondation du foyer sur le même plan, comme deux approches liées autour des patients considérés comme sujets d'une expérience à la fois thérapeutique et filmique : quelle prise en charge découle de cette expérimentation situationnelle, quel type de cinéma découle de son enregistrement? Cette entreprise double suppose une semblable disponibilité chez les médecins comme chez le réalisateur pour la vie qui jaillit de ce dispositif social que la communauté réinvente chaque jour. Les situations décrites, souvent tendues et conflictuelles, ne correspondent pas à des échecs de la vie du foyer, mais à des expériences qui renseignent sur le comportement des malades, considérés individuellement ou selon le groupe qu'ils forment, et le type de relations thérapeutiques qui découlent de ce mode de vie communautaire.

Ce discours réflexif, au sein du film fini, sur le même film entrain de se faire comme un de ses éléments narratifs était déjà présent de manière structurante dans le documentaire de référence Chronique d'un été, réalisé en 1961 par Jean Rouch et Edgar Morin.

Comment la santé et la médecine sont-elles présentées ?

Dans ce film, la santé et la médecine sont très subtilement présentées. Le principe du foyer sanitaire fait qu'il y est constamment question des relations entre patients et soignants. De même, dans les séquences de réunions où les uns sont mêlés aux autres, il est souvent difficile de les distinguer. Schématiquement, c'est à leur port de la veste et de la cravate qu'il est possible de repérer les soignants hommes, une identification que confirment leurs discours orientés sur les questions de prise de responsabilité, ou qui font l'analyse psychologique des propos qui précèdent leurs interventions. Le film indique que les soignants ne sont présents dans le foyer qu'aux réunions du lundi soir. C'est aux patients d'assumer ensemble la vie quotidienne du foyer. Cette démarche qui vise à les émanciper de la prise en main excessivement protectrice de l'hôpital n'est pas sans danger comme le montre l'évolution du récit. C'est le voisinage qui pâtit de ce manque de cadre. Certains patients vivent cependant cette supervision intermittente comme un abandon. En fin de film, l'évocation de tentatives de suicides qui surviennent dans le groupe ou dans son entourage, les plaintes écrites du voisinage, amènent les soignants à réviser leur mode de participation à l'organisation du foyer, à s'y impliquer davantage pour mieux accompagner les patients, et mieux les intégrer dans le tissu social (le voisinage de l'immeuble et du quartier) où ils les ont inscrits.

Diffusion et réception

Où le film est-il projeté ?

Universités, lieux professionnels dédiés. Diffusions pendant l'édition 1974 des Entretiens de Bichat les 27.09 à 16h45 (amphi G) et 06.10 à 17h40 (amphi E) (cf. plaquette des Entretiens de Bichat, col. personnelle de Gilles Spano)

Communications et événements associés au film

Public

Public professionnel dans la psychiatrie et l'action éducative spécialisée.

Audience

Descriptif libre

Le rêve d'un lieu

Au générique de début, le logo Sandoz apparaît sur fond d'un motif filaire recouvert d'un monochrome bleu. Une musique jazz se fait entendre, vue d'ensemble sur la façade grise d'un immeuble. Affichée au travers du linteau de l'une de ses deux doubles portes, une banderole indique : "Locaux à céder." Le plan suivant montre une cour d'immeuble étroite et ombragée, avec une table et des chaises d'extérieur. Un panoramique révèle qu'il s'y trouve une petite bâtisse. La végétation a gagné du terrain sur ses façades et les allées. L'endroit pourrait être coquet et avenant s'il ne paraissait délaissé depuis longtemps. Le commentaire : "En été 1971, s'ouvre rue des Charmettes à Villeurbanne le Foyer des cerisiers. Quelques pièces abandonnées, un bout de jardin... Voilà le lieu que vont habiter et construire des malades que l'on nomme psychotiques". Travelling avant sur la porte de la maison à laquelle une pancarte est accrochée. Dessus sont peints en blanc les mots "Chien méchant". La porte s'ouvre sur un intérieur laissé en désordre, avec des pièces de charpente qui jonchent le sol ou se tiennent en porte à faux contre les murs, des panneaux de bois posés contre un tabouret cassé et une étagère supportant des petites armoires en bois. Un filtre bleuté, du même bleu que le premier plan du film avec le logo Sandoz, recouvre tout le champ de l'image qui se fige. C'est sans doute le fond sur lequel il est prévu faire défiler le générique du début (mais il n'apparaît pas : la copie disponible doit correspondre à un stade antérieur de post-production). Quand le travelling avant reprend, le filtre bleu disparaît et le film reprend ses teintes normales. Le mouvement montre le reste de la pièce, laissé dans un même état d'abandon que le reste. Contre un des murs, une affiche de publicité pour chaussures : la vocation du bâtiment était-elle une boutique de chausseur? Le commentaire reprend : "À l'origine de ce projet : un groupe réunissant depuis quatre ans, au dispensaire de Villeurbanne, malades et soignants. Au fil des mois est né le désir de faire autre chose ensemble que parler." La caméra revient sur le hall de l'immeuble, plongé dans l'obscurité, avec en point de mire, un rectangle de lumière aménagé par la porte d'entrée laissée ouverte sur la rue : l'image symbolise-t-elle le parcours du patient, lequel n'est pas voué à rester sans issue? "Parmi les membres de ce groupe, certains ont du mal à vivre en dehors du milieu protégé de l'hôpital psychiatrique." Cette observation du commentaire retentit avec l'analyse par le psychiatre Jean Guyotat du "psychisme en passoire" du malade psychotique dans Le psychotique dans la ville, film contemporain réalisé par Duvivier sur la psychiatrie de secteur (voir la notice Medfilm correspondante) et tourné aux alentours de l'Hôpital Le Vinatier. Le commentaire poursuit : "Ainsi, le désir commun d'ancrer dans la réalité la vie du groupe suscite le rêve d'un lieu pour vivre." La caméra erre dans les pièces de la maison à reprendre, avec ses portes aux vitres brisées, ses bouts de meubles qui jonchent le sol, ses murs aux fils électriques dégainés : il y a visiblement tout à faire. Le commentaire évoque par-dessus le marché les "tractations avec les propriétaires, régisseurs, bailleurs de fond" qui ont dû être menées pour que le projet aboutisse. Il ajoute que les frais de remise en état n'étant pas couverts, ils sont pris directement en charge par le groupe, sans "aide officiel". Cette autonomisation d'une structure qui fusionne les patients et les soignants pour prendre en main un lieu de soins rappelle dans quelles circonstances Jean Oury a fondé la clinique de la Borde : au terme d'une itinérance avec des malades suite à l'impossibilité de réaliser les travaux nécessaires dans la clinique psychiatrique où ils étaient pris en charge. Le départ du lieu de soins agréé par les patients et les soignants ensemble initie une dynamique qui aboutit à une refonte structurelle de leurs relations. (02:40)

Premières heures du foyer

Des hommes sont maintenant visibles dans la cour. Les premiers sons ambiants se font entendre : une confusion de voix par-dessus laquelle s'impose celle d'un homme qui baragouine l'anglais. Nous le voyons franchir le vestibule de l'immeuble, se mêler aux personnes rassemblées dans la cour. La caméra le met en scène en le suivant par un panoramique : il est jeune, élancé, un foulard autour du cou, sa démarche est vive, il tangue un peu. Une voix de femme en off l'interpelle, il se nomme Jean-Baptiste. Ellipse, le même groupe est rassemblé autour des tables du jardin, sur lesquelles sont posés à présent des verres et des bouteilles de bière. Jean-Baptiste continue de dominer la conversation collective, promettant de "flinguer à coups de Thompson (pistolet-mitrailleur américain) les pédés qui m'ont enculé au Vinatier". Il ajoute qu'il y est venu à douze ans, après une enfance en milieu rural. On sent l'atmosphère de fin de soirée, quand l'alcool a embrumé les cerveaux et mis les sensibilités à vif. Il paraît curieux de rapporter de telles images de ce qui paraît être la soirée inaugurale du foyer : rien n'est montré d'une programmation des festivités et de l'accompagnement qu'elles supposent. Autour de la table, il est question de trouver un matelas pour faire dormir un patient qui vient de décider de s'installer là. Ces scènes laissent penser que l'improvisation règne, et qu'il manque un cadre pour stabiliser les rapports au sein du lieu. C'est l'expérimentation qui prévaut, dont le film en retrace les différentes étapes. Commentaire : "Le groupe abandonne le dispensaire pour se réunir aux Cerisiers." Panoramiques sur les convives autour de la table : il est difficile de distinguer les patients des soignants. On reconnaît quand même l'homme aux cheveux bouclés et lunettes noires qui figure également dans "Le psychotique dans la ville", film que nous avons mentionné plus haut : une de ses séquences (27:08 > 29:03) qui le montre longuement en présence de sa mère témoigne de l'emprise qu'elle exerce sur lui. Ici, nous le voyons fatigué et désinhibé par l'abus de boisson. D'une voix pâteuse, il déclare devant l'assemblée : "Moi je n'ai jamais connu mon père, et mon gosse il ne connaîtra jamais le sien!" il explique qu'il a eu son enfant à seize ans, que la femme qui en est la mère, alors âgée de trente ans, l'a quitté aussitôt par ce qu'il n'était encore "qu'un gosse". Ainsi, dans cette même scène, un deuxième traumatisme se déclare - ou peut-être se ressasse. Un médecin intervient, qui invite à parler du projet de la maison, mais aussi du film entrain de se faire, à savoir celui que nous voyons. En incluant cette remarque dans son montage, Duvivier cherche à grouper dans le même récit les premiers temps du foyer et le film qui se construit au même moment pour en témoigner. Il met film et fondation du foyer sur le même plan, comme deux approches liées autour des patients considérés comme sujets d'une expérience à la fois thérapeutique et filmique : quelle prise en charge découle de cette expérimentation situationnelle, quel type de cinéma découle de son enregistrement? Cette entreprise double suppose une semblable disponibilité chez les médecins comme chez le réalisateur pour la vie qui jaillit de ce dispositif social que la communauté réinvente chaque jour.

Un autre patient, épaisses rouflaquettes sur les joues et pipe en bouche, s'adresse à l'homme aux lunettes noires pour le féliciter d'avoir dit son problème. "Moi, je n'aurais pas eu ton courage!" lui déclare-t-il, ajoutant qu'il espère que d'autres patients seront capables à leur tour de s'exprimer. Il sous-entend que le contexte du foyer devrait permettre le jaillissement de cette parole nouvelle et libératrice. Pour Jean-Baptiste, s'il n'a pas été directement question de la maison pendant cette conversation de groupe, ce qui s'y est dit (les blessures profondes qui s'y sont exprimées) a permis de saisir ce qui motive le projet du foyer. Il interpelle directement un des médecins, le désignant du doigt : "Docteur, moi, je pense que l'homme est plus important que sa maison!" Son voisin, l'homme aux lunettes noires, pense au contraire que la maison est plus importante "parce que l'homme a besoin de s'abriter". Cette parole est celle d'un homme qui cherche justement un abri. (07:25)

L'épreuve du réel : le temps de la cohabitation

Longue séquence sur la fin de soirée où quelques-uns sont en train de ranger la vaisselle à l'intérieur de la maison "Lors des premières réunions, le foyer apparaîtra comme un lieu protégé, idéalisé. C'est un espace d'illusion où l'on espère réparer dans l'imaginaire le manque de chacun." Le commentaire ajoute, préparant de cette façon la nouvelle séquence qui traite des difficultés de la vie ensemble : "Mais c'est en devenant objet réel à partager que Le Cerisier va bientôt susciter la rivalité entre ceux qui habitent et ceux qui n'habitent pas, ceux qui participent aux travaux et ceux qui ne le font pas. Certains patients du lundi soir ne supporteront pas cette montée de haine et partiront. Pour les autres, c'est désormais dans la manipulation du réel que se vivent et se parlent les affrontements." Vue d'ensemble dans une pièce sous-exposée. Des hommes assis sur deux rangées se font face. Malgré l'exiguïté des lieux, la caméra parvient à suivre, voire à prévenir les prises de parole, montrant tour à tour les différents locuteurs qui s'affirment dans l'échange. La conversation est confuse : il est question d'un couloir à nettoyer, un patient aux cheveux bouclés s'emporte après un "espagnol" qui devait venir et n'est finalement pas venu, ses propos ont une franche tonalité raciste. Ce patient parle beaucoup, sa gestuelle est vive. Un médecin lui répond : "Ce n'est pas un coup qu'il vous a fait, il ne pouvait vraiment pas." Un débat, mené par les médecins, s'ensuit sur la répartition des lits dans les pièces et l'organisation du couchage des patients selon leurs affinités de caractère. La discussion se complique du refus catégorique du patient qui s'en prenait à l'"espagnol". Le patient à la pipe, irrité de ces discussions mises en échec, déclare qu'il va partir des lieux, qu'il a d'autres endroits où "bricoler", chez lui ou son voisin. Il s'emporte : "Ils veulent être nourris, logés, et qu'on les torche encore!" Il reproche au patient aux cheveux bouclés, qu'il dénomme "Fort", d'avoir voulu que les réunions de groupe du lundi soir se tiennent au dispensaire pour exclure les autres membres du foyer. Comment lire de telles séquences dont les tenants sont difficiles à cerner? Comme des situations de vivre ensemble où s'affirme le relationnel des personnes en présence, qu'il soit de l'ordre de la concertation ou du conflit. L'important n'est pas ce qui se dit mais comment, par ce qui est dit, les caractères se manifestent et se situent l'un par rapport à l'autre. (13:06)

Portrait d'un incompatible

Par une brève séquence tournée dans sa chambre, portrait de Fort, l'homme aux cheveux frisés qui, dans la séquence montrant la réunion de groupe, a beaucoup parlé et a suscité l'animosité d'un autre patient. Il déplace une chaise, ajuste son dessus de lit, déplace son pardessus, ferme son placard avec des gestes pressés et raides, ne cesse de converser en même temps. Le commentaire décrit son caractère et l'effet que son comportement produit sur les autres membres du Foyer : "Ce premier habitant est un membre du groupe. Il a toujours témoigné d'une très grande avidité et un insatiable désir d'être aidé, nourri, protégé. Le Cerisier est désormais son territoire, il en prend possession, ressent vite les autres comme des intrus, refuse de participer aux frais de location : est-ce qu'on paye un loyer quand on est chez soi? " Nouvelle séquence qui montre des membres réunis sans lui le soir, dans la cour du foyer. On distingue parmi eux l'homme à la pipe avec lequel il a eu une altercation. C'est le moment où les langues se libèrent au propos de Fort : un profiteur, un fainéant. L'un d'eux en appelle aux médecins pour vérifier si son cas relève bien de la psychiatrie. L'homme à la pipe affirme que Fort cherche à dissimuler le fait qu'il a fait un séjour au Vinatier : "Il ne veut pas avouer qu'il est malade! Quand je lui ai demandé ce qu'on faisait tous, là, il m'a répondu : 'Ah, je sais pas!'" L'homme à la pipe, incidemment, fait part de sa propre réflexion sur la situation qu'il vit lui-même, et qu'il doit partager avec Fort. Le commentaire développe sur la diversité des réactions qu'entraîne l'attitude de Fort : "D'abord objet de la sollicitude de tous, il devient l'objet de la haine de chacun. Haine que les uns fuient en la désertant parce qu'ils la vivent comme une menace de destruction à l'intérieur d'eux-mêmes, que les autres annulent dans des conduites compulsives de dons de nourriture, que d'autres rationalisent dans cette interrogation : est-il fainéant, est-il malade? " Un tel portrait fait penser à l'insaisissable héros du roman de Joseph Conrad, Le nègre du Narcisse, marin qui, s'étant fait porter malade dès le début de la course, est considéré au sein de l'équipage soit comme un simulateur, soit comme un illuminé agonisant. Il peut paraître curieux de voir cet échange, où l'un des membres est directement mis en cause, être filmé sans que les médecins présents ne cherchent à la modérer. (15:42)

Une quotidienneté conflictuelle

Panoramique dans une des pièces, le long des murs tapissés, chargés de photos et de reproductions de peintures, puis de la fenêtre fraîchement repeinte, avec des couleurs différentes sur le châssis et le cadre. Trois hommes installés sur un lit regardent devant eux. Contrechamp sur un poste de télévision : c'est le film qu'il diffuse que regardaient ces hommes. Le commentaire revient sur les difficultés pour ces hommes de vivre ensemble : "Ils sont trois à présent à se partager, ou plutôt se disputer Le Cerisier." La caméra glisse de nouveau sur les murs, s'attarde sur les images posées dessus. "Chacun y laisse son empreinte, et aménage à sa manière son lieu. Bref, le Foyer se construit et par là se réalise le désir du groupe." La caméra resserre sur la table de chevet où sont posés des disques dont le premier est de Mouloudji, et une pile de livres avec au sommet les "90 leçons d'anglais" du Livre de Poche (méthode de Judith Ward et Claude Caillatte). Le commentaire reprend pour corriger l'image sereine que donne cette séance de télévision : "Mais derrière l'illusion d'une communauté béate pointent de nouveaux conflits." Cut, raccord violent sur une scène de groupe (nous y remarquons une unique femme) où nous retrouvons Fort en conflit avec un homme qui se tient debout, fait le geste de gifler, dit : "C'est pas un mec comme toi qui va me faire peur!" Il va se rasseoir mais continue ses menaces. L'homme à la pipe proteste avec calme : il n'admet pas les échanges d'insultes. De même, un médecin les juge intolérables. Fort relance l'homme qu'il a énervé par des : "On en reparlera". De l'art de ne jamais terminer un conflit, de laisser toujours possible un regain de tension. "Les montagnes, ajoute-t-il de manière énigmatique, finissent toujours par se rencontrer!" Nouvelle scène de tension au sein du Foyer, nouvelles disputes accompagnées de menaces ou de jugements sur l'un ou l'autre de ses membres. Finalement, s'interroge le spectateur, quel est le sens thérapeutique de cette expérience d'un vivre ensemble laissé dans le conflit permanent, sans que ne soit mis en place une activité structurante qui divertisse chacun de lui-même et des autres? (18:18).

Les relations tendues avec le voisinage

Intérieur d'un café. Une femme derrière le comptoir sert deux hommes. Le commentaire précise que l'établissement jouxte le foyer. Ce café "devient le lieu de résonance des réactions et de l'hostilité croissante du voisinage. La caméra serre sur la tenancière qui essuie des tasses pendant qu'elle parle. Elle sourit, regard caméra : "Et bien moi je trouve normal de soigner ces gens-là, mais pas au milieu de la population parce que sans arrêt on est embêté." Elle se plaint du bruit qu'elle doit subir chaque nuit, du risque qu'un incendie se déclare dans le foyer et gagne son propre immeuble (elle signale qu'il y a déjà eu quatre alertes), des bagarres répétées. Une scène similaire survient plus loin dans le film, permettant d'extérioriser le point de vue et de montrer comment l'entourage exposé reçoit l'initiative d'un foyer pour psychotiques inscrit dans un quartier. (19:00)

La menace collective : aller au "pavillon N"

Panoramique dans une des pièces du foyer, montrant des meubles déplacés, des sachets et des vêtements qui traînent, signes de relâchement et négligence. Le commentaire explicite l'image par une lecture psychologique : "La destruction du foyer succède à sa construction. Cette dégradation, même aussitôt réparée, désigne, dans sa répétition, l'envie de détruire que les patients ressentent à l'égard de leurs propres corps. Comme s'il fallait que ce foyer, enfant du groupe, meure aussitôt conçu." Nouvelle réunion en soirée, toujours saisie in media res. C'est au spectateur de deviner les ferments de l'échange et les causes des comportements outrés que la caméra restitue. Cette fois, plusieurs femmes sont présentes dans l'assemblée, membre de l'équipe soignante comme le montre la réunion de la même équipe quelques scènes plus loin. Le film, cependant, n'aborde pas la question des relations hommes-femmes au sein du foyer. Or les patients qui l'occupent ne sont que des hommes. Est-ce que cette exclusivité de genre dans le recrutement des occupants ne détermine pas le choix du genre de celles et ceux qui sont appelés à les accompagner? Nous reconnaissons la femme qui était présente à la soirée d'ouverture. Son regard trahit tantôt l'ennui, tantôt l'inquiétude.

L'ambiance de la réunion est au psychodrame comme à chaque fois. Le propos reste le même : "pourquoi ça ne marche pas?" Fort, isolé dans le champ, assis derrière une bouteille, accuse les autres membres de le laisser seul à la maintenance du foyer. Le cadre s'élargit pour montrer la tenancière du café voisin poser un plateau chargé de bouteilles sur une table de la cour. Un des médecins se plaint d'un de Fort coupable d'un esclandre public parce qu'il n'a pas voulu le recevoir tout de suite. Il explique : "je crois que tout ce qui se passe est lié à ça. Il faut qu'on donne tout, tout de suite, et comme on n'y arrive pas..." De nouveau, Fort parle d'argent, estime que s'il en avait eu sur lui il aurait été traité différemment. "Vous faites tout pour les gens qui donnent du pognon!", accuse-t-il avec des gestes vifs du bras et en hochant de la tête sans arrêt. Les autres protagonistes montrés dans le champ restent passifs, fument et boivent. Le médecin continue, expliquant qu'il est considéré comme bon "à pendre" s'il ne satisfait pas les patients. Son voisin, autre patient, le prend au mot : "Tu devrais déjà être sous terre!". Pour ce même patient, le foyer pourrait fonctionner si chacun pouvait vivre "une vie normale". C'est-à-dire avoir une activité professionnelle qui permette de faire sa journée de travail et payer son loyer. "Je peux pas!" bougonne son voisin, l'homme aux lunettes noires que nous avons vu dans la séquence de la soirée d'ouverture. Moment de légère accalmie avec l'arrivée d'un homme qui vient serrer la main de chacun. La lassitude gagne les esprits, le patient qui se tient à côté du médecin continue de maugréer, déclarant que plus rien ne l'atteint. Il en vient à parler de la mort, et incidemment, de ses tentations suicidaires : "J'ai peur de la mort, et je n'en ai pas peur à la fois. Puisque je me fous en l'air tout doucement..." En off, une voix lui répond qu'il recherche la mort, il approuve. "Quand je prends mes cachets, c'est parce que je ne peux pas m'exprimer auprès de vous. Parce que je sais que vous ne me comprenez pas." Son voisin évoque plusieurs crises survenues chez lui et ses proches, son frère et sa femme. Tous ont cette expression : "aller à N". Il est en fait question de tentatives de suicide comme l'explique le commentaire : " Patients et soignants s'interrogent sur les tentatives de suicide médicamenteuses répétées de plusieurs habitants du foyer, qui les amènent au pavillon N - service d'urgence toxicologique." Le médecin réagit : selon lui, la dépression collective est en fait un effet de chaîne voulu par chacun. "Quand vous êtes paumé, que ça ne va pas, vous voulez que tout le monde soit au même niveau. Plutôt que d'exprimer pourquoi ça ne va pas, on se démerde pour que tout le monde aille mal. C'est ce qui se passe là-dedans." Il constate que la morosité s'est installée au sein du foyer, évoque le dispensaire comme alternative. Son voisin, le patient qui s'est confié sur ses tentatives de suicide, se met en colère. Il balance la cannette qu'il avait en main (on entend en off un bruit de bris de verre), se lève et quitte la cour en maugréant "Vous êtes tous des cons". (25:27)

Les relations tendues avec le voisinage (2)

Dans le café qui voisine le foyer, deux femmes de part et d'autre du comptoir : la tenancière et une habitante. Cette dernièred se plaint des médecins qui vont et viennent dans le foyer sans y rester avec les patients. Le gros plan sur son visage met en avant les traits tendus de son visage et son regard qui exprime du mécontentement. Pour elle, ce sont les voisins, forcés de cohabiter avec les patients, qui font les frais de l'expérimentation. Elle constate que tant que le médecin est présent, les psychotiques se tiennent "à peu près d'aplomb" parce qu'il arrive "à les faire causer". Elle montre de cette façon qu'elle a bien compris le travail thérapeutique en cours. Mais, ajoute-t-elle, fronçant les sourcils : "il faut y voir après quand ils sont tout seuls! Ce n'est pas possible de se rendre compte de ce qu'il se passe en n'étant pas là!" La tenancière renchérit. Elle compare à un "gourbi" ce lieu qui a été nommé "foyer sanitaire". La voisine raconte qu'elle y a trouvé des assiettes cassées, "même de la chose en parlant poliment : c'est dégoûtant!" Ici, le mot "sanitaire" est discuté parce qu'entendu selon une acception matérielle. Cette interprétation suppose qu'un foyer dit "sanitaire" doit être exemplaire du point de vue des règles d'hygiène. Il y a comme une dérision involontaire à associer ce qualificatif, qui suggère une labellisation puisqu'il est le fait de l'institution médicale, à un lieu qui déroge aux normes élémentaires d'entretien. (26:36)

Le "debrief" des soignants

Réunion des soignants dans un restaurant. Le commentaire précise que ce moment de concertation est mis en place chaque semaine au lendemain de la réunion du lundi soir qui s'est tenue au Cerisier. À remarquer que cette séquence aide à distinguer les soignants des patients auxquels ils étaient mêlés dans les scènes tournées au foyer. Selon le commentaire qui poursuit, c'est un "moment réparateur où s'évoquent les réactions et attitudes de la veille." Il précise cependant que des divergences s'y manifestent qui soulignent des "rivalités dans l'équipe". Dans les conversations, il est question des plaintes du voisinage et du sentiment d'abandon qu'expriment les patients. "Il apparaît ainsi que l'absence délibérée d'un soignant en permanence dans les murs, condition nécessaire de moindre dépendance est ressentie comme un abandon. Mais déceler ce sentiment et le reconnaître ne suffit pas ; encore faut-il qu'en réponse des actes soient posés pour montrer aux patients qu'ils ne sont pas abandonnés." Cette analyse faite en off par le commentaire est associée à la scène de repas dont le son in se fait également entendre. Ce procédé est en quelque sorte celui du reportage appliqué à un sujet puisé dans l'activité de thérapie psychiatrique. C'est non plus une action physique (un joueur qui a le ballon pendant un match, un artisan qui oeuvre avec son outil) qui est expliquée et interprétée par le commentaire qui accompagne sa mise en images, mais une parole collective. Selon le réalisateur, cette parole, captée telle quelle, ne se suffirait pas dans le film s'il a la charge de mettre en évidence ses ressorts et les effets qu'elle produit au sein du groupe où elle se déploie. (27:20)

Repas partagés, harmonie précaire

Travelling dans la cour, depuis une porte en bois de jardinet, montrant qu'elle est davantage aménagée avec son allée dégagée et ses parterres entretenus. Le commentaire indique que les soignants, par réaction au constat établi après les dernières réunions au foyer, se sont engagés à y venir, non plus uniquement pendant ces réunions, mais "plus souvent dans la semaine" pour aider à l'aménagement du jardin et participer à un repas. Longue scène de repas en intérieur, un enfant y est présent sans que sa présence soit expliquée. La bonne ambiance se tend légèrement quand Fort est contraint de rallonger au paiement qu'il vient de faire pour contribuer aux courses, la somme dont il s'est acquitté n'ayant pas été suffisante. Par cette scène ressort une nouvelle fois le problème que Fort rencontre de manière endémique dans son rapport à l'argent. Autre scène de repas, le soir en extérieur. Longue discussion confuse sur des sujets qui se recoupent. D'abord la nécessité de requalifier le statut de chacun dans le foyer selon son usage et son mode de présence, puis les règles devenues nécessaires pour organiser la vie collective en son sein, enfin les loyers dont certains ne s'acquittent pas. Il est à remarquer que les patients s'expriment autant que les soignants sur ces questions d'intérêt collectif. Il pointe cependant le risque que les membres permanents du foyer finissent par se l'approprier tout à fait en excluant celles et ceux qui y viendraient de manière intermittente ou sous la contrainte imprévue de l'urgence. (34:33)

Les relations tendues avec le voisinage (3)

Retour au café. Il semble que le temps a passé depuis la dernière scène qui y était tournée par ce que les deux femmes paraissent nettement plus à cran : elles parlent plus vite, plus fort, et s'expriment plus crûment. Selon la voisine, les médecins ont manqué de "jugeotte", de "bon sens" en installant des patients parmi la population. Elle rappelle qu'il y a des enfants dans le voisinage. Une telle initiative les expose "à des gens qui ont des problèmes". Elle en vient à son cas, expliquant qu'elle vit seule avec trois enfants. Or un des patients lui a déclaré que sa fille de seize ans "l'intéressait". "Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas des drames?" Une voix en off, celle du réalisateur, évoque une pétition signée par les habitants. "Ils sont pas tranquilles, commente la tenancière, personne est tranquille." Elle ajoute : "Je crois que le docteur attend qu'on soit à moitié morts pour faire quelque chose. Moi, je voudrais la fermeture et c'est tout." Le micro-trottoir de Le psychotique dans la ville mettait en évidence les inquiétudes circulant dans l'espace social à l'égard des patients psychiatriques appelés à le réintégrer. Dans cette troisième séquence de café, le positionnement de la parole est différent. Cette fois, les habitants interrogés n'ont pas à se projeter, ils parlent d'expérience. La réalisation met en jeu un jugement de personnes qui s'appuient sur un témoignage et non plus un préjugé (encore qu'ici ou là, il semble que le préjugé influence en quelque sorte la perception du réel en question, à savoir le comportement du psychotique auquel on est confronté). (36:15)

Conclusion : une cause qui mêle patients et soignants, une entreprise qui doit composer avec le quartier où elle s'inscrit

Dans le foyer, nouvelle scène de réunion . De nouveau, le spectateur est plongé dans une conversation qui a commencé avant le début de la scène, c'est à lui de cheminer parmi les paroles pour comprendre ses nouveaux enjeux. Il y est question d'une lettre, sans doute la pétition des habitants puisque son évocation amène des patients à se justifier. Un homme s'exclame : "Mais je sais pas où coucher, nom de Dieu, moi !" C'est l'urgence de trouver un abri qui reste au cœur des préoccupations, plus que la nécessité de réformer le lieu qui le constituerait. Les reproches continuent de circuler de l'un à l'autre, bruit commis par l'un, agression par l'autre. La dernière intervention est un aveu d'impuissance, toujours par le même homme : "J'ai beau faire bien, j'ai beau faire mal... J'en peux plus. Il n'y a plus rien à dire!" Retour dans la bande-son du saxophone qui a joué sur la scène d'ouverture. La nuit est tombée, plan d'ensemble en extérieur pour montrer, depuis le jardin, le foyer qui se vide de ses hôtes. Le commentaire résume et conclut : "ainsi l'impact réel et imaginaire du foyer sur les voisins, la rue et le quartier, se répercute sans cesse en retour sur le vécu de chacun des patients. Certes, cette manipulation effective par les patients et les soignants de la réalité du foyer se solde parfois par des destructions et des dommages réels, mais si forte que soit la haine, l'essentiel est de laisser toujours ouverte une situation où le patient comme le soignant puisse utiliser sa capacité de réparer. Encore faut-il que le désir soit grand de faire persister ce lieu dans la réalité d'un quartier hors d'un contexte protégé." Dézoom dans le jardin plongé dans la nuit, des silhouettes se dessinent derrière les fenêtres éclairées. Les dernières notes du saxophone sont évasées par l'orchestre qui le soutient. En infographie le mot "Fin", le logo Sandoz, la mention Sciencefilm.

Notes complémentaires

Références et documents externes

Le cerisier de Marcel Sassolas, réalisé par Nicolas Janaud en 2020, est composé d'un entretien avec le psychiatre Marcel Sassolas. Fondateur de Santé mentale et Communauté, il a participé à la création du foyer du Cerisier en 1971 : https://vimeo.com/nicolasjanaud

Contributeurs

  • Auteurs de la fiche : Joël Danet
  • Transcription Français : Michelle Daou
  • Sous-titres Anglais : Michelle Daou
Erc-logo.png  Cette fiche a été rédigée et/ou traduite dans le cadre du projet BodyCapital, financé par l'European Research Council (ERC) et le programme de l'Union européenne pour la recherche et l'innovation Horizon 2020 (grant agreement No 694817).